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Par Julia Néel Biz, cofondatrice et CEO de teale, et Didier Meillerand, président du Psychodon.
TRIBUNE. La santé mentale ne concerne pas uniquement les jeunes, bien au contraire. Une personne sur cinq sera affectée par un trouble psychique au cours de sa vie (OMS), un défi de santé publique universel qui transcende les générations et les étapes de la vie. De l’enfance à la vieillesse, et à chaque phase du parcours professionnel, la santé mentale exige une attention continue.
L’appel du Premier ministre Michel Barnier à faire enfin de la santé mentale la « grande cause nationale » de l’année 2025 est un signal fort. Ce fléau est enfin reconnu comme une réalité sociale et économique, mais le chemin à parcourir reste long. Cette déclaration doit être suivie d’actions concrètes, visant à sensibiliser la population, transformer les parcours de soins et développer des pratiques préventives. La santé mentale est l’affaire de tous, et nous avons un devoir collectif d’agir.
La santé mentale : un droit universel et une responsabilité collective
La santé mentale n’est pas seulement un enjeu médical, mais une responsabilité sociétale et politique. C’est un droit universel qui nous concerne tous. Nous avons tous une santé mentale, qu’elle soit bonne ou mauvaise, et devons en prendre soin. Pour cela, il est essentiel de briser les tabous et d’adopter une approche préventive, tout en démantelant les silos générationnels.
En 2021, 16 % des Français de 16 ans ou plus étaient affectés par un syndrome anxieux ou dépressif (source Drees). Par ailleurs, la France compte environ 8 300 décès par suicide chaque année, en faisant l’un des pays au taux de suicide les plus élevés d’Europe, avec le suicide comme première cause de mortalité chez les 15-35 ans (Santé Gouv). Ces chiffres illustrent l’ampleur du problème.
Reconnaître que les troubles psychiques touchent toutes les sphères de la société, du cadre familial au monde du travail, est essentiel. Alors que l’errance thérapeutique est estimée à 8 à 10 ans, investir dans la prévention permet d’intervenir avant que les troubles mentaux ne deviennent critiques.
Briser les tabous et prévenir à chaque étape de la vie
La santé mentale, à chaque étape de la vie, nécessite une observance constante. Si nous souhaitons une santé mentale « pour tous », elle doit être considérée dans sa temporalité, de manière proactive, préventive et positive.
- La santé mentale dans l’enfance et l’adolescence : ces périodes sont cruciales pour le développement mental. Dès le plus jeune âge, il est essentiel de briser les tabous autour de la santé mentale dans les familles, tout en intégrant des programmes de prévention dans les cursus scolaires. Reconnaître les premiers signes de détresse mentale doit devenir une compétence accessible au plus grand nombre. Les enfants doivent grandir avec les outils de sensibilisation et avoir accès à des consultations précoces pour que leur bien-être psychique soit accompagné comme celui de leur corps.
- La santé mentale dans la vie active : le stress lié à la recherche d’emploi ou à l’adaptation à un nouvel environnement professionnel peut avoir un impact significatif sur la santé mentale. Il est urgent de briser le tabou selon lequel souffrir de stress ou d’anxiété est un signe de faiblesse. Les jeunes diplômés doivent avoir accès à des programmes de soutien adaptés qui leur permettent d’aborder ces défis en toute sérénité. 25 % des jeunes collaborateurs se déclarent concernés par des troubles anxieux. La médecine du travail doit intégrer davantage la santé mentale des salariés dans ses actions et faire appel à des partenaires externes qualifiés.
- La santé mentale de la Parentalité et au fil de l’âge adulte : La conciliation entre la vie professionnelle, parentale et personnelle met la santé mentale à l’épreuve. Ici encore, il est essentiel de faire tomber les tabous liés aux pressions sociales et aux attentes irréalistes. Intégrer des solutions de Qualité de Vie au Travail (QVT) n’est pas seulement un avantage, c’est une nécessité pour permettre aux adultes de naviguer les pressions de la vie moderne tout en maintenant un bon état mental. Il faut aussi considérer et accomplir la santé mentale post-partum.
