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Dans un environnement de taux bas, accepter une part de risque est nécessaire
Les crises successives de 2008 (subprimes), 2011 (dettes souveraines) et 2020 (covid) ont bouleversé durablement l’univers de la finance. Les Français·es ont-ils·elles fait évoluer leur comportement d’épargne vers des placements plus risqués mais plus rémunérateurs ? Il semblerait que oui, mais à la marge.

Pour soutenir l’économie, les banques centrales ont abandonné le dogme monétariste au profit d’une politique monétaire hétérodoxe fondée sur la création monétaire et la faiblesse des taux d’intérêt. Cette stratégie a porté ses fruits. Finalement, les périodes de récession furent très brèves, suivies de reprises vigoureuses. Pour autant, ce nouveau paradigme a fait une victime : les fonds en euros. Ces dernières années, le rendement du placement de long terme par excellence a décliné de telle sorte qu’il ne pourrait bientôt même plus simplement protéger le capital. Ce scénario, improbable il y a 20 ans, risque de se concrétiser dans les mois à venir avec l’accélération de l’inflation observée ces derniers mois. Alors, des épargnant·es qui résistent au changement ? En réalité tout dépend de l’âge du capitaine, mais aussi de sa réelle appétence au risque. Après, le choix de la coquille, PER ou assurance vie, se fait naturellement selon les objectifs de chacun.

Chat échaudé

En 2020, la part des unités de compte dans l’assurance vie a représenté 36 % de la collecte totale, contre 28 % en 2019, une hausse qui témoigne selon certains de la prise de conscience des épargnant·es. Sauf que les fonds en euros représentaient encore fin décembre 1967 % de la collecte. Et aujourd’hui ? La part des unités de compte dans les cotisations s’établissait fin mars, dernier chiffre disponible, à 37 %. Pleine d’optimisme, la Fédération française de l’assurance (FFA) souligne « que le mix produit toujours plus favorable aux unités de compte se poursuit, avec 36 % depuis le début de l’année en faveur de l’investissement dans les actifs d’entreprise ». Pas de quoi non plus pavoiser, d’autant que les épargnant·es n’ont en réalité guère le choix. « La plupart des assureurs refusent d’ouvrir une assurance vie exclusivement investie en fonds euros », révèle Alexis Blanchy, fondateur du family office Edmon. Une situation qui complique naturellement la tâche du professionnel tant certains épargnant·es sont allergiques au risque malgré le discours et les incitations récurrentes des pouvoirs publics qui les incitent à se tourner vers des supports plus risqués et potentiellement plus rémunérateurs à long terme. « Une catégorie d’épargnants a été traumatisée par la crise de 2008 où eux ou leurs proches ont perdu beaucoup de leurs économies. Dès lors, ils cherchent à investir exclusivement dans des actifs sans risque, peu importe qu’ils perdent un peu de capital à cause de l’inflation », explique Alexis Blanchy. Chat échaudé craint l’eau froide. Comment leur donner tort ? Certes, l’an dernier, le choc boursier du début de l’épidémie a vite été surmonté. Mais les investisseurs exposés aux actions les plus cycliques ont sans doute tout de même eu du mal à dormir pendant un bon mois. Lors des crises de 2000 et 2008, la moindre réactivité des banques centrales et des gouvernements avait plongé les Bourses dans une phase de dépression bien plus longue. Face à de tels krachs boursiers, mieux vaut ne pas avoir besoin de son capital placé en urgence. « En réalité, tout dépend du projet. Un épargnant qui a dix ans devant lui peut s’exposer aux actions, en partant du principe que la durée de l’investissement écrase le risque. Sur trois ans en revanche, le risque est réel, et investir sur les marchés paraît bien plus risqué », résume Alexis Blanchy. En somme, tout dépend de l’âge du capitaine.

