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International - Projet de zone de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis PaNOraMa Focus sur un pays ou sur une problématique qui concerne plusieurs pays et interpelle la rédaction,
Du 2 au 6 février der- nier se tenait à Bruxelles le hui- tième tour de négociation de l’accord commercial en- tre l’Union européenne et les Etats-Unis : le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). D’ici fin 2015, les deux partenaires espèrent créer la zone de libre échange la plus importante de l’histoire, portant sur 45,5% du PIB mondial et un tiers du com- merce de la planète. Ob- jectif : stimuler les échanges internationaux pour soutenir la croissance sans grever les finances publiques.
aux réglementations tech- niques et de sécurité. L’UE espère aussi que l’ac- cord conduira les Etats-Unis à ouvrir leurs marchés pu- blics aux entreprises euro- péennes, alors qu’ils sont
députés eux-mêmes n’ont qu’un accès très restreint aux discussions. En outre, 11 pays se sont opposés à la diffusion du mandat de négociation qu’ils ont ac- cordé à la Commission eu-
fendre le TTIP. selon elle, il ferait gagner 119 millions d’euros par an à l’Europe, soit 0,5% de revenus sup- plémentaires. L’économiste Thomas Porcher, professeur à l’EsG Management
Troisièmement, les oppo- sants à Tafta craignent que l’harmonisation des normes sociales, sanitaires et envi- ronnementales se fasse par le bas. En effet, comme de nombreux secteurs sont concernés par l’accord, cela pourrait toucher les normes sanitaires pour l’alimenta- tion et la sécurité, la pro- tection de l’environnement, le contrôle de l’impact car- bone ou encore la protection des données numériques personnelles. Pour Thomas Porcher, « le risque est grand que l’on s’ajuste aux normes du pus fort. Or, dans de nombreux secteurs, l’Eu- rope ne dispose pas de poids lourds pour se mesurer aux Etats-Unis : dans l’électro- nique, six des plus grandes entreprises mondiales sont américaines, aucune euro- péenne. Dans l’informa- tique, les trois premiers ac- teurs sont américains. Dans la grande distribution, les Etats-Unis trustent les sept premières places. » Un né- gociateur de la Commission nuance le risque : « il n’y a pas de volonté d’unifier les préférences américaines et européennes. Les différences de choix de société, de va-
y a couramment recours.
Le Traité de la discorde
choisi en toute subjectivité
Déni de démocratie, harmonisation des normes par le bas, prise de pouvoir des multinationales : les critiques pleuvent sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.
« On enlève aux pays un peu de leur souveraineté », regrette Thomas Porcher. La Commission s’en défend, en faisant valoir qu’elle n’a pas inventé ces arbitrages, puisqu’en Europe, 1400 ac- cords bilatéraux de protec- tion des investissements ont déjà été noués par les Etats membres.
QUE CONTIENDRA L’ACCORD ? Compte-tenu de la confi- dentialité qui l’entoure, im- possible d’en connaître le contenu exact. Mais, sur les bases des traités récemment signés par l’Europe avec d’autres partenaires, comme la Corée du sud et le Ca- nada, et des confidences des négociateurs, il est pos- sible de s’en faire une idée. Il vise d’abord à abolir les barrières au commerce entre les deux côtés de l’atlan- tique. Cela implique les droits de douane, bien sûr, mais ils sont déjà très fai- bles : 5,2% en moyenne pour l’Union européenne, 3,5% pour les Etats-Unis, selon la Commission euro- péenne. La principale nou- veauté résidera dans l’abais- sement des « barrières non tarifaires », qui constituent aujourd’hui les principales entraves au commerce, en rapprochant les réglemen- tations et les normes. Les entreprises européennes es- pèrent ainsi réduire les coûts de mise en conformité pour faire traverser l’océan à leurs produits. Par exemple, 20% du coût d’une voiture fabriquée en Europe et ven- due aux Etats-Unis provient de sa mise en conformité
La plus grande zone de libre-échange de l’histoire est sur les rails.
