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A la Une - La culture d’alliance CLUb ENTREPRENDRE
réalisé des alliances, dont
du même secteur. Les al- « Ah zut... Les minus se sont mis ensemble, ils vont me donner du fil à retordre »
briques technologiques complémentaires, ils répon- dent au besoin des grands comptes pour un service complet, peu importe le nombre d’entreprises qui sont derrière », explique Didier Tranchier.
à l’international restent rares. Il faut bien souvent que les femmes et hommes soient issus de la même base industrielle, géogra- phique, qu’ils se côtoient dans les clubs », remarque Frédéric Le Roy. Le patron de PME a besoin de se sen- tir en confiance totale avant d’imaginer la moindre es- quisse de rapprochement. Celui de bioMérieux avec Fabre était par exemple une bonne idée sur le papier, aboutissant à une offre du diagnostic au traitement, mais c’était sans compter sur l’ego des fondateurs. Finalement le fait de faire cavalier seul est souvent un choix délibéré, avec un fondateur-entrepreneur qui suit une logique patrimo- niale – voulant que les en- fants prennent la relève – et non de croissance. Les homologues allemands sont plus des capitaines d’in- dustrie, contractant des al- liances et s’aventurant plus facilement au grand large pour viser la pérennité.
le partage de savoir et l’ap- proche collective. bien sou- vent ces puissants réseaux repèrent pour les PME les partenaires idéaux à l’étran- ger. Et si au niveau euro- péen on récompense la « coopétition », à l’exemple du programme Eureka qui finance les projets lorsque l’alliance se noue entre un grand groupe et une PME de pays différents, les en- couragements se font plus discrets en France. il faut descendre aux échelons de la région ou des métropoles, qui constituent des clusters locaux, pour trouver quelques dispositifs. Penser le développement de cette façon implique donc de quitter une vision binaire ennemi/ami, et de se rap- procher de la politique, voire de la diplomatie où ces frontières sont plus floues. Lord Palmerston,
SE RENFORCER SANS
GROSSIR
bien souvent ceux qui pas-
sent à l’acte aspirent para-
doxalement à l’indépen-
dance. Ne voulant pas gros-
sir ou emprunter, ils choi-
sissent de survivre sous
contrainte. inès bouzid,
alors enseignant-chercheur
à l’Université Paris Dau-
phine, a mené en 2008 une
enquête sur l’émergence
des innovations dans le ca-
dre des alliances straté-
giques de PME auprès de
180 d’entre elles : 80% ont
32% avec une entreprise
n-
liances ont été réalisées à 78% dans le but d’acquérir une nouvelle position stra- tégique sur le marché. Les concurrents s’aperçoivent souvent qu’ils sont plus
pour les alliances visant à innover, les acteurs se res- semblent trop au niveau lo- cal et le risque d’enferme- ment est présent ; il faut alors aller chercher l’allié
d’ailleurs plus se méfier médiat. « Le poste de vice- quand le partenariat est si- Président Business Deve- gné avec un grand groupe, lopment, chargé des parte- qui peut vite proposer le nariats, est d’ailleurs beau- concept à tout le marché. coup plus développé outre- L’alliance doit être effective Atlantique », glisse Didier
COUP DE POUCE
DES INSTITUTIONS Les pouvoirs publics ont aussi une part de respon- sabilité. Une analyse ou- tre-Rhin montre que les fé- dérations, branches, pôles de compétitivité, réseaux de compétence et centres de recherche appliquée jouent un grand rôle dans
un Premier ministre brita. nique, a dit un jour que « la Grande Bretagne n’a pas d’alliés ou d’ennemis permanents, seulement des intérêts permanents ». Un point de vue à méditer pour nombre de dirigeants de PME, quelle que soit la taille de ces dernières...
