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n°14
PANORAMA Grand Angle - L’Art de débattre
AVIS D’EXPERT
ierry Saussez
ex-président de l'agence Image et Stratégie Europe, conseiller en communication :
« Le plus dur ? Choisir quand, où et pourquoi s’exprimer »
Ce qui a changé est évidemment l’omniprésence des médias. Préparer son débat par un ping-pong oral avec son entourage pour être prêt au jour J n’est plus d’actualité. C’est tout le temps qu’il faut être prêt, la réactivité doit être totale. Les défis des poli- tiques, chefs d’entreprises, syndicalistes... sont les autres moyens de faire passer son message que par des réactions dans les médias, en instantané, en réponse à leur solli- citation. Gagner l’autonomie de sa parole publique est le plus dur pour le décideur, qui doit pouvoir choisir quand, où, avec qui et pourquoi s’exprimer. Les Américains ont un marketing politique plus poussé avec des formules testées sur des groupes, les univers politiques sont plus délimités aussi : sur le plateau le leader doit se plier aux règles des médias, mais chez lui il impose tout). Les Français restent artisanaux dans leur approche, et c’est tant mieux. Les spin doctors n’ont pas vraiment existé ici, les politiques continuent de faire leur marché parmi les arguments de leurs différents conseils.
AVIS D’EXPERT
Jérôme Jacquin
linguiste à l’université de Lausanne
qui étudie les débats et l’interaction
avec autrui :
Thierry Saussez. Les études menées lors des débats pré- sidentiels révèlent sur les plateaux un plus grand dy- namisme. La parité du temps de parole est toujours scru- puleusement suivie, mais les interventions sont plus nom- breuses et plus courtes, les débats sont plus hachés, les gens n’hésitent plus à s’in-
tent toutefois les mêmes. Ceux qui s’en sortent le mieux les ont-ils appris, ou en étaient-ils dotés dès la naissance ? Question éter- nelle, qui appelle une double réponse. « C’est d’abord la chaleur humaine, la convic- tion qui l’emporte. Les gens les plus simples, pas ora- teurs, spontanés, sont sou-
petites classes toujours moins de temps à l’apprentissage de l’orthographe, et toujours plus sur la manière de ra- conter les histoires ou d’ar- gumenter. « Mais il ne faut pas se leurrer, le cercle fa- milial reste déterminant, c’est lui qui permet ou non la socialisation langagière des enfants », insiste le lin-
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« Sur les plateaux le risque est de parler hors contexte »
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Le registre émotionnel prédomine peut-être trop dans certains débats...
Dans les débats en assemblée la participation du public est plus forte. Il n’y a pas de régie qui rappelle les étiquettes des gens et présentent les débats. On se trouve plus sur les anciennes formes de communication, les interventions sont plus longues. Au contraire sur les plateaux les occasions de parler sont plus courtes, les protagonistes ne peuvent plus mettre en place la technique des trois arguments. Ils n’ont pas le temps et doivent modifier leur argumentation. Il leur faut parler à propos, et vite, caser l’ar- gumentation au bon moment. Le timing est plus important, l’enchaînement des phrases aussi. Il y a une lutte pour la prise de parole, pour caser la petite phrase qui fera mouche, car les débats se réorientent très vite. Le risque est de parler hors contexte. Des stratégies sont utilisées comme « je veux revenir sur... ». Il s’agit de sortir du ti- ming imposé, mais il ne faut pas en abuser, la technique est coûteuse, le médiateur peut sanctionner.
terrompre, les émissions sont plus courtes et l’intégration des spectateurs plus massive. « La tolérance à la parole d’autrui est plus faible et la place du journaliste est mon- tée en puissance. Auparavant il ne posait pas de questions, aujourd’hui il est celui qui oriente les débats par ses questions et présentations, son pouvoir structurant est fort, il présente, met en scène », décrit Jérôme Jac- quin. Ce qui laisse moins de place à un exposé structuré.
vent ceux qui marquent l’opi- nion publique », insiste Thierry Saussez. Le registre émotionnel est souvent de l’inné, on l’a en soi. « Nico- las Sarkozy renvoie à lui, il possède cette petite touche de mégalomanie pour confier un peu de lui-même », illustre Elodie Mielczareck. Et bien difficile d’améliorer artifi- ciellement ce trait de carac- tère. L’arrivée des spin doc- tors et des mediatrainers pro- fessionnalisent l’approche. Partout des formations voient le jour. Au Japon des écoles du débat pour adolescents ont ouvert leurs portes. En Suisse on consacre dans les
guiste Jérôme Jacquin. Les entreprises prennent conscience de l’importance de la forme, et allouent tou- jours plus de budgets pour accompagner les dirigeants. Faire passer des messages, gérer la déstabilisation... Il existe des outils que les coachs peuvent fournir. Mais si le participant au débat force trop le trait, il finit par ne plus être authentique, par ne plus convaincre. « L’in- tervention de DSK au 20h de TF1, où les images de ri- gidité et d’hyper contrôle ont prédominé, l’a prouvé. Il a été rationnel, mais ré- citant un texte, il n’a pas su
OCTOBRE 2014
Les grands principes à suivre pour plaire à l’auditoire res-
INNÉ OU ACQUIS ?
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