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Grand Angle - L’Art de débattre PANORAMA
par des regards appuyés, sourires, gestes ouverts et mesurés. « Et pourtant il
écrit un ouvrage (1) sur la gestuelle de Lionel Jospin, qui est restreinte mais co-
pour faire passer leur mes- sage. « Si vous en avez un, dites que vous allez le dire,
lisation chez les politiques, qui emploient plus de tech- niques rhétoriques comme la liste de trois pour générer
pirer, de ménager des sus- pens par des silences... », cite pêle-mêle Jeanne Bor- deau. Les grands orateurs excellent aussi à se tirer d’un mauvais pas. « Le journaliste qui connaît mieux un sujet sur le plan technique repré- sente un gros risque par ses questions. Il faut se sauver de cette impasse, sans tou- tefois balayer d’un revers de main dédaigneux le su- jet », cite en exemple Mar- wan Mery, également expert en détection du mensonge. Dès lors les vieilles combines peuvent servir, comme re-
poser les questions pour ne pas répondre, ou tout sim- plement répondre à côté. Les pirouettes existent depuis longtemps. La technique de la question est d’ailleurs aussi une arme offensive : si le contradicteur ne sait pas répondre, l’interrogateur en ressort gagnant, si la ré- ponse est apportée, il en res- sort quand même supérieur en termes d’ethos. Ce qui a valu à Valéry Giscard d’Es- tain, lors du débat présiden- tiel de 1981, la réponse cin- glante de François Mitterrand pour éluder sa question quant
n’existe toujours pas
de
hérente, participant à
la
dites-le, et
dites que
vous
Les politiques manient de plus en plus la
« détachabilité », ces petits bouts de déclaration qui peuvent tenir tous seuls et faire le buzz
lexique du langage corporel, on trouve encore tout et son contraire sur la signification des gestes. Si la synergolo- gie, qui s’y attèle, est une discipline qui monte en puis- sance, c’est parce que la gestuelle en dit plus long sur la personne préparée, qui se trahira plus facilement qu’en parlant », soutient Elodie Mielczareck. C’est en effet à ce niveau que l’on remarque les moments de congruence. Laurent Fabius aurait peut-être évité son geste très bourgeois à l’en- contre de Jacques Chirac en 1985 lors de leur débat, en disant « cela suffit, vous par- lez au premier ministre de la France », après que son aîné l’eut traité de « roquet ». Le revers de main dédai- gneux de la part d’un mi- nistre de gauche est mal passé. « Tout est question de concordance entre le par- ler et le geste. Nicolas Sar- kozy a d’ailleurs éveillé l’in- térêt des chercheurs car il dégageait une certaine co- hérence et complexité qui étaient nouvelles dans le paysage télévisuel français au début des années 2000 », révèle Jérôme Jacquin, lin- guiste à l’université de Lau- sanne qui étudie les débats. De même Geneviève Calbris, chercheur en sémiotique, a
Etude de référence
Les conclusions chiffrées d’Albert Mehrabian, professeur de psy- chologie à l’université de Californie :
Dans un discours prononcé :
• 55% du message retenu est visuel
• 38% est vocal
• 7% est verbal
Les travaux de ce chercheur datent de 1971 mais ils éclairent encore quand il s’agit d’illustrer la terrible influence de la com- munication non-verbale pour véhiculer des émotions et des sen- timents. Les signaux non verbaux comme le sourire, le poing serré, les bras ouverts, la tête légèrement penchée en avant... permettent de traduire et d’appuyer l’intensité du message ver- bal. Nécessairement moins contrôlé, le non-verbal est une source d’informations précieuse dans l’interaction. Et quand il y a dis- cordance entre la parole et le geste, c’est ce dernier qui provoque au final les impressions dominantes.
l’avez dit », affirmait Wins- ton Churchill. Ils n’hésitent donc pas à le seriner par tous les moyens. « On constate une professionna-
des applaudissements », il- lustre Jérôme Jacquin. « A Sciences Po on apprend le « oui mais », la grammaire gestuelle, la manière de res-
bonne compréhension du message. « Les leaders ten- tent souvent de gommer leur gestuelle au début, ce qui est contre-productif. Un geste vers le haut pour symboliser une courbe qui monte est essentiel, plus que des mots chocs », soutient Ariane War- lin, qui entraîne des diri- geants dans leur prise de pa- role publique. Selon la consultante « ceux-ci ne sont pas encore assez coachés sur le non verbal, qui parfois les dessert. Des bras cachés sous la table signifiant qu’ils ont quelque chose à dissi- muler, des mains qui se frot- tent la joue ou touchent le nez pour se rassurer les tra- hissent ». Le langage et le corps sont complémentaires dans les débats. « Un déca- lage, un conflit, et les mes- sages deviennent illusoires, voire mal interprétés », pré- cise Marwan Mery, fondateur de MMG et cofondateur de l’agence des négociateurs, spécialiste en lecture com- portementale.
DES TECHNIQUES VIEILLES COMME
LE MONDE
Les décideurs, passés sur les bancs des meilleures écoles et de mieux en mieux pré- parés par des conseillers, utilisent toutes les ficelles
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