L’ISR, un placement encore trop vert

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Une large majorité des investisseurs individuels français se disent prêts à privilégier l’investissement durable. Mais peu savent qu’acheter des fonds ISR pourrait répondre à leur idée. Une méconnaissance regrettable au regard des bonnes performances de ce type de placements.

L’essor de la clientèle retail, c’est-à-dire particulière, constitue l’un des principaux enjeux de la gestion active au cours des prochaines années. « Dans cinq ans, c’est le segment qui pourrait afficher le plus fort taux de croissance, a indiqué Pascal Koening, associé chez Deloitte, lors d’une conférence de presse. En France, ce phénomène se matérialise déjà par une collecte en assurance-vie qui se tourne de plus en plus vers les produits en unité de compte. » Dans ces conditions, le challenge pour les sociétés de gestion est de rejoindre les aspirations de leurs clients. Fin septembre 2007, Natixis Investment Managers a publié les résultats d’une enquête mondiale réalisée auprès d’investisseurs particuliers (dont 400 en France). Près de 80 % des investisseurs français souhaitent que leurs investissements se montrent en accord avec leurs valeurs personnelles et cohérents avec les meilleurs standards ESG (Environnementaux, sociaux et de gouvernance). 67 % déclarent également qu’il est important d’investir dans des entreprises qui prouvent un impact social ou environnemental positif. Des chiffres encourageants qui ne se concrétisent pas dans les flux à destination des fonds ISR (Investissement socialement responsable). Pire, dans leur majorité, les investisseurs privés ne savent même pas ce qu’est l’ISR, comme en témoigne la dernière enquête commandée par Vigeo Eiris, ESG, l’agence internationale de recherche et services et le FIR (Le Forum pour l’investissement responsable). 66 % des personnes interrogées indiquent n’avoir jamais entendu parler de l’ISR avant cette enquête. Les détenteurs d’une assurance vie l’ignorent à 65 %, à 59% pour les détenteurs d’épargne salariale et à 52% pour les investisseurs en Bourse. Seulement 3 % des Français déclarent avoir déjà investi dans un fonds ISR. Parmi les sondés qui investissent en épargne salariale, ils sont 8 % à le faire en ISR.

Le faire-savoir…

L’enquête a inspiré à Florence Bihour-Frézal, directrice commerciale Europe du Sud & Afrique de Vigeo Eiris cette réflexion : « La prise de conscience des enjeux sociaux et environnementaux est aujourd’hui incontestable, comme en témoigne ce sondage. Pourtant, les produits financiers qui soutiennent les objectifs climatiques et sociaux peinent à être connus. De quoi rappeler la nécessité de poursuivre les efforts de promotion et notamment ceux des banques et des pouvoirs publics auxquels les Français accordent une place de choix dans cette mission. »

À cet égard, la création en 2016 du Label ISR dont l’objectif est à la fois de valider un processus de gestion rigoureux et de favoriser une meilleure diffusion de l’ISR se révèle un succès : en un an, 135 fonds ont été labellisés. Puis les approches évoluent. Le « best in class » (la sélection des plus vertueuses entreprises dans chaque secteur) perd désormais du terrain au profit des fonds responsables centrés sur quelques thèmes tels que l’environnement, la gouvernance, l’innovation et les aspects sociaux.  Les thématiques sont devenues une bonne façon de sensibiliser les investisseurs aux sujets de développement durable, comme en témoigne la collecte sur les fonds Pictet Water auprès de la clientèle privée.

Pictet AM a été l’un des pionniers dans l’ISR avec le lancement dès l’an 2000 d’un fonds sur l’eau. « En misant sur des tendances comme l’urbanisation, une croissance économique très dépendante de l’eau et la pénurie d’eau potable, la stratégie d’investissement met l’accent sur la ressource certainement la plus cruciale à l’échelle planétaire », commente Hervé Thiard, directeur général de Pictet AM à Paris. Le gérant a lancé ensuite en 2007 le fonds Clean Energy ‒ investir dans des entreprises concernées par la transition vers une économie dont l’empreinte carbone est faible. Il a également fait figure de pionnier avec le lancement du fonds Timber en 2008. En investissant dans des entreprises cotées qui possèdent ou gèrent des forêts et des zones boisées, les investisseurs ont la possibilité de s’exposer à cette ressource à la fois stratégique et renouvelable, tout en profitant des avantages et de la liquidité quotidienne d’un fonds d’investissement traditionnel. La même année, Pictet AM a identifié une opportunité émergente dans le secteur agricole, la mutation des exploitations traditionnelles vers l’industrie agroalimentaire, ce qui l’a incité à lancer le fonds Agriculture.