ropéenne. Le mandat n’a été déclassifié par le Conseil de l’Union européenne qu’en octobre 2014, à l’ini- tiative de l’Italie, qui en as- surait la présidence tour- nante. La Commission est aussi accusée d’atteintes à la démocratie. En effet,
COURSE AUX VALEURS
Derrière ces négociations se jouent des enjeux géo- politiques plus vastes. alors que les négociations multi- latérales de l’OMC sont dans l’impasse, les négo- ciations bilatérales ont lar- gement pris le relai partout dans le monde. L’Union eu- ropéenne a ainsi récemment noué des accords avec la Corée du sud et le Canada. « Avec le TTIP, l’Europe et les Etats-Unis veulent s’as- socier contre les pays émer- gents, afin d’atteindre un poids suffisant pour leur imposer leurs normes », dé- crypte Thomas Porcher. En décembre, un lobbyiste bruxellois décrivait ainsi la situation : « Nous sommes engagés dans une compéti-
aujourd’hui réservés aux entreprises américaines. Il s’agira donc de convaincre Washington d’abandonner son Buy American Act pour un Buy Transatlantic Act plus collectif.
school, et co-auteur de l’ou- vrage « Tafta : l’accord du plus fort », conteste cette vision : « Les projections optimistes sur les accords de libre-échange se réalisent rarement. Par exemple, en 1988, le rapport Cecchini assurait que la création du
Le TTIP (Tafta en anglais) devrait également mettre en place un mécanisme de rè- glement des différends entre investisseurs et Etats, comme c’est le cas de nom- breux traités de libre- échange signés par l’Europe avec ses partenaires. Ce type de mécanisme confère plus de pouvoirs aux entre- prises face aux Etats, en leur permettant d’attaquer ces derniers devant un tri- bunal arbitral international.
L’Europe et les Etats-Unis veulent s’associer contre les pays émergents, afin d’atteindre un poids suffisant pour leur
imposer leurs normes
tion pour la convergence de la réglementation au ni- veau mondial. Qui réussira
QUELLES
CRITIQUES ?
Les opposants aux négo- ciations autour du Traité Transatlantique ont fait va- loir quatre grandes critiques. Premièrement, ils dénoncent l’opacité des négociations, notamment parce que les
La deuxième critique porte sur les études mises en avant par la Commission pour dé-
àimpo. Culturellement, nous sommes plus proches des Etats-Unis que de l’Asie. Mieux vaut donc se mettre d’accord avec les Etats- Unis, plutôt que la Chine nous impose à terme ses standards. » La course est lancée.
après qu’une pétition a ras- semblé plus d’un million de voix, comme l’exigent les traités, l’initiative ci- toyenne européenne « stop TTIP » a été lancée en juillet 2014. Elle aurait dû conduire la Commission à présenter une proposition législative pour stopper les négociations, mais Bruxelles l’a rejetée.
marché unique en Europe procurerait une croissance de 6,5% par an et entraî- nerait la création de mil- lions d’emplois... Il n’en a rien été ». La Commission est d’ailleurs contredite par certaines études, comme celle du chercheur Jeronimo Capaldo, de l’université de Tufts, aux Etats-Unis, qui annonce des pertes nettes en termes de PIB, des baisses de salaires et des destructions d’emploi.
leurs, de préférences col- lectives, vont perdurer. La Commission ne ratifierait pas un texte qui nierait ces différences ». Quatrièmement, le méca- nisme de règlement des dif- férends pourrait réduire le pouvoir politique des ci- toyens au profit des entre- prises. Ces dernières pour- raient en effet empêcher l’adoption de lois qui leur sont défavorables, à l’instar de l’industrie du tabac, qui
ser ses normes ?
Aymeric Marolleau
Mars 2015
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