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Le rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe n’a pas fait beaucoup d’émules, en dehors de la bulle bruxelloise. Bien dommage.
L’ancien président du Conseil italien revient sur le spectaculaire décrochage de l’économie européenne face à l’Amérique et l’Asie.
Avez-vous entendu parler du rapport Draghi ? Sans doute pas, peut-être un peu, à l’occasion d’un mince entrefilet dans les journaux. Dans tous les cas, sûrement beaucoup moins que de la parade olympique ou des tractations gouvernementales (est-ce que Tartempion va remplacer Machin-chose au sous-secrétariat d’État aux chemises de nuit ?)
Compétitivité en chute libre
Le rapport Draghi, dans un pays normal, dans un continent normal, devrait pourtant nous obséder. L’ancien banquier central explique par A + B le spectaculaire décrochage économique que subit l’UE vis-à-vis des États-Unis d’Amérique, depuis le début des années 2000.
Ainsi, l’ancien président du Conseil italien rappelle que l’écart entre le PIB entre les États-Unis et l’Europe s’est considérablement creusé, de 15 % en 2002 à 30 % en 2023. Notre revenu disponible réel a progressé deux fois moins vite. En parité de pouvoir d’achat, l’écart est de 12 %. Les touristes le constatent lorsqu’ils rêvent de vacances en Californie ou à Chicago. Le coût de la vie devient inabordable pour les bourses européennes !
Une différence de vigueur qui tient évidemment au retard considérable pris par le Vieux continent en matière de technologies nouvelles – quand Washington innove, Pékin produit et Bruxelles règlemente… Mais les entreprises européennes sont surtout pénalisées par l’incroyable différence du prix de l’énergie, deux à trois fois moins chère de l’autre côté de l’Atlantique. Comment nos industries peuvent-elles rivaliser dans de telles conditions ? La situation s’est beaucoup détériorée depuis les débuts de la guerre d’Ukraine.
Déficit productif, difficulté à innover, absence de stratégie à long terme
Le Figaro résume d’autres aspects de la pensée draghienne : « En termes de start-up, 30 % des licornes européennes se relocalisent à l’étranger, majoritairement aux États-Unis. Sur les cinquante premières entreprises mondiales de la tech, seules quatre sont européennes. » Draghi est également un fervent avocat de l’union des marchés de capitaux, instrument qui rendrait « les choses incroyablement plus simples ».
Si l’Europe possède évidemment bien des atouts, son considérable déficit productif, sa difficulté structurelle à s’orienter vers les technologies de rupture, l’absence de stratégie de long terme sont des faiblesses à prendre très au sérieux.
Il faudrait mobiliser 5 % de l’actuel PIB européen
L’austère Draghi ose ainsi parler de « crise existentielle. » En bon keynésien, l’homme du « Whatever it takes » propose de mobiliser un nouveau plan de relance qui représenterait 5 % de l’actuel PIB européen. Rappelons que le fameux « plan Marshall » était plutôt de l’ordre de 1 à 2 %. C’est dire l’ampleur du problème, le spectaculaire retard de l’UE en matière technologique et industrielle. « Soit nous appliquons ces recommandations, soit l’Europe subira une lente agonie », poursuit Mario Draghi.
Le coût du plan Draghi est ainsi de 750 à 800 milliards d’euros. Pourquoi pas, mais avec quel argent ? Le banquier central ne le dit pas. Et se contente de ressortir le serpent de mer de « la dette commune. » Une idée apparemment irréelle face au niveau d’endettement de nombreux états membres, France en tête.
Selon l’expert, l’UE doit aussi faire sa révolution copernicienne et simplifier considérablement sa législation (13 000 textes de lois entre 2019 et 2024 contre 3 500 aux États-Unis). Elle doit également revoir ses règles de concurrence archaïques qui empêchent aujourd’hui la constitution de géants européens.
Investir dans les innovations de rupture
Alors que les dirigeants de l’UE courent toujours après la création d’un « Google européen » trente ans après la bataille, Draghi appelle à se concentrer sur les futures innovations de ruptures, à soutenir massivement la recherche et le développement : « Il est peu probable que le secteur privé soit en mesure de financer la majeure partie de ces investissements sans le soutien du secteur public. »
Mario Draghi conclut sur une note plus politique : « La croissance est importante parce qu’elle est liée à nos valeurs fondamentales. Et si l’Europe ne peut plus offrir cette croissance à ses citoyens, elle perdra sa raison d’être. »
Notons pour finir une chose intolérable. Le rapport Draghi, écrit par un Italien à destination d’une Allemande (Ursula Von der Leyen) n’existe qu’en langue anglaise (qui n’est pourtant la langue officielle que d’un seul état-membre, Malte). Le Français, langue de travail de l’Union européenne, est donc clairement méprisé, en violation des traités européens. Mais à quoi servent les pléiades de traducteurs rémunérés à grands-frais par le contribuable ? On marche décidément sur la tête, et pas qu’en économie.