L​e repreneuriat s’apprend-il ?​

Des repreneurs sont prêts à tout pour que le cédant accepte enfin de lâcher son bébé à un prix raisonnable…
Des repreneurs sont prêts à tout pour que le cédant accepte enfin de lâcher son bébé à un prix raisonnable…

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Un duo sinon rien

Alors que les besoins en repreneuriat s’accroissent, la professionnalisation est de mise – mais les repreneurs dans l’âme restent rares, quand les cédants doivent faire des efforts…

On annonce un boom des cessions d’entreprises dans les années à venir, avec l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers entrepreneurs – une sorte de grande vague démographique. En fait, la réalité semble plus complexe que cela. Mais les besoins seraient encore plus importants que ce que l’on pensait. En fait, depuis 2011, Alain Tourdjman, directeur des études économiques du Groupe BPCE, et Thomas le Dret, responsable de projets entreprises du Groupe BPCE, se sont penchés sur les cessions et les reprises des ETI et plus petites entreprises, avec l’objectif de faire un dénombrement réel, et non une estimation. « Jusqu’à présent, les chiffres avancés étaient des estimations basées entre autres sur l’âge du dirigeant : on pensait, peu ou prou, que seuls les dirigeants âgés transmettaient leur entreprise – un a priori complètement faux, en fait », explique Alain Tourdjman. Cette nouvelle analyse montre que le marché, jusqu’ici « sous-estimé d’au moins 20% », compte 75000 cessions par an (c’est un dénombrement a minima car il n’inclut pas les professions libérales, les autoentrepreneurs et les transmissions familiales des artisans), réparties entre TPE (45000), PME et ETI (15000) et artisans-commerçants (15000, a minima donc). « Le principal facteur qui explique une cession est, en fait, la taille de l’entreprise, continue Alain Tourdjman. Plus elle augmente, plus la probabilité de reprise augmente. Et c’est en fait très peu lié à l’âge : 80% des opérations de transmission de TPE se déroulent avant les 60 ans du dirigeant. » En fait, la grande vague démographique a déjà commencé, mais elle produit peu de cessions – plutôt un grand gaspillage. Faute de repreneurs, les dirigeants de PME ont tendance à rester en place, alors que dans le cas des TPE, elles se contentent de… disparaître. Pour une TPE de moins de trois employés, notamment, une mort naturelle est beaucoup plus probable qu’une reprise. Pourtant, les enjeux, notamment en termes d’emploi, sont d’importance – plus d’un million de postes par an rien que pour les PME et les ETI.

Des écueils avant rachat

Une explication possible à cette disparité est l’absence de législation incitative. Au début des années 2010, l’humeur était même à plutôt rendre presque plus difficiles des opérations de reprise : il était un temps question, dans l’Hémicycle, d’imposer une option de préemption pour les salariés. En comparaison, la création d’entreprise a, elle, été à de nombreuses reprises poussée sous le feu des projecteurs. Cela a poussé les entrepreneurs dans l’âme à fonder leur entreprise – mais les a du coup détournés de la voie de la reprise.

En plus, ces derniers se retrouvent confrontés à un univers complexe où naviguer. « Bien souvent, celui qui veut vendre ne veut pas l’afficher publiquement, car sinon, la banque s’affole, les clients et les salariés aussi », souligne Gérard Leseur, président de Réseau Entreprendre. Savoir ce qui est disponible demande donc au repreneur potentiel de chercher, activement, et – pour peu qu’il soit sérieux – d’éplucher les dossiers. C’est un processus long : une opération met entre 6 et 24 mois à se conclure. Il en résulte un manque criant de repreneurs, comparé au nombre de cédants. Que l’on ne s’y trompe pas, les torts sont partagés des deux côtés de la barrière : « Les cédants recherchent souvent le repreneur idéal, ce qui est chronophage », souligne Thomas le Dret. Cela les pousse également à refuser des offres.

Mais la raison principale expliquant le manque criant de reprises est plus fondamentale : il y a, sur le marché, une inadéquation entre l’offre et la demande, non seulement numériquement – il y a bien moins de repreneurs que de cédants – mais aussi sur les produits. Les repreneurs ont tendance à privilégier – c’est bien naturel – les entreprises qui se développent, ont du potentiel, une bonne rentabilité… « Ils ont envie plutôt de B2B, dans des domaines techniques, le luxe ou encore la mode ; leurs goûts et attentes sont arrêtés, et ne correspondent pas nécessairement au marché », souligne Patrick Lemarie, directeur général d’Intercessio. Les entreprises qui simplement fonctionnent – sans faire trop d’étincelles, mais de façon solide – sont peu regardées. Or elles constituent la grande majorité des offres disponibles.

