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n°14
PANORAMA Grand Angle - L’Art de débattre
fices de communication et les astuces des décideurs pour faire accepter leurs idées et se faire aimer. Les formats informatifs se sont d’ailleurs diversifiés en ré- ponse à cette exigence, à l’exemple du « Petit Jour- nal » sur Canal+ qui se tourne vers l’envers du décor », dé- clare Julian Bugier, présen- tateur Joker de David Pujadas sur le JT de France 2 (cf. EcoRéseau n°13). Et les nou- veaux outils ont permis au public d’être attentif aux
l’homme politique, qui sait qu’il est devenu un produit de consommation », observe Franck Louvrier. Les tech- nologies ont accéléré le temps comme le décrit le sociologue Hartmut Rosa dans un livre qui a fait date (2), l’information doit être plus condensée et correspon- dre aux attentes immédiates, donc être moins chargée en contenu. Les décideurs s’adaptent, valorisant un peu plus la forme sur le fond, les petites phrases, « maniant
au cours du Deutschemark :
« Je n’aime pas vos mé- thodes. Je ne suis pas votre élève. Ici, vous n’êtes pas président de la République, mais mon contradicteur ».
AVIS D’EXPERT
Jacques Séguéla
communicant et publicitaire fondateur d’Euro RSCG devenu Havas :
« Ces petits gestes qui changent la donne »
« Chaque geste a un sens, porter le poing vers l’avant revient à frapper l’écran et à le faire sortir de la télévision. Il ponctue un argument fort, il porte l’estocade quand se replier sur soi revient à se protéger, à se défendre. Passer la main devant la bouche est une falsification de la parole. La position des doigts est cruciale : regardez un discours d’Obama, il sait pointer l’index pour mettre l’accent sur un passage. De la psychologie de bazar ? Peut-être, mais terriblement efficace. François Miterrand faisait partie de cette génération qui avait vu débarquer la télévision et qui la craignait. Les mains trem- blantes étaient sa hantise. Il se privait donc de la gestuelle alors que c’est le plus im- portant. Il m’a demandé conseil, et je l’ai encouragé à lâcher ses mains. Celles-ci pouvaient lui être fort utiles pour préparer une réponse, car en emboîtant une main sur l’autre - son fameux mouvement -, il attirait la caméra et obtenait un répit, un silence de réflexion afin de ciseler sa réponse. Ce qu’en temps normal on ne peut se permettre devant l’écran, au risque de paraître hésitant ou trop intellectuel. Taper sur la table peut être très positif, à condition que cela ne soit pas préparé. Un mouvement surjoué sera immanquablement décrypté, par les experts mais aussi dans les chaumières ».
AVIS D’EXPERT
Marwan Mery
fondateur de MMG, cofondateur de
l’agence des négociateurs, spécialiste en
lecture comportementale, expert en dé-
tection du mensonge :
© DR
A l’époque les débats étaient plus émotionnels. François Mitterrand ne pourrait plus se permettre certaines paroles aujourd’hui. On ne pourrait pas retrouver un débat Tapie / Le Pen, l’excès de testostérone serait mal vu. Les discours sont plus techniques pour ne pas être déformés, lassant la population qui en a soupé des énarques et politi- ciens. Sarkozy a été synonyme de renouveau en 2007 car il a su toucher le cœur des Français, remettant le champ émotionnel au cœur du débat. C’est l’inverse de Jean- François Copé qui est très bon techniquement, mais qui ne suscite pas d’empathie. Il a du mal à communiquer avec les sympathisants, souriant mais ne transmettant rien. Celui qui sera capable de passer au registre de l’émotion, du cœur par un langage sim- ple sera avantagé dans la course à l’Elysée. Même dans les Comex les interventions qui touchent le cœur avant de toucher la raison attirent plus l’attention.
DES MODALITÉS CHANGÉES PAR LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Si les décideurs, en véritables sophistes attentifs, recouvrent d’un vernis leurs discours, choisissent des mots valise très employés, à la charge
© DR
C’est d’abord la chaleur humaine, la conviction qui l’emporte. Les gens les plus simples, pas orateurs, spontanés, marquent souvent l’opinion publique
sémantique faible, c’est aussi parce qu’ils se sentent épiés en continu. « Les réseaux sociaux ont donné la possi- bilité à tout le monde de réa- gir en instantané, avec pour corolaire une langue de bois plus marquée chez les dé- batteurs », constate Marwan Mery. Le spectateur est tou- jours plus suspicieux ; un phénomène renforcé par la « peoplisation » de la chose politique. « Les gens veulent mieux appréhender les arti-
moindres mots, faits et gestes. Les dirigeants ne peuvent plus s’adonner aux exagéra- tions et envolées. « Ils pou- vaient se permettre d’être plus romantiques avant 1999 », glisse Elodie Mielc- zareck. Mais plus qu’un es- pionnage citoyen, les tech- nologies ont généré un phé- nomène de « consommation médiatique ». « La durée de vie d’une information devient courte, ce qui a sensiblement modifié le comportement de
La don’t do list du débat
7 Exemples concrets
la « détachabilité », ces petits bouts de déclaration qui peu- vent tenir tous seuls et faire le buzz », définit Jérôme Jac- quin. Le temps médiatique ne permet plus la pédagogie, qui est en fait réalisée en appui par d’autres vecteurs. « Le message ne peut plus être transmis par un politique face aux caméras, il lui fau- dra l’aide de relais, partis, militants sur le terrain... Une émission ne suffit plus pour donner confiance », insiste
Certains pièges sont des plus classiques dans le débat. Mais même les leaders rompus à l’exercice s’y laissent encore prendre :
-Se justifier quand on est attaqué, au lieu de répondre par une question.
-Etre trop agressif, car cela laisse dans tous les cas une mauvaise impression au spectateur.
-Rester évasif sans dater les évènements. « François Hollande commet à chaque fois l’erreur de parler au futur, sans date (« le gouvernement prendra cette décision »), ce qui donne l’impression que rien n’est précis, et que rien n’a été fait », déplore la sémiologue Elodie Mielczareck.
-Laisser transparaître grossièrement son malaise par sa communication non verbale : « un temps de réponse prolongé est un signe de faiblesse ou d’inconfort, se repositionner sur une chaise, détourner le regard, augmenter sa déglutition : « on le fait une 1 fois par minute, celui qui souffre atteint les 3 à 4 fois », explique Marwan Mery, fondateur de MMG, expert en détection du mensonge.
-Surjouer et se trahir quant à sa préparation pointilleuse. « L’anaphore du Président était par exemple trop longue, 3 points auraient suffi. Cela faisait trop récitation », cite Elodie Mielczareck.
-Rester dans le domaine purement technique en bon énarque. « Arrêtez les chiffres ! Parlez avec votre cœur ! », a ainsi asséné lors d’un débat Marine Le Pen à Nathalie Kosciusko-Morizet qui était empêtrée dans ses feuilles, prenant de ce fait nettement l’avantage.
-Rester dans le discours cortical, la langue de bois, « avec des verbes à l’infinitif, des tournures imper- sonnelles, des pronoms indéfinis (une, des...) au lieu de pronom démonstratifs (ce, ces... ) n’est pas une bonne idée. Ce sont des marqueurs qui montrent que celui qui parle n’est plus dans la relation avec autrui, et qui font que l’on décroche », explique Elodie Mielczareck.
« Dans 10-15 ans nous reviendrons plus à un langage du cœur »
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OCTOBRE 2014
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