Pour répondre à cette demande nouvelle des investisseurs et leur proposer des solutions qui visent à surperformer les marchés financiers et dont l’impact soit démontrable, Mirova, l’affilié de Natixis Investment Managers dédié à l’investissement responsable, propose d’ores et déjà aux CGP trois fonds thématiques : Insertion, Emploi, Dynamique, Mirova Europe Environnement Fund, positionnés sur les enjeux de création d’emplois et de transition environnementale, et enfin Mirova Europe Sustainable Equity Fund qui cherche plus largement à identifier les risques liés à la transformation de nos économies et les innovations qui apportent des solutions durables. Pour la première fois, Mirova sera présent fin septembre à Lyon au salon Patrimonia aux côtés des équipes commerciales de Natixis Investment Managers, pour expliquer les spécificités de leur stratégie et comprendre davantage les besoins précis des conseillers en gestion de patrimoine (CGP) et de leurs clients. Mirova prévoit également d’élargir la gamme 2019 en intégrant des stratégies existantes ainsi que de nouvelles solutions spécialement conçues pour cette clientèle. « C’est une étape majeure pour notre développement, précise Anne-Laurence Roucher, directrice générale déléguée en charge du développement et des opérations de Mirova. Nous observons qu’en Europe, le marché témoigne, de façon de plus en plus large, d’un appétit grandissant pour nos stratégies. »

OFI AM dit, lui, constater depuis deux ans un engouement de ses clients retail pour l’investissement durable, en grande partie par capillarité avec les investisseurs institutionnels. « Le contexte est devenu propice à la finance verte depuis 2015 avec la conférence sur le climat à Paris, la COP21. Les investisseurs ont pris conscience que le carbone était un risque financier majeur. Le gouvernement français a  légiféré pour orienter les flux financiers vers le financement de la transition énergétique pour la croissance verte. L’article 173 de la loi Transition écologique et énergétique (TEE) du 17 août 2015 incite les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion à publier des informations sur la manière dont ils intègrent des dimensions ESG dans leur politique d’investissement et sur la façon dont ils gèrent leur risque climatique », expliquent Christophe Frespuech, directeur du développement et Éric Van La Beck, directeur du Pôle ISR chez OFI AM. Dans ce cadre, leurs clients apprécient leur politique d’engagement, qui décrit les processus de dialogue avec les entreprises, dont l’objectif est de les sensibiliser aux bonnes pratiques en matière de RSE (Responsabilité sociétale de l’entreprise) afin de favoriser un processus d’amélioration, notamment au regard de l’objectif international de limitation du réchauffement climatique à 2°C (désormais peu probable…). Ils plébiscitent également leur approche thématique, comme en témoigne le succès du fonds Europe Growth Climate Change, un fonds actions investi dans des sociétés européennes en situation de leadership qui offrent des fondamentaux de qualité tout en répondant à des critères ESG soutenus et impliquées dans la transition énergétique.

… Mais surtout savoir faire

Pour autant, inutile de se voiler la face, le succès de tous ces fonds s’explique également par leur performance. « Les clients ont également constaté que ces fonds verts dégageaient une performance comparable, voire supérieure, aux fonds traditionnels sur le long terme. La clientèle privée a longtemps considéré l’ISR comme un gadget marketing peu performant. Or, l’ISR n’est pas un frein à la performance. Au contraire, la prise en compte des critères ESG est source de surperformance », assurent les deux professionnels. Un point de vue partagé par Anne-Laurence Roucher. « Les fonds ISR ne sous performent pas les fonds traditionnels. Les performances sont bonnes, voire meilleures. Le marché s’est bien professionnalisé et les thématiques sont devenues matures. On le constate chez les entreprises du CAC 40 ou dans d’autres grands indices de marché. Elles intègrent de plus en plus des enjeux de développement durable comme la transition énergétique dans leur stratégie. Ce ne sont plus des promesses d’intention, mais une réalité. Les entreprises ont pris conscience de l’opportunité que cela représente en termes de développement de nouvelles offres de produits et services plus vertes, qui répondent à une demande croissante de leurs clients. En se repositionnant sur des offres de produits et services plus durables, elles développent de nouveaux relais de croissance. » Hervé Thiard pense en outre qu’intégrer les critères ESG dans la gestion traditionnelle est source de création de valeur. « Nous partons de l’hypothèse que les entreprises qui intègrent le développement durable dans leur stratégie de développement sont mieux à même de tirer parti de nouvelles opportunités d’affaires, de réduire les risques opérationnels, financiers et de réputation, de motiver leurs employés et, au final, de créer de la valeur à long terme pour leurs actionnaires », détaille le directeur général de Pictet AM à Paris.

Bien sûr, l’ISR doit également apporter la preuve de ses effets en termes d’impacts. Raison pour laquelle par exemple OFI AM a lancé début 2017 la gamme OFI Responsible Solutions (OFI RS) enrichie depuis. « L’objectif était de regrouper l’ensemble de l’offre développée par OFI AM en matière de finance responsable. Dans le cadre d’un fonds OFI RS, la prise en compte des enjeux ESG intervient de façon directe dans la définition de l’univers d’investissement et dans la sélection des valeurs. Conclusion de Christophe Frespuech et Éric Van La Beck : « Notre approche responsable s’articule à ce stade autour de quatre axes : l’engagement, l’éthique, l’approche best in class et l’investissement thématique (climate change et impact investing). »

Pierre-Jean Lepagnot

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