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n°14
STRATÉGIE & INNOVATION NUMÉRIQUE Haute résolution - Brevets dans le numérique
ce que serait Internet au- jourd’hui si le html avait été la propriété d’une entreprise ? Dans le monde numérique, une autre complication est que bon nombre de créations sont plus le fait d’une com-
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la question. Le numérique a, en fait, besoin des deux op- tions, et ce qui se passe en pratique le démontre. « Quand bien même le débat idéologique est encore très vif, dans les faits, il y a une
développer des stratégies tournées vers l’open source. De nombreux acteurs de pe- tite taille adoptent des mo- dèles à mi-chemin, mêlant le gratuit et le payant, l’open source et le service ; il existe
ment. Le problème, et prin- cipalement pour le logiciel, est que l’implémentation pra- tique de l’idée laisse fran- chement à désirer.
A quand les brevets 2.0 ?
L’affrontement continue entre les partisans des brevets dans le domaine du logiciel et ceux de la gratuité, même si, dans la pratique, les offres mélangent de plus en plus propriétaire et libre. Le vrai problème ? Les brevets actuels ne sont pas adaptés à l’univers du numérique.
a guerre des brevets munauté que d’un individu. espèce de convergence entre un éventail très large de li- logiciel. « Par défaut, ils sont dence a évolué, et l’écart secoue le monde nu- Elles sont donc perçues, dès les pro- et les anti- », souligne cences « creative commons », soumis au droit d’auteur, ex- entre l’Europe et les Etats- mérique : entre les le départ, comme un bien Vincent Lorphelin, fondateur qui permettent de donner plique Emmanuel Harrar. Ce Unis s’est resserré. Et l’Eu-
anti- et les pro-, le débat fait commun, sur lequel chacun de Venture Patents, une so- exactement la liberté d’accès qui est très différent de la rope travaille à mettre en
rage, surtout sur les réseaux sociaux. La position des pre- miers tient à l’idée même qui sous-tend la notion de brevet : l’effort de l’inventeur doit avoir une contrepartie. Une innovation, cela de- mande du temps, et des in- vestissements. « De manière générale, si l’on ne dispose pas d’un mécanisme qui per- met aux auteurs de se rému- nérer, il n’y a plus d’innova- tion », souligne Emmanuel Harrar, associé chez Dreyfus, un cabinet spécialisé dans la propriété industrielle et l’éco- nomie numérique. C’est d’au- tant plus vrai quand les ac- teurs en jeu sont des entre- prises, pour qui l’innovation n’est pas seulement le fruit d’une passion, mais un mo- teur essentiel de leur vie éco- nomique dans un univers concurrentiel. D’ailleurs, his- toriquement – car la question du brevet n’est pas nouvelle –, avant que les brevets n’existent, les inventeurs, soucieux de leur intérêt éco- nomique, ne dévoilaient pas leurs inventions. Et on disait que cela freinait le progrès. Les anti-brevets soutiennent quant à eu le point de vue que limiter l’accès à une in- novation, c’est forcément li- miter les possibilités de nou- velles idées qui pourraient en surgir. Surtout quand cette innovation se généralise et s’impose dans les usages. Qui peut dire, par exemple,
est libre d’apporter sa contri- bution. Quand une entreprise
ciété de conseil en brevet d’usages. Tous les grands ac-
voulue.
Mais ces convergences ne
propriété industrielle. » Un brevet protège en fait une invention technique. Du coup, ce qui peut être breveté en Europe, c’est l’application technique d’un logiciel. En comparaison, aux Etats-Unis, breveter un logiciel n’est pas un problème – ce qui explique d’ailleurs pourquoi la plupart des procès impliquant les so- ciétés qu’on appelle Patent Trolls se déroulent là-bas. Car le deuxième problème, c’est qu’un brevet est par dé- finition lié à un territoire. C’est, après tout, un contrat entre l’inventeur et l’État. Ce qui veut dire qu’évidem- ment, tous les pays n’accor- dent pas des brevets à la même chose, et que si l’on veut se protéger sur tous les marchés potentiels, il faut déposer une demande sur chacun. À l’heure de la mon- dialisation, et particulièrement pour le numérique, c’est un frein considérable.
place un brevet européen – qui éviterait d’avoir à déposer un dossier par pays signataire. Mais cela n’est pas suffisant. Les particularismes du monde numérique (vitesse et com- munautarisme notamment) demandent des brevets qui leurs soient adaptés. Par exemple, « maintenant que l’on a des outils de traçabilité des contributions en ligne, on peut attribuer à chacun sa part de contribution à un bien commun, et aboutir à une sorte de copropriété in- tellectuelle massive », décrit Vincent Lorphelin. Une autre piste possible est l’installation d’un système de licence obli- gatoire, comparable à ce qui existe dans le monde de la
Les contributeurs à un logiciel libre sont partout, même au sommet...
teurs historiques du libre – Google, Samsung, Facebook, Twitter, etc. – se sont mis à utiliser des brevets, contraints par la réalité économique ; Google en a même fait sa stratégie. Et tous les grands acteurs du format propriétaire, IBM, Apple, Microsoft, etc., contraints par la réalité des écosystèmes – le Cloud com- puting est construit sur du logiciel libre –, se sont mis à
résolvent pas tous les pro- blèmes, notamment ceux liés à l’utilisation même de bre- vets. Compte-tenu de notre système économique, son idée fondatrice est difficile- ment discutable : il est juste que la ou les personnes ou entreprises qui ont consacré du temps et de l’argent à faire émerger une nouvelle création soient récompensé de leur travail et investisse-
DES BREVETS 2.0
protège quelque chose né d’une communauté, le geste est perçu comme l’appro- priation d’un bien commun. Et restreindre, limiter, bre- veter, c’est freiner le pro- grès.
La bonne nouvelle, c’est que les choses bougent. Depuis deux-trois ans, la jurispru-
POUR ET CONTRE
En général, quand, des deux côtés d’un débat, la conclu- sion finale est la même, c’est qu’il y a un problème avec
Maintenant que l’on a des outils de traçabilité des contributions en ligne, on peut attribuer à chacun sa part de contribution à un bien commun
santé : l’.
tégée, mais l’exploitation ne peut pas être empêchée. Une chose est sûre cependant : un créateur doit pouvoir au moins avoir le choix du mode de partage de sa création – que ce soit pour en tirer profit ou pour en donner l’accès li- brement.
Jean-Marie Benoist
Le débat ne date pas d’hier...
L’opposition entre les partisans de la propriété intellectuelle et les tenants de la libre circulation des idées n’est pas neuve. La Convention de Paris, qui régit justement les problèmes internationaux liés aux brevets, a été signée en 1884 – et est encore en vigueur, avec quelques modernisations en chemin. De fait, on peut prouver (les documents existent encore) que le débat se produit de façon systématique à chaque révolution industrielle. C’est humainement compréhensible : plus une idée est adoptée, plus elle paraît évidente, et plus il paraît absurde qu’elle appartienne à quelqu’un. Et, dans chaque cas, les exemples soutenant les deux camps étaient nombreux et convaincants. « Le débat n’a jamais été tranché scientifiquement, souligne Vincent Lorphelin. Il l’a été politiquement. » Même la question du passage d’une création collective à un brevet industriel n’est pas neuve, puisque cela a été le cas notamment des technologies à vapeur et de la
voiture.
Historique
innovation est pro-
En effet, en Europe, on ne peut pas breveter tel quel un


































































































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