- La santé mentale face aux événements traumatiques : maladie, deuil ou séparation. Les périodes de bouleversements nécessitent un soutien mental renforcé. Les entreprises et la société, les politiques de santé, doivent être prêtes à reconnaître et à accompagner ces moments critiques en mettant en place des cadres de soutien adaptés. Ici, la prévention, à travers une culture de la santé mentale proactive, peut aider à éviter l’aggravation des situations.
- La santé mentale et la vieillesse : les seniors, confrontés à la fin de leur carrière ou à des problèmes de santé chroniques, ont également besoin d’un soutien spécifique. Les tabous entourant la santé mentale chez les personnes âgées, souvent sous-estimés, doivent être brisés pour prévenir l’isolement et la dépression. Là encore, les politiques publiques doivent inclure des services dédiés en partenariat avec le privé, tout en favorisant une approche préventive qui anticipe les difficultés plutôt que de les traiter a posteriori.
Propositions pour une politique préventive et une approche universelle et positive
Pour promouvoir une vision universelle de la santé mentale, plusieurs actions concrètes doivent être mises en place. Il ne suffit pas de briser les tabous, il faut également intégrer la prévention dans tous les aspects de la vie publique et privée.
- Évaluer le coût de l’inaction en continu : Alors que la santé mentale est la première cause de dépense de l’Assurance Maladie (la santé mentale représente près de 14% des dépenses, 23,3 milliards d’euros – source Assurance Maladie 2022) et le premier poste de dépense en matière d’arrêts de travail et départs non souhaités (30 % des salariés peuvent quitter leur travail pour préserver leur santé mentale – source teale), une évaluation précise, confiée à l’IGAS, pourrait chiffrer l’évolution de l’impact financier des conséquences de la mauvaise santé mentale en entreprise. Cette étude mettrait en lumière les coûts directs et indirects, renforçant ainsi l’argument en faveur d’une politique préventive généralisée.
- Former un groupe de travail inter-ministériel : parce que la santé mentale touche tous les pans de la société, un groupe de travail inter-ministériel dédié doit être constitué (travail, santé, enseignement, numérique & IA, etc.). Un cycle de réunions de travail réunissant syndicats, patronat et experts en santé mentale pourrait proposer des solutions concrètes. L’objectif serait de définir des mesures pour améliorer la prévention dans les entreprises, tout en sensibilisant sur l’importance de la santé mentale à tous les niveaux.
- Sensibiliser et éduquer : briser les tabous commence par une campagne nationale de sensibilisation. Des actions de formation sur la santé mentale au travail devraient être généralisées, incluant l’identification des signaux faibles et les gestes à adopter pour protéger sa santé mentale et celle des autres.
- Faciliter l’accès aux soins psychologiques : l’accès aux soins doit être une priorité. Il est crucial de rendre les soins psychologiques plus accessibles, tant sur le plan financier (via une prise en charge accrue par la sécurité sociale) que technique (grâce au numérique). Ces actions permettraient une prise en charge rapide et efficace, avant que les troubles ne s’aggravent.
- Inciter les entreprises à la prévention : les entreprises ont un rôle central à jouer. Il est urgent d’encourager fiscalement celles qui intègrent des programmes de prévention en santé mentale, en créant, par exemple, un label officiel certifiant les bonnes pratiques. Cela aiderait à réduire le nombre de salariés dans un état de stress critique ou à risque de dépression.
La France peut et doit devenir pionnière en matière de prévention en santé mentale. Et notre nouveau Premier Ministre en a appelé de ses vœux avec une ambition forte : faire de la santé mentale la « grande cause nationale » de l’année 2025. En adoptant une approche universelle, préventive et curative, nous briserons non seulement les tabous mais aussi les silos générationnels. En développant une culture inclusive et positive de la santé mentale, nous transformerons celle-ci en un pilier stratégique de notre société, renforçant à la fois la cohésion sociale et la performance économique.