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n°24
PANORAMA Grand Angle - Le poids de l’économie souterraine
L'occasion pour EcoRéseau d'enquêter sur le sujet principal du panorama, politique, sociétal ou macro-économique
Lumière sur l'occulte
Complexe, protéiforme et mouvante, l'économie souterraine n’est pas qu’une vaste fraude à combattre.
L a France qui triche. Fraude, évasion ou paradis fiscaux, tra- vail au noir, blanchiment d’argent, économie grise, shadow banking... Non, vous ne lisez pas la punchline d’un reportage de haute vo- lée commandée par une chaîne de la TNT. Pourtant, telle est la vague idée que nous nous faisons de l’éco- nomie souterraine. Celle d’un monde où des per- sonnes morales comme phy- siques décident de se sous- traire à l’impôt, aux taxes et cotisations sociales, ou plus largement à la loi. Dans sa définition la plus étendue, l’économie informelle concerne tout et touche tout le monde : biens, services, personnes morales, per- sonnes physiques, vous et votre beau-frère y compris. Souterraine, elle ne le serait que dans l’adjectif qui la désigne – chaque pan de cette économie étant connecté avec l’économie formelle. il ne s’agirait donc pas de limiter l’économie souterraine au petit dealer des banlieues ou au plombier de l’Est qui ne déclare pas ses revenus. Encore moins à l’immigration clandestine, d’autant qu’aucune corré- lation entre l’essor de l’éco- nomie souterraine et ce type de migrations n’a été vérifié empiriquement. « L’écono- mie souterraine est protéi- forme et représente une part variable mais non négligea- ble du PIB selon les pays », constate bernard Farriol, conseiller au Centre écono- mique, social et environne- mental (CESE), rapporteur d’une étude sur le sujet(1). Et Olivier bongrand, avocat spécialiste du droit du travail chez SELARL ObP Avo- cats, de compléter : « Eco- nomie souterraine, économie informelle, économie grise... Il s’agit de notions qui ren- voient toutes à des activités non déclarées. Cela recouvre
Les pouvoirs publics apprennent à trier le bon grain de l’ivraie...
ce type de biens ou de ser- vices. Une concurrence dé- loyale pour les autres en- treprises et des employés non couverts pour ce qui est de la sphère profession- nelle. Un manque à gagner pour l’Etat... Les raisons de la combattre ou d’agir sont pléthoriques. Sauf peut-être dans certaines circons- tances ? En Outre-Mer par exemple, où le fameux « sys- tème D » est bien plus ma- nifeste qu’en Métropole. En Guyane par exemple, là où les taux de chômage, de pauvreté et d’immigration clandestine expliquent une part grandissante de l’éco- nomie souterraine. Une étude de la délégation d’Ou- tre-Mer datant de 2014 évoque d’ailleurs que le dé- veloppement de la micro- finance serait un levier pour ramener certaines activités dans le giron de la légalité. D’autant que cette forme d’économie informelle reste une manière de lutter contre le chômage, d’arrondir les fins de mois et de garder un climat de paix sociale, selon une étude de l’Adie. A La Réunion, nous retrouvons peu ou prou le même constat : le travail non dé-
Drogue et prostitution
A inclure dans le PIB ?
Au Royaume-Uni, la drogue et la prostitution ont contribué au PIB à hauteur de 11 milliards d'euros en 2014 sur les 2193 milliards. Au même titre que la R&D et les équipements militaires, la drogue et la prostitution n'ont cependant pas participé à la croissance britannique. En 2010, en Es- pagne, ces activités n'auraient représenté que 0,85% du PIB. Malgré la volonté d'Eurostat intimée aux Etats membres d'intégrer ce type de données, certains pays dont la France refusent de comptabiliser ce pan de l'économie souterraine. L'INSEE soutient effectivement que ces échanges ne sont pas librement consentis et de- meurent une sorte de mirage économique. Depuis lors, l'institut national a mis un peu d'eau dans son vin en inté- grant les données liées au trafic de drogue en France pour calculer le PIB en fonction des nouvelles directives euro-
péennes.
mulation des revenus repré- sentait deux tiers de l’éco- nomie souterraine. Autre chiffre, « une progression de 170% entre 2008 et 2013 est à noter en matière de redressements effectués par l’URSSAF. Cette progression ne signifie pas que l’éco- nomie souterraine progresse mais relève d’un renforce- ment des contrôles », com- plète le conseiller au CESE.
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OCTObRE 2015
minorent les heures travail- lées ou embauchent sur de courtes périodes sans dé- clarer – dites grises. L’his- torien et sociologue Pierre Rosanvallon(2) circonscrit le souterrain dans le manque de rapport à l’Etat. Le concept est large et agit sur chaque aspect de la vie éco- nomique. Décryptage.
duPIBetentre7à19%du total des emplois en Eu- rope », chiffre bernard Far- riol. En France, l’ensemble de ces activités est estimé à environ 10,8%. La France fait ainsi partie des bons élèves européens avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et les pays nordiques, loin devant la bulgarie (31,9%),
la richesse d’un pays en partie par sa criminalité ou sa fraude. Mais selon les économistes, ces sommes, mises bout à bout, repré- sentent la première source d’activité en Europe », sou- lève bernard Farriol. Au- trement, le cabinet AT Kear- ney, en 2013, soutenait que le travail au noir et la dissi-
Les travailleurs au black sont nombreux, et souvent bien cachés...
NÉCESSAIREMENT UNMAL?
L’économie informelle touche tout le monde. Et surtout de manière néfaste bien que, selon certains éco- nomistes, deux tiers de l’ar- gent seraient réinjectés dans les circuits légaux et se re- trouveraient sous forme de consommation ou d’inves- tissements. Quels effets né- gatifs souligner ? D’abord, une baisse de la « morale fiscale et citoyenne » et de la foi dans les institutions qui pose la question sui- vante : le travail au noir est- il bel et bien quelque chose de honteux ? Puis, bien évi- demment, une forme de pré- judice aux consommateurs, qui n’ont ni recours ni ga- rantie lorsqu’ils marchandent
l’économie des activités pro- hibées (activités délictuelles ou criminelles) mais aussi le travail dissimulé ». Autre différence conceptuelle à préciser, les valeurs noires et grises désignent par ail- leurs les activités qui s’af- franchissent totalement des obligations déclaratives – dites noires – de celles qui
DEUX POIDS,
DEUX MESURES... Même s’il s’agit de quanti- fier l’inquantifiable, le CESE estime à 2100 milliards d’eu- ros en Europe, 230 milliards en France, le poids écono- mique de l’économie sou- terraine. Autrement dit, « l’économie souterraine représenterait entre 7 à 16%
l’italie ou la Grèce, et juste derrière l’Autriche s’enor- gueillissant du plus faible taux européen avec 7,6% de son Pib. Dans le détail, sept entreprises sur 100 em- ploient des personnes sans les déclarer. « Prendre en compte l’économie souter- raine dans le PIB est ambigu car l’on souhaite montrer
L'économie souterraine représenterait
en Europe entre 7 à 16% du PIB (10,8% en France) et entre 7 à 19% du total des emplois