Une professionnalisation bienvenue

La conjugaison de ce besoin croissant et de la complexité de la démarche provoquent une professionnalisation croissante du milieu. Si des associations comme le CRA ou Réseau Entreprendre, qui organisent des réseaux de repreneurs et de cédants, existent depuis le milieu des années 80, l’arrivée de conseils spécialisés est, elle, plus récente. Elle est justifiée notamment par le fait qu’une reprise d’entreprise pose des challenges bien particuliers. Sans même parler de réussir la passation de pouvoir dans l’entreprise ou élaborer des axes de développement : il faut préciser sa cible de recherche, puis chercher l’entreprise elle-même, mener les audits ad hoc, et enfin – et c’est loin d’être le plus facile – négocier avec le cédant. De plus, la grande majorité des repreneurs n’ont pas d’expérience entrepreneuriale. Ce sont des cadres, majoritairement entre 40 et 50 ans, parfois issus de grandes entreprises ; ils ne réalisent pas nécessairement le gouffre qu’il y a entre être responsable d’un service et d’une entreprise entière, ne serait-ce qu’en matière administrative…

Pour appréhender tout cela, les formations se dessinent à l’horizon : les Mines de Nancy viennent ainsi de lancer le premier programme en France de Mastère consacré au repreneuriat. « Tout est parti du rapport Dombre-Coste de 2015, qui dans ses préconisations incluait la formation du repreneur, explique Prisca Sellen, chargée de projet Repreneuriat aux Mines de Nancy. Les repreneurs ne sont pas outillés pour connaître le marché de la reprise, ni faire toutes les démarches, ni conduire la transition. » La formation, qui dure six mois, intègre des composants sur l’industrie du futur (les transitions économiques, managériales, écologiques, numériques…) ainsi que les aspects financiers, juridiques, patronaux, humains, etc., d’une reprise. « Cette première phase est suivie d’une deuxième, de six mois aussi, exclusivement consacrée au projet de reprise lui-même, avec un accompagnement par un mentor et des professionnels de la reprise », continue Prisca Sellen. Si le programme fonctionne bien, l’Université de Lorraine cherchera à l’étendre sur tout le territoire.

Trucs et astuces pour une bonne reprise

« Un repreneur peut évaluer un projet sous plusieurs angles : stratégique, financier ou ce qu’on pourrait appeler affectif, décrit Patrick Lemarie chez Intercessio. Ces dernières années, la finance est privilégiée au détriment des deux autres. » Pourtant, une reprise réussie devra incorporer toutes ces approches. S’il est essentiel de se pencher attentivement sur les audits, et d’examiner les chiffres, il est tout aussi important – si ce n’est plus – de nouer avec le cédant de bonnes relations. Dans l’opération de transmission, il est un partenaire, et non un adversaire ! « L’engagement mutuel est essentiel, souligne Bertand Carrot, en charge de la communication et de l’Internet au sein de l’association CRA (Cédants et repreneurs d’affaires). Dans l’idéal, le repreneur et le cédant co-construisent le projet de transmission, et ils élaborent ensemble la stratégie de développement de l’entreprise. » Il faut ensuite ne surtout pas hésiter à s’entourer d’aides, pour combler les manques de compétence en tel ou tel domaine. Tout d’abord, avocats et experts-comptables sont indispensables pour les démarches administratives, et sont de précieux conseils. « Une possibilité, pour faciliter les recherches, est d’embaucher un chasseur, mais le coût est souvent élevé », remarque Gérard Leseur. La facture peut se montrer trop salée, compte tenu des nombreux frais à engager par ailleurs (l’acquisition, les coûts administratifs et des experts-comptables, notaires, etc.), et du fait qu’un repreneur investit ses fonds personnels. Une autre option consiste à faire marcher le bouche-à-oreille. « Quand on veut acheter, il faut le faire savoir : CCI, syndicats, experts-comptables, banquiers – tous ceux qui pourraient être susceptibles de faire remonter des informations sur des cessions », souligne Gérard Leseur. C’est l’un des atouts majeurs proposés par les associations dédiées à la reprise, qui regroupent déjà un bon panel d’offres.

