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n°14
PANORAMA Regard sur l’Actualité - Jacques Séguéla
« Pourquoi Nicolas Sarkozy a perdu en 2012 ?
Parce qu’il n’avait pas préparé son débat »
Le publicitaire Jacques Séguéla avait coutume de dire qu’il prendrait sa retraite à 100 ans, mais il vient finalement de franchir le pas à 80 ans. Le co-fondateur de RSCG n’est plus salarié d’Havas, mais garde une mission de conseil. Car l’homme aux 1 500 campagnes de publicités et aux
20 présidentielles a gardé un regard acéré sur la communication, les médias et l’actualité en général.
Nous nous intéressons à l’art du débat. Les déci- deurs suivent-ils des rè- gles immuables lors de leurs prises de paroles à la télévision ? Assurément. Tous les ex- perts s’accordent à dire que le faciès et le regard de celui qui parle détermine- ront son taux de sympathie et son charisme télévisuel. Ou plutôt sa capacité à sus- citer l’empathie de la popu- lation. Passer à côté de cette qualité peut affecter les carrières politiques des plus compétents. Puis vient la gestuelle, la mélodie du discours, et seulement en- suite le contenu et l’argu- mentation. Bien-sûr le « dit » est amplifié les jours suivants par les reprises des journaux, mais souvenons- nous que seulement un français sur deux lit la presse. On dit d’ailleurs « vu à la télé ». Les déci- deurs doivent donc travail- ler le langage de leur corps, leur communication non verbale. Ils doivent sourire de manière juste et sponta- née, et quand j’entrevois les dents serrées de Manuel Valls ou le visage fermé de Najat Vallaud Belkacem, je me dis que ces fondamen- taux ne sont pas toujours maîtrisés. Pour résumer, la forme sert à faire passer le
Sur les plateaux les déci- deurs ne s’expriment tout de même pas de la même façon qu’il y a 25 ans ?
Les règles ont toujours été les mêmes. Ce qui a évolué est le profil des protago- nistes. Les politiques, éco- nomistes, artistes et célébrités se sont émanci- pés devant les caméras à partir des années 80, dans
technologies n’influen- cent-elles pas la manière d’argumenter et de se comporter ? L’immédiateté, l’instanta- néité de la retransmission des informations et des réactions ont effectivement un effet. Amusez-vous à vi- sionner un discours de de Gaulle à la télévision. Celui qui passait pour un Dieu télévisuel ne plairait pas aujourd’hui. Ses mes- sages étaient appris par cœur, et il les répétait de- vant sa femme avant le pas- sage à l’antenne. Ce langage était très ampoulé, démodé. Il apparait claire- ment que la scène date de 60 ans. La langue a évolué, les phrases sont plus
toutes ces raisons les déci- deurs suivent les mêmes rè- gles, mais ne s’expriment plus de la même manière. Attention tout de même à ceux qui prennent inces- samment en compte les réactions des réseaux so- ciaux ; ils sont condamnés à des discours à l’eau tiède. Il vaut mieux asséner des vérités et se faire parfois piquer sur la toile. Cette at- titude est plus payante sur la durée.
Quelles sont les person- nalités de premier plan qui s’en sortent le mieux dans cet exercice ? Certains parviennent à sus- citer l’empathie naturelle- ment, comme Nicolas
Un mouvement surjoué
sera immanquablement décrypté, par les experts mais aussi dans les chaumières
fond.
le sillage d’un François Mitterrand qui a libéré la parole médiatique, alors qu’il avait peur de la télé- vision initialement. Le fait de cultiver son jeu de mains a d’ailleurs été une libération mentale pour lui. Et puis la préparation s’est vraiment professionnalisée. Ici, dans l’une de nos agences, une équipe de six personnes donne des cours
de media training. Cette discipline était au début as- surée par des journalistes, mais nous avons ajouté la dimension de stratégie pu- blicitaire. Nous préparons des décideurs à affronter, et même à utiliser les camé- ras. Savez-vous pourquoi Nicolas Sarkozy a perdu son débat en 2012 ? Parce qu’il ne l’a pas préparé. A 11h, Henri Guaino a frappé
© DR
à sa porte en lui disant que son agenda de l’après-midi avait été aménagé, mais Nicolas Sarkozy lui a ré- pondu qu’il savait ce qu’il avait à dire. Pendant ce temps, François Hollande devait répéter son anaphore devant la glace...
Chaînes d’informations en continue, réseaux so- ciaux... Les nouvelles
courtes, peut-être pour évi- ter de vraiment se livrer. Auparavant les chaînes d’information en continu n’étaient pas prises au sé- rieux par les décideurs, qui se lâchaient dans ces petits studios, quand ils faisaient très attention sur les chaînes généralistes TF1 ou Canal+. Aujourd’hui, avec les reprises Internet et la montée en puissance de ces chaînes, ils sont sans cesse sur le qui-vive. Même sur les radios, où la parole est censée être plus libérée, la donne change parce que les invités sont de plus en plus filmés. Pour
Sarkozy, Bernard Kouch- ner, Bernard Tapie, Jean- Louis Borloo, François Bayrou, Nicolas Hulot ou Anne Sinclair. D’autres ont du mal, comme François Fillon ou Alain Juppé. Lio- nel Jospin a en partie perdu la présidentielle sur ce point. Il n’a pas voulu pa- raître différent aux yeux des Français de ce qu’il était et a donc continué à dégager cette image de ri- gueur et d’austérité. Un choix honorable, mais qui l’a desservi. « Dans la rue je ne vais pas prendre dans mes bras des enfants que je ne connais pas. Tu le ferais
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