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n°14
PANORAMA Rétrospective
Dans chaque numéro, EcoRéseau vous propose de revenir sur un événement ou une institution qui fait l’actualité, en les mettant en regard de ce qu’ils étaient ou auraient pu être il y a un demi-siècle. Pas question de comparer l’incomparable, de fustiger ou de glorifier le passé. Simplement de montrer que non, ça n’était pas forcément mieux avant.
Auto : âge d’or et hache de guerre
CBrocardée en 2014 par excès de bien-pensance, l’automobile fut au milieu du siècle dernier un formidable vecteur de progrès social. Et c’est au volant de 2CV et de 403 que la France a négocié nombre de virages économiques, sociaux et politiques.
ombi Volkswagen, c’est entrer dans un système Devant tant d’attraits, le Fran- à être congestionnées, et la de la branche automobile pêcher par anachronisme en Renault 4, Citroën de consommation désiré et çais se rue chez le conces- société réfléchit à des logiques double » pour atteindre son plaquant des problématiques
e
2CV de 1976, Re- assumé, poursuit l’universi- sionnaire. Sur la décennie de rééquilibrage des modes maximum en 1978 avec du XXI siècle sur une époque
nault Megane de 2008, Peu- taire. Il s’agit d’un objet in- 1950, on note une progression de mobilité. En région pari- 350000 employés, toujours révolue, qui avait ses propres
geot 407 de 2006, Renault Twingo de 1999, Renault Clio de 1994, Opel Corsa de 2006, Peugeot 607, Citroën C3, Su- zuki Wagon R, Lancia Ypsilon de 2012. Les stocks d’un concessionnaire de voitures d’occasion de la banlieue de Valenciennes ? Non Mes- sieurs-Dames : le rutilant parc automobile de nos ministres, tels qu’ils l’ont couché dans leur déclaration de patrimoine du 15 mars 2013. Au-delà de la tartufferie insultante de nos gouvernants, cet inventaire en dit long sur le malaise qui entoure aujourd’hui l’auto- mobile de Lille à Toulon et de Brest à Strasbourg. La France n’aime pas les riches. Ni les grosses bagnoles. Rou- ler en BMW, c’est être fran- chement vulgaire. Ne parlons même pas des primates qui se ridiculisent en 4x4. Qu’on se le dise, le swag, c’est les voitures de « sans-dents ». Pourtant, il y a une éternité, au XXe siècle, l’automobile a connu son âge d’or. « La voiture, c’est l’objet roi du XXe siècle, où elle est associée à une forme de progression sociale, affirme Mathieu Flon- neau, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, et auteur en 2004 de Défense et illustration d’un automobilisme républicain. Essais libres (Descartes & cie, 2014). Dans les années 1950-60, la voiture a accom- pagné et supporté toute une série de transformations so- ciales importantes : l’appa- rition des classes moyennes, la périurbanisation, l’explo- sion des déplacements... » La voiture est d’abord un objet social. Une carte de vi- site qui dit son appartenance à cette France des « Trente Glorieuses », riche, prospère etfièredel’être.«Ilya50 ans, posséder une voiture,
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clusif, républicain. Mais l’au- tomobile ne revêt pas qu’une dimension matérialiste. Elle permet aussi de créer du lien
du taux d’équipement oscil- lant entre 5 et 10% par an. Selon l’INSEE, en 1960, 30% des ménages possèdent une
sienne, la décennie 1960 voit apparaître le RER. Les pre- miers couloirs de bus sont créés dans la capitale en
selon la même source. Il vaut donc mieux ne pas désespérer Billancourt... Quant aux questions environnementales,
valeurs et ses propres enjeux. N’oublions pas tous les as- pects positifs qu’a apportés l’automobile dans la société d’alors. » Malheureusement, la voiture n’a plus aujourd’hui le vent en poupe, et il est de bon ton de la brocarder. Pour l’histo- rien, « il s’agit d’une forme de schizophrénie. La voiture qui dérange, c’est surtout celle du voisin. Bien sûr, l’au- tomobile a perdu en partie cette dimension de valorisa- tion sociale. Mais c’est se tirer une balle dans le pied que de mépriser le secteur automobile et son écosystème patrimonial, en témoignant notamment une grande dés- involture pour certaines tra- ditions industrielles, sans souci de ménager des transi- tions économiquement sou- tenables. Si l’on prend en compte ce que j’appelle « l’automobilisme » – construction de véhicules pour particuliers, poids lourds, routes, tourisme, assu- rances... –, cela représente 10% des actifs français. » Les nouvelles formes de mo- bilité, comme les systèmes de transport en libre service ? « En étant sévère, on pourrait dire que ce sont des gadgets d’hyper centre-ville, que les gens payent cher au travers du coût du foncier de ces zones urbaines. De ce fait, ils sont aussi très « ex- cluants », puisque réservés à une élite économique qui peut vivre dans nos centres- villes. Et puis qu’on le veuille ou non, nous n’avons toujours rien trouvé de mieux que la voiture, ou le camion, pour permettre les déplacements du dernier kilomètre. » 50 ans après, la voiture tient
Olivier Faure
La voiture, objet de liberté
social entre les différentes générations, ou encore d’émanciper les jeunes gé- nérations. » Dans une France qui colonise les banlieues, la Peugeot 403 permet d’aller au travail. Dans un pays où
voiture. Ils sont 47,5% en 1965 et 57,6% en 1970. En comparaison, en 2008, 56% des ménages déclaraient pos- séder un accès à Internet à leur domicile... On roule donc autant en 1970 qu’on
1964, et quatre ans plus tard, certaines villes se dotent de quartiers piétons. »
Pour autant, cela n’érode pas l’image de la voiture. Politi- quement et dans la tête des 45 millions de Français, l’au-
elles ne se poseront qu’avec l’arrivée de l’écologie poli- tique dans les années 1970. Pour autant, tout n’est pas rose au royaume du Général. Surpuissante sur le plan éco- nomique comme politique, l’industrie automobile n’est alors pas des plus vertueuses. Ses voitures polluent et la production de masse bat son plein. Dans les foyers, on frôle l’addiction à l’automo- bile. Cela doit-il suffire à jeter l’anathème sur cette page de notre industrie automobile ? Non, répond fermement Mathieu Flonneau. « Bien sûr, il faut être intransigeant sur les questions de pollution, de congestion des centres- villes... Mais on ne doit pas
Dans les années 60, l’automobile
apparaît comme un objet de liberté
l’on quitte le village pour surfe en 2008, c’est dire. Et tomobile fait consensus. Et aller chercher du travail à la surtout, ce sont les classes pour cause : facteur de liberté, ville, on rentre manger le di- moyennes et populaires qui facilitateur de mobilité, elle manche chez ses parents en bénéficient de cette évolution. est aussi un pilier de l’éco- 4CV. Et on emmène sa copine « Pour autant, il ne faut pas nomie française, qui fait tour- au bal au volant de la confor- croire au mythe tenace ner des usines, et donne du table DS de son père. Bref, du tout-voiture, insiste Ma- travail aux ouvriers. Selon l’automobile apparaît comme thieu Flonneau. Dès cette pé- l’INSEE, « entre 1950 et un objet de liberté. riode, les villes commencent 1974, le nombre de salariés
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donc encore la route.


































































































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