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Les Lyonnais, et par-delà beaucoup de Français, furent peinés d’apprendre la disparition de Gérard Collomb. Cet élu atypique au bilan remarquable restera dans les mémoires.
La vie de Gérard Collomb sera-t-elle un jour adaptée au cinéma ? Il y aurait matière à un grand film. Né en 1947, ce fils d’ouvrier-électricien et de femme de ménage parvint à gravir un à un les échelons du pouvoir ; cela grâce à l’école républicaine. Il s’inquiétait tant, ces dernières années, de voir mise à mal la méritocratie.
Un destin comme le sien serait-il encore possible aujourd’hui ? Lui, l’enfant de Chalon-sur-Saône qui révisait ses leçons dans un coin de l’usine où travaillait son père, parvint à force de labeur à franchir les grilles prestigieuses du lycée du Parc, à Lyon. Comme il l’aima, cette grande ville française, capitale des Gaules, de la gastronomie et d’une certaine manière, du culte catholique en France.
Un homme de culture au cœur simple
Cet agrégé de lettres classiques consacra sa vie à cette ville. Avec les Lyonnaises et les Lyonnais, il eut toujours des rapports francs et simples, n’affichant jamais sa culture pourtant encyclopédique, lui le lecteur aussi bien des grands textes antiques que des traités d’économie. Doté d’un solide caractère, Gérard Collomb affichait une courtoisie à toute épreuve, attentif à chacun, ayant souvent d’ailleurs le mot pour rire.
Un destin politique à l’ancienne, marqué d’abord par les échecs et la patience. Socialiste réformiste (espèce rare en France) Gérard Collomb fit du IXe arrondissement de Lyon son point d’ancrage. Opiniâtre, il mit du temps à se faire adopter par les électeurs de ce quartier populaire, tout au Nord de la ville.
Porté par la vague rose, il devient jeune député du Rhône en 1981, dans la foulée de l’élection de François Mitterrand. S’il se rêve ministre maintes et maintes fois, le président à la rose lui refusa toujours l’entrée du salon Murat. Collomb ? Trop indépendant, trop centriste, trop aux marges du parti… Et puis peut-être aussi trop lyonnais, cette ville que Mitterrand jugeait ingagnable. Pourtant, en 1995, Collomb parvient à ravir le IXe arrondissement à la droite. Il en fera son laboratoire avant, en 2001, de conquérir à la surprise générale la mairie centrale de la capitale rhodanienne.
Le voilà dans l’immense bureau de maire, place de la Comédie. Il réenchante Lyon, alors belle endormie… Mais semble déteindre sur cette ville historiquement de droite. S’inspirant de Saint-Simon, il prône l’économie productive, convaincu qu’il faut créer la richesse avant de la distribuer.
Ce socialiste réformiste aimait l’entreprise
Décidé à partir à la conquête des investissements internationaux, il mène une politique favorable à l’entreprise. Tout en apportant une nouvelle dimension culturelle, en menant de grands projets comme la piétonisation des bords du Rhône ou la construction de nouveaux ponts. Un succès unanimement salué, y compris à l’international. Le voilà très facilement réélu en 2008, un an après avoir loyalement soutenu Ségolène Royal à la présidentielle, contrairement à tant d’autres machos du PS !
Lorsque François Hollande arrive au pouvoir en 2012, Gérard Collomb espère entrer au gouvernement. Il se verrait bien à Matignon, éventuellement à la tête d’un grand Bercy. N’a-t-il pas prouvé à Lyon qu’il savait faire ? Mais Hollande se méfie de cet élu volontiers grande gueule, difficile à manœuvrer et qui assume – à sa différence – l’alliance de la gauche et des entreprises.
Gérard Collomb n’aurait jamais prononcé le discours extrémiste du Bourget : « Mon ennemi, c’est le monde de la finance ». Collomb explique sa vision, dans les colonnes du Monde : « En 1968, j’étais déjà avec les réformistes. Je suis fils d’ouvrier donc je n’ai pas de fantasme sur la classe ouvrière. Je sais que leur rêve, c’est de s’acheter une maison, pas de faire la révolution prolétarienne. »
Compagnon des premières heures puis victime expiatoire du macronisme
Passablement ignoré par Hollande, Collomb jette finalement son dévolu sur Macron. Il sera le premier des chapeaux à plumes à soutenir le jeune ministre. Compagnon de route des premières heures, Collomb obtiendra comme récompense, en 2017, le ministère de l’Intérieur. De moins en moins socialisant, Collomb y mènera une politique plutôt courageuse, faisant adopter la loi antiterroriste, celle sur l’asile et l’immigration. Confronté à l’ensauvagement du pays, il alerte en vain l’Élysée. L’affaire Benalla n’aide pas à apaiser les relations.
Sur un coup de tête, Collomb claque la porte du ministère, décidé à revenir en sa chère ville de Lyon. Il craint que celle-ci ne finisse par l’oublier… Malheureusement pour lui, ce sera bel et bien le cas : en 2020, les Lyonnais choisiront l’aventure EELV que leur propose un inconnu nommé Grégory Doucet. Gérard Collomb devient simple conseiller municipal dans cette ville dont il fut autrefois le grand-manitou. Un cancer de l’estomac l’emporta finalement, ce 25 novembre 2023, à l’âge encore jeune de 76 ans.
Sa sombre prophétie pour la France
Dans nos consciences, nous gardons aussi de cet homme, à la fois catholique sincère et franc-maçon revendiqué, cette phrase prononcée comme une sombre prophétie, le jour de son départ du ministère de l’Intérieur. « Aujourd’hui, c’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République […] Aujourd’hui, on vit côte à côte ; je crains que demain on ne doive vivre face à face ».
Puissions-nous, en tant que peuple, donner tort au mal qu’il pointait courageusement du doigt. Ce serait le plus bel hommage que nous pourrions rendre à cet élu aujourd’hui pleuré de tous.
Les perles de la politique
Collomb/Macron : un duo qui vira au duel · Désillusion. Oui, c’est bien cela que vécut Gérard Collomb. Comme tant d’autres, il fut séduit par le sourire enjôleur d’Emmanuel Macron. Comme tant d’autres, il se rendit compte que ce sourire, en vérité, relevait davantage du rictus. D’abord soutien inconditionnel (au point de pleurer le jour de l’intronisation « d’EM » à l’Élysée), Gérard Collomb devint un adversaire farouche. En novembre 2022, dans l’une de ses dernières interviews à la presse nationale, l’ancien maire de Lyon livrait au Point cette bien mystérieuse déclaration… « Si je m’étais exprimé avant la présidentielle, mon intervention aurait pu inverser le résultat de cette élection, et Marine Le Pen être élue. C’est pourquoi je me suis tu ». Qu’aurait-il pu dire ? Il poursuivait : « En accueillant maintenant l’Ocean Viking, on ouvre une nouvelle brèche, créant un précédent. Pour moi, cela ne peut qu’encourager les réseaux de passeurs pour qui les migrants sont une source de gains considérables ».