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Désuétude ou immuabilité ?
A l’heure où chacun peut exposer virtuellement grâce à Instagram, se prendre une fois pour Robert Doisneau, une autre pour Henri Cartier-Bresson ou pour Helmut Newton selon le filtre utilisé, l’argentique est-il réellement indétrônable et le numérique une pâle copie ?
L’auteur tient à s’excuser avant que vous ne commenciez la lecture, il ne s’est pas intéressé aux chiffres de vente de selfie-sticks, pourtant témoins d’un nouveau genre photographique très en vogue à l’heure actuelle. Car ces petits bouts de plastique qui fleurissent sur chaque lieu touristique de France, d’Europe et du monde ne sont que la partie émergée d’un immense iceberg visuel alimenté chaque seconde par plus de 2200 images postées sur Facebook. L’occasion d’ouvrir à nouveau un débat, qui alimente chaque jour des discussions animées entre les passionnés de photo : l’argentique prend-t-il de meilleures photos que le numérique ? « Ça m’embête d’être aussi catégorique, répond Rémy Gautard, photographe et fondateur de l’association Studio Plus. En fait ce sont des procédés différents, chacun présentant des caractéristiques propres. C’est un peu comme si vous écoutiez un vinyle et un CD. » Voilà qui viendrait donner de l’eau au moulin des défenseurs de l’argentique, prompts à défendre également que le vinyle est, sans conteste, le meilleur son existant aujourd’hui, mais ceci n’est pas notre sujet. « On ne peut pas dire que l’un est meilleur que l’autre, le résultat est vraiment différent », précise Rémy Gautard. Et ce pour trois raisons : le mode opératoire, la post-production et le résultat.
De l’artisan patient au boulimique de l’image
Le mode opératoire d’abord, c’est-à-dire la façon de travailler, n’est pas le même. Pour l’un, il s’agit d’étudier, de préparer, d’anticiper sa photo. Pour l’autre, il est possible de mitrailler, de visualiser et d’adapter, en temps réel, les réglages, pour prendre la meilleure photo possible. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à Pierrick Bourgault, photographe et auteur de « 100 conseils pratiques pour mieux photographier », aux éditions Dunod, que le photographe est « meilleur en numérique ». Le photographe, dont le thème de prédilection est le bistrot, constate, en effet, que « la possibilité de voir immédiatement la photo prise permet de la reprendre instantanément » si besoin. De plus, « l’appareil photo est équipé de stabilisateurs, de correcteurs, le diaphragme et la vitesse se coordonnent eux-mêmes. Le numérique interdit presque, donc, de rater une photo ». Concernant l’argentique, « chaque photo doit être prévue, il faut réfléchir au cadre, aux réglages, au temps de pose, au diaphragme, etc. », nous explique Baptiste Perret, réalisateur-vidéaste, et photographe semi-professionnel. Autant de paramètres sur une photo qui rendent celle-ci plus difficile à réussir, comme le constate Pierrick Bourgault : « L’argentique, pour le coup, c’est le festival des ratages ! Il faut vraiment anticiper ce que l’on veut, l’automatisme est beaucoup moins performant que sur le numérique ». Ce qui fait dire à Rémy Gautard mais aussi à Baptiste Perret, que l’argentique peut être un bon moyen de s’initier à la photo : « Chaque photo a un coût, explique le vidéaste. Cela oblige à apprendre à maîtriser les paramètres techniques. Une fois sur appareil numérique, le photographe aura ainsi des bases pour se servir de cet outil plus intuitif ».
Perfection ou charme ?
Mais une fois la photo prise et réussie, quelle différence entre numérique et argentique ? A l’unisson Rémy Gautard et Pierrick Bourgault répondent que le numérique est très largement au-dessus techniquement. Ce dernier possède une sensibilité beaucoup plus développée, ce qui permet de prendre des photos dans des endroits sombres sans trop de perte de qualité. La définition est, elle aussi, largement supérieure : « Les pixels sont beaucoup plus petits que le grain, la définition obtenue est ainsi très élevée », explique Rémy Gautard. Il précise tout de même que certains très gros appareils argentiques conservent une définition encore supérieure. « Le numérique, cela fait dix ans qu’il a dépassé la pure qualité technique de l’argentique. Si vous prenez la photo de quelqu’un en train de lire un journal sur un banc, par exemple, vous allez pouvoir lire les titres du journal sur la photo, en argentique cela ne serait pas possible », surenchérit Pierrick Bourgault. Pour autant, le rendu n’est pas identique. Chaque appareil a un rendu typique. Le grain travaille d’une façon aléatoire et irrégulière sur l’argentique, ce qui va lui donner ce côté unique. Concernant le numérique, le rendu est lisse, donnant parfois l’impression d’« une statue de cire », constate Rémy Gautard. Ce dernier a d’ailleurs fait plusieurs prises de vues au musée Grévin, où il s’est amusé à prendre les mêmes sujets en photo avec un appareil numérique et un argentique. « Le rendu est complètement différent, le numérique, lisse, montre des statues de cire, alors qu’avec l’argentique cela donne l’impression que ce sont de vrais personnages ! » Même son de cloche du côté de Pierrick Bourgault, qui concède que le numérique peut être trop parfait, ce qui l’amène à ajouter qu’au-delà de la technique, l’argentique peut être apprécié « parce qu’il a du grain, un grain inimitable et parce que les défauts viennent assez vite ». Là où, il y a vingt ans, les photographes professionnels chassaient le moindre défaut, aujourd’hui « les ratés peuvent avoir du charme. Certains font même apparaître des empreintes de pellicule pour montrer que c’est fait à l’argentique. Les défauts deviennent des qualités mises en avant ».
Tous photographes !
Au niveau de la post-production, si l’argentique a longtemps offert une palette plus large de possibilités au niveau de la retouche de l’image, celle-ci n’était pas simple pour autant. Il fallait disposer de son propre studio de développement et accepter de consacrer des journées entières au tirage des photos, sans savoir quel serait le résultat de celles-ci. Il existe aujourd’hui des techniques pour s’approcher du même éventail de possibilités avec le numérique, ou pour traiter numériquement sa photo argentique. Le format Raw tout d’abord, sur l’appareil photo numérique, permet d’obtenir « un format photo qui sort directement du capteur, il n’y a eu aucun traitement et du coup la photo possède encore toutes les informations de ce dernier. Cela permet de retoucher les contrastes ou la luminosité sans perdre en qualité, comme avec des tirages en argentique », nous explique Baptiste Perret. Une solution utilisée par tous les professionnels mais attention, ce format est fait pour être traité seulement. Il faut donc l’importer dans un logiciel de traitement d’image avant de l’exporter dans un format photo. Rémy Gautard nous révèle, lui, une technique qui allie les avantages des deux « écoles » : « Il est possible aujourd’hui de numériser des photos argentiques et ainsi de profiter des deux techniques. Pour cela, il faut développer soi-même le négatif de la photo argentique et numériser le résultat via un appareil photo reflex. Cela permet ensuite de retoucher la photo sur ordinateur ». Une photo qu’il faudra ensuite imprimer en jet d’encre, précise le photographe. Autant de techniques qui mettent chaque jour la photo un peu plus à portée de tous, car comme le constate Pierrick Bourgaut, « aujourd’hui même les smartphones que vous avez dans votre poche font des photos dont la qualité avoisine celle des photos argentiques réalisées par des professionnels dans les années 80 ».
Nicolas Pagniez