« C’est le temps qui dicte le choix du placement »

« Plus le temps avant la retraite est important, plus il est judicieux de prendre des risques avec comme objectif de sécuriser progressivement son capital à mesure que la retraite approche. L’offre d’unités de compte est incroyablement variée avec plus de 17 000 produits en Europe », indique David Charlet, président de l’Association nationale des conseils financiers (Anacofi). Un point de vue unanimement partagé par les professionnels du secteur. Pour Gilles Belloir, directeur général de Placement-direct.fr, « si l’épargnant dispose de suffisamment de temps, je conseille d’adapter sa stratégie en fonction. S’il a 15 ans devant lui, il a intérêt à se tourner vers les actions qui offrent un rendement attractif. Surtout, les placements sans risque, non seulement rapportent très peu, mais surtout risquent même de grignoter l’épargne en raison de l’inflation », rappelle-t-il. En résumé, dans la perspective de la constitution d’une épargne, le plus souvent en vue de la retraite, la stratégie sera différente selon l’âge de départ. « Si l’épargnant préfère verser chaque mois plutôt qu’une somme plus importante une fois, il a intérêt à se tourner vers les valeurs mobilières. Plus le temps de la retraite approche, je recommande de sécuriser ce capital, de le cristalliser, en le transférant dans des produits sécurisés comme les SCPI, les SCI ou les fonds euros croissance. Ces produits ont l’avantage d’être décorrélés des marchés financiers », explique Christian Cacciuttolo, président de l’Unep, Union nationale d’épargne et de prévoyance.

Passer à l’action

Face à la baisse inexorable des taux, les acteur·rices du monde des placements rappellent l’attrait des actions. « Sur le long terme, l’épargnant doit accepter la volatilité pour chercher du rendement », rappelle Jérôme Rusak, président de L&A Finance. Pour espérer doper leur épargne de long terme en limitant les risques, de plus en plus d’investisseurs misent sur la stratégie dite de « stock picking » où chaque valeur est d’abord choisie en fonction de ses qualités et de son potentiel. « Le stock picking actions est selon moi une bonne approche pour apporter un supplément de rendement à son contrat assurance vie ou son PER, surtout dans un contexte de rendement du fonds euro décroissant et désormais inférieur à l’inflation. L’orientation actions paraît plus risquée à court terme, mais elle limiterait l’impact d’une crise systémique qui serait plus grave que celle de 2008. Depuis la loi Sapin 2, les assureurs ont en effet la possibilité de bloquer les rachats du fonds euro », explique Éric Gerard, gérant associé d’Optigestion. Selon lui, de plus en plus d’investisseurs sont prêts à prendre du risque actions. « Pour générer du rendement tout en réduisant les risques, nous privilégions les grandes valeurs de croissance faiblement endettées et axées sur les nouveaux usages de la planète », précise le gérant. Cette stratégie est payante à date. La sicav internationale Optigest Monde, exposée aux États-Unis, en Asie et en Europe, a réalisé une performance de 99 % sur 5 ans, soit 16,27 % par an. « Notre première ligne est Alphabet [ex Google, ndlr] que nous préférons à des emprunts d’État qui ne rapportent quasiment rien actuellement », révèle Éric Gerard. De son côté, Gilles Belloir recommande une grande diversification géographique et sectorielle. « Il ne faut pas forcément investir exclusivement en zone euro, mais s’intéresser aussi aux États-Unis et aux émergents car les cycles de ces zones ne sont pas toujours corrélés. De même, il ne faut pas miser uniquement sur les secteurs à la mode, comme actuellement les technologiques et les gafam mais également porter son attention sur des secteurs actuellement moins porteurs comme les industrielles et les bancaires. Là aussi, le vent tourne et les cycles ne sont pas les mêmes », souligne le directeur général de Placement-direct.fr.

La diversification est la clé

S’il faut opter pour la diversification au sein des actions, il faut de manière générale opter également pour la diversification entre les classes d’actifs. À cet égard, les acteur·rices du monde des placements ont rivalisé d’imagination pour élargir leur offre en mettant en avant de nouveaux produits avec une dose de risque plus ou moins élevée. Pas le choix, rappelle Jérôme Rusak : « L’épargnant est pris en tenaille entre la faiblesse persistante des rendements des fonds en euros et l’accélération de l’inflation. Dès lors, le risque d’érosion de capital placé sur les fonds en euros est devenu très significatif. » Dans ces conditions, le fonds eurocroissance n’est pas à négliger, assure Alexis Blanchy : « En termes d’allocation, j’aime bien le fonds eurocroissance, même si peu d’assureurs en proposent. On peut réduire le risque à 20 % du capital et le rendement se révèle cinq ou six fois supérieur aux fonds en euros. » Ce type de fonds est une alternative intéressante pour qui garde une visibilité longue sur son épargne avec peu de besoins de trésorerie pour les 8 années suivantes (durée minimum du fonds eurocroissance pour bénéficier de la garantie en capital). « Le fonds eurocroissance est particulièrement bien adapté pour l’épargne de long terme. Il combine la sécurité offerte par les fonds en euros et les perspectives de performance offertes par les fonds en unités de compte. À 5 ou 6 ans, les rentabilités de ces fonds sont déjà deux ou trois fois supérieures à ceux des fonds en euros. Tout en offrant des niveaux de sécurité et de garantie importante », renchérit Christian Cacciuttolo, président de l’Unep. D’autant que la Loi Pacte entrée en vigueur le 1er janvier 2020 a apporté davantage de visibilité à ces fonds. La garantie en capital est acquise à l’épargnant·e seulement au bout de 8 ans (et non en permanence comme avec les fonds en euros classiques), mais dans la mesure où il s’agit d’un investissement de long terme, ce n’est guère gênant. « Vous pouvez ainsi choisir librement la durée pendant laquelle vous acceptez de bloquer votre capital. Plus elle est longue, plus vous aurez des garanties de faire fructifier votre mise », complète le président de l’Unep.

