Eric Lipmann, start-upper de 79 ans

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Beethoven 2.0

Marcher sur les platebandes de Deezer, Spotify et iTunes, quoi de plus simple pour Eric Lipmann, un « start-uper » de… 75 ans ?

C’est l’histoire d’un doux rêveur qui transforme son rêve en réalité, et peut-être en monnaie sonnante et trébuchante. Journaliste-meneur de jeu chez Europe 1 durant 17 ans, animateur d’une émission musicale chez TF1 durant trois ans, directeur de création chez Publicis, Eric Lipmann a enchaîné les aventures, durant lesquelles il n’a jamais cessé d’accumuler son trésor : une discothèque constituée de plus de 50000 albums, patiemment constituée depuis 1957, comportant du classique, du jazz, et bientôt tous les styles de musique, avec des fiches pédagogiques agrémentées de biographies, descriptifs, citations et appréciations, soit 250000 pages. A la fin des années 90 la découverte d’Internet ainsi que la rencontre avec Jacques Krischer, un informaticien musicologue qui est de 20 ans son cadet, vont marquer le début d’une nouvelle épopée. Contre toute attente le septuagénaire crée en 2011 une encyclopédie musicale en ligne : « Je ne suis pas visionnaire, mais j’ai agi de manière intuitive. Durant toutes ces années j’ai rêvé que l’interactivité existerait un jour et qu’il serait possible d’écouter n’importe quelle musique tout en obtenant de l’information. »

La quatrième vie

« Lorsque je travaillais dans l’audiovisuel, je rêvais déjà d’une émission où les gens téléphonaient pour demander une musique en donnant quelques vagues détails, et nous trouvions ce qu’ils cherchaient. » Storytelling ? Peut-être, chez cet ancien publicitaire à qui l’on doit la création de la marque Dim, le diminutif du “Bas du dimanche”. Mais il est en tout cas l’auteur d’une invention des plus savoureuses. Ce mélomane a élaboré un classement très personnel permettant aux non-initiés de découvrir les chefs-d’œuvre. Ces derniers sont répertoriés selon des mots clés émotionnels, afin que la personne obtienne la musique qui corresponde à son humeur. « L’idée m’est venue par ma vie de publicitaire, lors d’une réunion avec Owen Jones chez L’Oréal. Je lui ai dit dans la conversation que certaines musiques transformées en odeur seraient insupportables, ce qui l’a intéressé au point de me payer pendant trois ans pour assimiler des musiques à de nouveaux produits de beauté, en collaboration avec les laboratoires de recherche. Sans le savoir tout le monde dispose d’une culture musicale considérable, car les mélodies s’imprègnent dans le cerveau et sont associées à des émotions. La musique est un langage qui s’exprime autrement que par les mots. »

Du passionné au chef d’orchestre

Le start-uper en herbe, que le poids des années n’a jamais arrêté, suit alors l’apprentissage habituel et passionnant du défricheur. « J’ai toujours eu la conviction qu’il fallait être gratuit au démarrage. Musigratis a attiré 10000 inscrits qui m’ont permis d’améliorer le produit grâce à leurs retours. Puis un jour j’ai posé la question fatidique « Seriez-vous prêt à payer ? » », se souvient-il, obtenant 25% de retours. Et sur ces 2500, 70% étaient d’accord. Fort de cette enquête le mélomane devenu homme d’affaires a pu solliciter des investisseurs, d’abord un banquier qui a apporté 10000 euros, puis des business angels à hauteur de 100000 euros, qu’il voit au moins une fois par semaine pour bénéficier de leurs conseils. « J’ai fait les trois quarts des investissements par mon temps de travail et la mise à disposition de ma collection, évaluée à cinq millions d’euros. Si j’étais allé voir les financiers au début, avant d’accumuler, je n’aurais trouvé personne », précise le web-entrepreneur. Cet optimiste forcené a tâtonné sur le business model puis le pricing, avant de convenir d’un abonnement annuel de 20 euros et de vite parvenir à l’équilibre. D’où lui vient cette énergie créatrice ? Peut-être de sa formation primaire et secondaire américaine. La progression nazie a obligé sa famille juive à fuir durant la seconde Guerre mondiale, et ce natif de Besançon en 1938 s’est retrouvé dès l’âge de dix ans aux Etats-Unis où « le business coule de source. J’ai été marchand de bonbons, de journaux, et ai même joué le rôle de celui qui aide les enfants à traverser, avec mon badge et mon bâton blanc, pour gagner de l’argent de poche », se remémore ce mari d’une femme sculpteur qui possède trois galeries et prépare une exposition internationale.

Suite de la partition

« C’est une aventure qui ressemble à la vie, qui s’apparente à une naissance ; nous élevons notre bébé, nous voulons en faire un génie, nous empruntons », compare ironiquement ce père de cinq enfants, dont des jumeaux de 37 ans. Mais l’aboutissement du rêve n’empêche pas le réalisme. « N’oublions pas que le marché français ne représente que 6% du marché international », déclare ce parfait bilingue qui a toujours tout traduit en anglais. « Nous ne voulions pas attaquer le marché américain à cause de sa législation compliquée et des investissements colossaux qu’il exigeait. Après avoir rencontré des acteurs anglais peu coopératifs, nous avons trouvé un terrain d’entente avec des Allemands devenus nos partenaires, pour que nous proposions notre produit outre Rhin dès septembre. » La suite ? Ubifrance a réalisé pour la start-up atypique une étude sur trois pays, la Chine, le Japon et la Corée. « Le retour a été formidable, par des gens prêts à nous rencontrer et à investir. En octobre nous débarquons sur le marché coréen. Les implantations informatiques y sont gigantesques et surtout ils sont en avance sur l’e-book », déclare celui qui ajoute des musiques techno à sa collection. Sur la péninsule, l’e-book représente 45% du marché du livre, contre 25% aux Etats-Unis ou 3% en France. S’étant associé à une entreprise française spécialisée, le visionnaire compte bien réaliser les premiers e-books musicaux, avec opéras et encyclopédie musicale. Les charentaises et la télévision attendront…

Matthieu Camozzi

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