pourrait également expli- Le poste de Vice Président Business quer cette moindre appé-
Tranchier. Le côté affectif
Development, chargé des partenariats, est beaucoup plus développé outre-Atlantique
tence pour l’alliance en France. « C’est une question d’amour entre dirigeants : les relations personnelles et les réputations jouent énormément, c’est pourquoi les partenariats des PME
(1) « Stratégies de coopé- tition : rivaliser et coopérer simultanément » de Frederic Le Roy, éd. de boeck, 2010
Julien Tarby
complémentaires qu’ils ne s’y attendaient. L’autre n’est pas seulement ce celui qu’il faut battre à plate couture dans la théorie mercantiliste, il peut être un allié de cir- constance pour couvrir une zone territoriale forte et constamment réactualisée. Les PME, quelle que soit leur taille, nouent des al- liances pour y être présentes au bon moment avec la bonne technologie. Un che- minement de pensée suivi par Franck Molina, diri- geant de la biotech mont- pelliéraine SysDiag, qui est à l’initiative d’un cluster local, puis d’un cluster eu- ropéen parce que son espace vital s’étendait au-delà des frontières nationales. Se rendant attractif par cette stratégie, il a attiré des en- treprises de taille. L’entre- preneur vient de créer une unité mixte avec Alcediag, la filiale d’Alcen, dans le diagnostic médical. « Par- fois, et particulièrement
aux Etats-Unis ou en Aus- tralie. Le meilleur parte- naire d’un Français n’est pas souvent un Français, mais plutôt un Allemand », affirme par expérience Fré- déric Le Roy.
dans un domaine précis, et les accords de confidentia- lité (cf. encadré) sont requis pour faire prendre conscience que tout n’est pas à prendre à la hus- sarde », précise Didier Tranchier. Mais les réti- cences sont surtout à re- chercher dans une mentalité très française, où on ne peut pas être une chose et son contraire à la fois. La lo- gique de confrontation pré- domine dans les esprits, et les petits acteurs n’imagi- nent pas un seul instant se développer rapidement par eux-mêmes à l’internatio- nal, se faisant racheter par plus gros, ou cherchant au préalable à grossir, proces- sus long et aléatoire. Aux Etats-Unis les partenariats sont vus comme des déci- sions stratégiques qui relè- vent de la direction, quand en France ils sont perçus comme des décisions moins importantes, n’apportant pas de business dans l’im-
Usage et juridique
Les règles du jeu
DES OBSTACLES INDÉNIABLES
Mais pour ce chercheur, il importe de ne pas être naïf. « Il existe bien souvent dans les alliances un agenda ca- ché, qui consiste à appren- dre à faire ce que fait l’au- tre. » Et de citer les pôles de compétitivité, où l’at- tention n’a pas été portée sur la propriété intellectuelle au début. « Des PME ont été pillées. Des grands groupes ont faussement coopéré, organisant des fi- rewalls d’informations. » La société qui se lance dans les alliances doit apprendre à faire confiance au concur- rent, mais aussi à ne pas jouer le dindon de la farce. « Le risque existe. Il faut
Des outils facilitent la mise en œuvre de l’alliance : la déclaration d’intention avec une clause donnant la possibilité aux par- tenaires de se retirer à tout moment et sans pénalité s’ils n’arrivent pas à un accord les satisfaisant pleinement – la lettre de confidentialité qui est le document dans lequel chaque partenaire dit clairement sur quoi il s’engage – le projet stratégique de l’alliance avec le périmètre d’activité, les objectifs à atteindre, le rôle de chacun, les règles de partage des risques, des gains et du pouvoir et les conditions de sortie. Mais de l’avis de tous les experts, plus les accords des contrats sont élaborés, moins les alliances fonctionnent parce que tout est figé. « Mieux vaut déjà créer de la valeur, puis ensuite se disputer », ironise Didier Tranchier, dirigeant d’Adelit consulting et de l’executive MBA en innovation digitale à l’institut Mines-Telecom. Pourtant dans l’industrie pharmaceutique les contrats si- gnés avec des biotechs entourées de juristes
sont très précis. Chez les architectes au contraire les accords sont bien souvent tacites. Chaque secteur, et même chaque nationalité, a donc ses habitudes. « Les entreprises nord-américaines sont en théorie réputées plus formalistes, mais semblent plus ouvertes au partenariat. Parfois ceux- ci se nouent par email ! Elles veulent surtout aller vite », décrit Didier Tranchier. Pour ce business angel, une alliance est avant tout une volonté mutuelle, le contrat n’est que l’aboutissement. Il y aura sûrement des jeux d’influence entre partenaires, mais une bonne négociation en amont évitera les rapports de force. « La question ‘‘qui apporte quoi ?’’ est primordiale, car les bénéfices iront vers celui qui a le plus d’actifs dans l’alliance. Mieux vaut respecter un équilibre. » Les futurs partenaires doivent s’assurer qu’ils partagent les mêmes objectifs, les mêmes valeurs et la même vision du marché.
OCTObRE 2015 35


































































































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