L’immobilier, alternative aux fonds en euros

Pour sécuriser son portefeuille, l’immobilier reste un atout majeur tant dans la phase de sécurisation de son épargne, mais aussi également plus tôt, dans la phase de constitution. « Depuis plusieurs années, la demande pour la pierre papier est croissante, comme si elle remplaçait, aux yeux des épargnants, en partie les fonds en euros. Pourtant, les SCPI comportent du risque. Mais elles profitent d’atouts indéniables : leur liquidité par rapport à la pierre, leur capacité à générer une rente et un risque mutualisé », reconnaît David Charlet. Pour Jean-Marc Peter, directeur général de Sofidy, il semble raisonnable d’intégrer une enveloppe de SCPI dans son allocation dans une logique d’optimisation rendement/risque. « Jusqu’à présent, les épargnants privilégiaient les fonds en euros qui offraient la protection du capital et un rendement confortable, longtemps supérieur à 5 %. Depuis, les taux baissent un peu plus chaque année. En 2020, la performance des fonds en euros a atteint 1,3 %. Avec une inflation supérieure à 1 %, les épargnants n’ont donc pratiquement rien gagné », observe le dirigeant. Selon lui, « grâce aux SCPI, une détention à long terme va “coiffer” les cycles immobiliers. C’est d’autant plus vrai avec les SCPI historiques, injustement qualifiées de “vieilles SCPI”, qui ont, contrairement aux SCPI plus jeunes, pu acheter des biens depuis très longtemps et qui sont sources maintenant de plus-values potentielles significatives. En 2020, les SCPI ont su servir un rendement de 4,18 % en moyenne. Certes, l’épargnant ne capte pas l’intégralité de la performance en raison des frais appliqués dans les contrats d’assurance vie, de l’ordre de 1 %. Mais il ressort potentiellement gagnant par rapport aux placements sans risque. De plus, investir dans les SCPI via l’assurance vie est souvent plus intéressant que l’achat de SCPI en direct grâce à une fiscalité plus attractive sur les revenus du capital ». Bien sûr, il recommande de diversifier au maximum les secteurs et d’investir régulièrement afin de limiter les risques. « Actuellement, la mode est aux jeunes SCPI sectorielles qui ont bénéficié de la crise sanitaire comme celles spécialisées dans la santé ou la logistique. Mais attention aux miroirs aux alouettes. L’immobilier fonctionne par cycle et les biens dans ces secteurs sont devenus parfois très chers. Or, une société de gestion qui achète en haut de cycle pourra éprouver plus de difficultés à faire fructifier demain le capital de ses clients », prévient le dirigeant. Autre atout des SCPI, elles protègent de l’inflation, comme le souligne Jérôme Rusak, « l’immobilier a tendance à suivre l’inflation à travers les loyers. En tout état de cause, pour protéger son patrimoine et le faire fructifier, il faut jouer le temps long ».

Assurance vie ou PER ?

