La question de la fiscalité en Europe
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Les besoins de financement, dans nombre de secteurs, sont croissants. Et pourtant la question de la fiscalité semble oubliée à quelques jours des élections européennes. Une analyse signée Jacques le Cacheux, professeur d’économie à l’université de Pau et des pays de l’Adour (Uppa). Et publiée par The Conversation

L’Union européenne (UE) et ses États membres font face à une contrainte budgétaire croissante. Aide militaire et financière à l’Ukraine, investissements pour la transition énergétique et écologique, « réarmement » industriel et numérique, les besoins de financement semblent aller croissants de même qu’au niveau national dans les secteurs de la santé et du grand âge, dans l’éducation et l’enseignement supérieur ou encore dans les infrastructures. Les recettes fiscales, elles, peinent à suivre cette progression.

La majorité des États-membres affichent déjà des taux d’endettement public supérieurs à la limite de 60 % du PIB que l’UE s’est auto-imposée depuis le lancement de la monnaie unique. Le passif des pays méditerranéens, dont la France, dépasse largement les 100 % du PIB.

L’UE elle-même a décidé, en 2020 dans le contexte de la pandémie, de s’endetter à hauteur de quelque 800 milliards d’euros, tout en annonçant à ses créanciers qu’elle ne rembourserait cette dette quà partir de 2028. Elle ne dispose pas, pour l’instant, des ressources qui permettraient un tel remboursement tandis que la hausse des taux d’intérêt a rendu cet emprunt plus coûteux qu’anticipé. En juin 2023, la Commission européenne a proposé de se fonder sur trois ressources propres pour rembourser l’emprunt : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le système d’échange de quotas et les bénéfices des entreprises. L’idée d’une taxe dite « Tobin » sur les transactions financières n’a pas été retenue pour l’heure.

Le remboursement de cette dette semble bien un enjeu caché des élections européennes à venir. Très peu présent dans les débats, il rejoint la vaste problématique qu’est celle de l’harmonisation fiscale, une question soulevée dès les premières heures du marché commun et au cœur de nos travaux.

L’impasse dans laquelle se trouvent les finances publiques européennes est, certes, en grande partie, la conséquence des règles qu’elle s’est imposées. Il y a tout d’abord les critères de Maastricht, entrés en vigueur en 1994 et qui plafonnent les déficits publics à 3 % du PIB par an et les dettes publiques nationales à 60 % du PIB. Plus récemment, l’UE s’est engagée à ne pas contracter de nouvelles dettes et de rembourser celle émise depuis 2020 dans le cadre du grand plan NextGenerationEU. Mais ces difficultés résultent aussi de l’incapacité des 27 à instaurer une fiscalité européenne. Ils semblent même laisser prospérer entre eux une concurrence fiscale aux effets délétères.

Des stratégies non coopératives entre partenaires

La mise en place, en 1993, du Marché unique a permis une plus grande mobilité, non seulement des biens et services, mais aussi des entreprises et des capitaux. C’est encore plus vrai pour les actifs immatériels des entreprises comme les brevets ou les marques. Or, leur importance dans la création de valeur s’est accrue au cours des trente dernières années.

Un temps envisagée, l’harmonisation fiscale entre les douze pays qui constituaient alors la CEE n’a finalement pas été mise en œuvre, à l’exception de quelques règles générales sur la TVA. Les décisions communes en matière de fiscalité restent soumises à la règle de l’unanimité, de sorte que chaque État membre possède un droit de veto.

Un tel environnement économique et institutionnel ne pouvait que favoriser la concurrence fiscale. Des stratégies non coopératives ont pu se mettre en place visant à attirer les entreprises, les investissements, et plus généralement les assiettes imposables les plus mobiles des pays partenaires voisins. Cette course au moins-disant fiscal, dans laquelle les plus petits États comme le Luxembourg, l’Irlande, Chypre ou Malte ont un avantage décisif, a eu pour conséquence une baisse spectaculaire des taux d’imposition des bénéfices des sociétés, plus forte en Europe que dans le reste du monde : entre 1985 et 2020, la moyenne européenne de ce taux est passée de 50 % à 21 %.

En parallèle, les gouvernements nationaux ont rivalisé d’inventivité pour créer des niches fiscales (comme le Crédit d’impôt recherche en France), des régimes fiscaux dérogatoires favorables (pour les royalties de la propriété intellectuelle ou pour les holdings par exemple), chacun jouant la stratégie du paradis fiscal au détriment des partenaires européens.

Inégalités et injustices

Outre qu’elle prive les États les moins agressifs de recettes, cette concurrence fiscale engendre de profondes injustices. Les grandes entreprises, plus mobiles et reposant davantage sur les actifs immatériels, supportent, en moyenne, un taux d’imposition plus faible que les PME grâce à cela.

Le besoin de recettes fiscales pousse, en outre, les gouvernements nationaux à augmenter les prélèvements sur les assiettes les moins mobiles, comme la consommation. La moyenne européenne du taux de TVA est ainsi passée de 19,5 % en 2008 à 21,5 % en 2020.

Cela ponctionne davantage les citoyens les plus modestes relativement à l’ensemble de leur revenu. Dans le même temps, les prélèvements sur les revenus du capital ont été allégés, toujours pour attirer ou retenir les capitaux et les personnes les plus mobiles, de sorte que les contribuables les plus aisés, dont les revenus proviennent davantage du capital, supportent des taux effectifs d’imposition moindres que les classes moyennes.

Grâce à l’accord mondial obtenu en 2021 sur l’imposition des multinationales, l’UE s’est enfin dotée d’un plancher à cette course vers le bas : depuis le 1er janvier 2024, un taux minimum d’imposition de 15 % sur les bénéfices des multinationales dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros est appliqué. C’est un petit pas sur la voie d’une fiscalité européenne des entreprises. Pour mettre un terme à la concurrence fiscale dommageable, il faudrait en outre harmoniser l’assiette (le bénéfice imposable), comme le propose la directive Assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS) qui dort dans les tiroirs de la Commission depuis 2016, faute d’accord unanime des États membres.

Il serait alors possible de créer un impôt européen sur les sociétés, par exemple au taux de 10 %, tout en laissant aux États membres la possibilité d’imposer eux aussi ces bénéfices, à l’image de ce qui se pratique aux États-Unis. Les revenus des entreprises y sont taxés par différentes strates géographiques, fédérales, par État et par ville ou par comté. Cette nouvelle ressource alimenterait un budget européen qui semble en avoir désespérément besoin.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence creative commons. Lire larticle original.

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