Mais le plus important est probablement de rester ouvert aux opportunités. C’est, après tout, une qualité entrepreneuriale par excellence… Par exemple, Arthur Brac de la Perrière (37 ans) a repris, en 2011, JMT Peinture, dans le Lyonnais, pour la transformer en une entreprise spécialisée dans le domaine de l’éco-rénovation, Metiista. Voulant aller dans ce secteur d’activité, mais n’étant pas du métier, et n’ayant pas l’expérience pour se lancer seul (conclusion atteinte après sept mois d’apprentissage chez JMT Peinture), il s’est tourné vers la reprise – et, fait inhabituel, il s’est associé avec un ancien chef d’équipe de la société. « Ce n’était pas prévu au départ, explique Arthur Brac de la Perrière. Mais j’avais appris le métier avec lui, et quand il est apparu qu’il fût intéressé par l’association, j’ai tout de suite dit oui. » Les bénéfices ont été multiples : épaulé par un professionnel de longue date, formant un duo vraiment complémentaire, Arthur s’est retrouvé légitimé dès le départ, un atout non négligeable dans les relations avec les clients. Parti de quatre salariés, Metiista en compte aujourd’hui dix, même si la charge de travail reste aussi intensive qu’au premier jour. Et pour lui, le plus important reste l’équipe : « C’est sur eux que repose l’entreprise, explique Arthur Brac de la Perrière. Il faut prendre le temps de savoir avec qui l’on travaille. Et il faut avoir de la patience, ne pas se dire qu’on va faire fortune en trois ans, et être prêt à travailler dur… »

Les petits plus pour une cession aux petits oignons

Mais il n’y a pas que les repreneurs qui doivent plancher sur leur projet : on l’a dit, une transmission implique (au minimum) deux parties. « L’un des travers les plus courants du côté des cédants consiste à s’imaginer que son entreprise vaut deux fois plus que le prix de marché », souligne Bertrand Carrot. Trop fixés sur la valeur patrimoniale, ils ne raisonnent pas en termes de flux de trésorerie. Certains dirigeants l’acceptent mal et s’accrochent, pensant que ce n’est qu’une question de temps et qu’ils finiront par recevoir une offre à la hauteur de leurs attentes, mais ils sont souvent déçus… Par ailleurs, une reprise est, on l’a vu, un processus long, et les cédants ne doivent pas l’oublier. Ensuite, « il est indispensable de préparer son entreprise en amont pour la rendre attractive », souligne Bertrand Carrot. Séparer l’activité de l’entreprise de son immobilier, bien structurer son personnel, mettre ses dossiers au carré… Pour bien vendre, il faut se préparer deux ou trois ans à l’avance, tout en continuant ses investissements et son développement. En effet, mettre l’entreprise en roue libre risque de lui faire perdre une grande partie de son attractivité. En fait, il ne faut pas que le seul objectif du cédant soit de recevoir un chèque. S’il s’implique, réfléchit avec le repreneur sur la stratégie à donner à l’entreprise, il augmente les chances de réussite du transfert. Attention cependant à ne pas tomber dans l’excès inverse et rester dans l’ombre du nouveau patron, sans jamais vraiment partir…

Règlementation

La loi s’intéresse enfin à la reprise

S’il existe de nombreuses lois la favorisant, sous une forme ou une autre (administrative, fiscale, de financement…), la transmission d’entreprise a pendant longtemps moins bénéficié des faveurs gouvernementales. Même la loi Dutreil de 2003, qui instaurait des allègements fiscaux (75%) pour les transmissions par donation ou succession sous quelques conditions (notamment des durées minimales d’engagements collectif et individuel de conservation des parts), était principalement destinée à encourager la création d’entreprise. La loi de modernisation de l’économie, en 2008, a créé un abattement de 300000 euros dans le cas d’une transmission aux salariés (porté depuis à 500000 euros) ; mais la loi Hamon de 2013, qui instituait notamment une obligation d’information des salariés – avant d’être modifiée par la loi Macron, qui restreint cette obligation aux ventes de fonds de commerce – était même largement décriée. Mais le vent semble tourner, avec le rapport Dombre-Coste (sur des recommandations pour favoriser la transmission) remis en 2015 et la loi Travail de l’été dernier. S’il a fait peu de bruit dans la presse, l’article 94 a introduit un changement fondamental. Depuis 1928, un repreneur était dans l’obligation de reprendre l’ensemble des salariés affectés à l’activité – tout licenciement économique prononcé avant le transfert par le cédant étant considéré comme nul. Cette reprise systématique et imposée de toute la masse salariale pouvait freiner les potentiels nouveaux acquéreurs. La loi El Khomri autorise désormais les licenciements préalables à une reprise, sous certaines conditions : cela ne concerne que les entreprises de plus de 1000 salariés, pour lesquelles le transfert d’une ou plusieurs entités économiques est nécessaire à la sauvegarde d’une partie des emplois, qui envisagent de licencier au moins dix salariés dans une même période d’un mois, et qui acceptent les règles de consultation du Comité d’entreprise. Un premier pas dans la bonne direction, mais qui reste encore insuffisant aux yeux de certains.

Jean-Marie Benoist

 

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