L’investisseur, grâce aux fonds en euros et à une dose plus ou moins conséquente d’actions et d’immobilier, peut espérer se constituer un portefeuille équilibré susceptible de résister et de générer de la performance malgré l’inflation. Mais quel placement de long terme choisir entre le PER ou l’assurance vie ? « L’assurance vie est plus un placement de moyen terme. Elle s’envisage également à court terme. Il est possible de la racheter en quelques jours sans conditions particulières et au bout de 8 ans sans frais sur les plus-values », estime Éric Gerard. Contrairement à l’assurance vie, les fonds logés dans un PER sont en effet bloqués jusqu’à la retraite. En revanche, la sortie peut se faire à 100 % en capital au moment de la retraite. En outre, par rapport à ses prédécesseurs comme le Perp, il est possible de sortir de façon anticipée, pour acheter sa résidence principale notamment. Le PER montre en outre l’avantage de diminuer le montant de l’impôt. Les versements sont déductibles du revenu net global du foyer fiscal. « L’économie d’impôt réelle se fait sur la différence entre la tranche marginale d’imposition au moment de l’investissement et la tranche marginale d’imposition au moment de la sortie puisque le capital sera taxé à la sortie au barème progressif de l’IR. Cependant, dans l’intervalle, l’impôt économisé au départ est placé et génère du revenu. L’intérêt est donc double. Mais ce n’est pas une martingale ! » indique Alexis Blanchy. Ce mécanisme d’apparence attractif cache un différé d’imposition puisque la sortie (en capital ou en rente viagère) est taxée dans la plupart des cas. « Aussi, il est primordial de fixer sa décision d’investissement sur sa tranche marginale d’imposition. Si le contribuable est imposé à 41 % ou plus, le PER est très attractif. Compte tenu d’un taux de remplacement (pension/dernier salaire) qui décline inexorablement (il est d’ailleurs en moyenne plus faible pour les hauts revenus), la probabilité de voir tomber à 30 % le TMI à la retraite est importante. Dans ce cas, la simple comparaison entre l’économie d’impôt à l’entrée (41 ou 45 %) et la taxation à la sortie (30 %) rend le PER très avantageux », confirme Gilles Belloir. Selon lequel « il faut en réalité considérer l’opération comme une avance de trésorerie du fisc. Grâce au PER, vous allez pouvoir placer et faire fructifier pendant de nombreuses années de l’argent que vous auriez dû payer en impôts. Le PER n’est pas un produit pour tout le monde. Si l’on ne paie pas ou peu d’impôts, il n’est pas vraiment intéressant et il vaut mieux privilégier l’assurance vie qui restera disponible à tout moment en cas de besoin. En outre, l’assurance vie procure des avantages fiscaux non négligeables 8 ans après son ouverture. Elle allège toujours les droits de succession tout en s’affranchissant, sous certaines conditions, de l’ordre successoral ».

La pédagogie, c’est la répétition

En bref, assurance vie ou PER, face à la faiblesse des taux et au retour de l’inflation l’avenir appartient aux audacieux·ses. Le fonds en euros ne suffira plus à faire fructifier un patrimoine. Tâche aux professionnel·les de la finance de faire passer le message. Et ce n’est pas gagné. « Nous continuons de constater la grande prudence des épargnants. Allergiques au risque, ils restent très attachés aux fonds en euros, qui ne rapportent pourtant plus rien aujourd’hui », indique Olivier Gentier, directeur général de la fintech Advize. « Je pense qu’il faudra beaucoup du temps aux acteurs de l’épargne (banquiers, assureurs, distributeurs, conseils) pour changer les habitudes des Français·es qui ont connu pendant 25 ans une assurance vie qui offrait des rendements attractifs tout en protégeant le capital », prévient le patron d’Advize. Pour David Charlet aussi, la mutation de l’épargnant·e ne se fera pas en un jour : « Encourager les épargnants à prendre davantage de risques est un travail de longue haleine, il faut faire preuve de pédagogie pour les inciter à investir dans des unités de compte, leur démontrer que, sur le long terme, les actions offrent le meilleur couple rendement/risque. » Dans cette perspective, estime Olivier Gentier, le numérique a un rôle majeur à jouer : « La digitalisation ouvre au conseil rapide de l’épargnant et à l’exécution tout aussi rapide des opérations que ses décisions engendrent, à moindre coût en raison des économies d’échelles liées au numérique. Cette numérisation va rendre également plus accessible à tous les épargnants la gestion de leur contrat en prodiguant les meilleurs conseils et en expliquant les choix du gérant ou de l’allocataire. »

Numériques ou pas, les marchés financiers sont actuellement sur un petit nuage dont ils ne manqueront pas de descendre un jour ou l’autre, assommés par un nouveau cygne noir, autre que la pandémie. À ce moment-là, espérons que les thuriféraires de la prise de risque auront été de bon conseil.

Pierre-Jean Lepagnot

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