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Le cœur artificiel Carmat du professeur Alain Carpentier sera peut-être considéré comme l’invention la plus importante de l’histoire de l’humanité. Retour sur une aventure industrielle hors norme.

Né de la rencontre de deux personnalités d’exception, le professeur de médecine Alain Carpentier et le capitaine d’industrie Jean-Luc Lagardère, le cœur artificiel Carmat symbolise ce que l’économie française pourrait gagner à réunir un peu plus souvent le monde de la recherche et celui de l’entreprise. Père de la chirurgie valvulaire moderne, le premier voulait absolument que son travail soit industrialisé en France. Il n’a jamais oublié que l’extrême prudence des grands patrons de l’Hexagone l’avait contraint à s’entendre avec les Américains de la société californienne Edwards, dans les années 70, pour développer ses valves cardiaques conçues en tissus d’animaux. Depuis, celles-ci ont véritablement révolutionné le marché de la chirurgie cardiaque et équipent aujourd’hui des millions de patients dans le monde. Le second n’a pas eu peur de relever le défi et a fait confiance au lauréat du prestigieux Prix de recherche médicale Albert Lasker 2007 pour mettre au point un cœur artificiel orthoptique, autorégulé et bioprothétique.
Car la prouesse scientifique n’aurait pas été possible sans un investissement lourd de la société Matra Défense (Ndlr : Carmat est un acronyme résultant des noms de ses fondateurs Alain Carpentier et Matra), dès le milieu des années 1990. Pendant plus de dix ans, Jean-Luc Lagardère a mis à la disposition de Carmat une équipe secrète dotée de fonds importants et des technologies les plus avancées de l’aéronautique en modélisation numérique, mécanique des fluides et systèmes embarqués. « Aujourd’hui, en intégrant les différents sous-traitants, une cinquantaine de personnes travaillent pour fabriquer le cœur artificiel Carmat. Si l’on additionne tous ceux qui y ont participé au cours des dix dernières années, plus de 100 personnes ont été impliquées dans ce projet, sans compter les équipes cliniques et médicales », précise Marcello Conviti, directeur général de l’entreprise.
A l’instar de toutes les start-up biotech qui fleurissent aujourd’hui aux quatre coins de la planète, Carmat est une société « dévoreuse de cash » et son avenir passe encore aujourd’hui par des levées de fonds importantes et par la confiance des investisseurs. « Mais à ce niveau-là, nous sommes directement impactés par le succès rencontré ou non avec les premières implantations que nous avons réalisées », souligne Marcello Conviti. Une dépendance très aléatoire, qui s’est retournée contre Carmat lorsque le premier patient implanté est décédé, le dimanche 2 mars 2014, 74 jours après l’implantation. Cours de Bourse en chute, Carmat a du faire le dos rond et attendre que les investisseurs digèrent la nouvelle. « Au début de cette année, l’officialisation du retour chez lui du second patient implanté, au mois d’août 2014, a incontestablement ramené la confiance. »
Plusieurs dizaines de millions d’euros de pertes
Une vertu qu’il convient d’entretenir, car l’entreprise est encore à un stade où elle doit investir lourdement pour aller au bout de son projet. Après le décès de Jean-Luc Lagardère, en 2003, Carmat a pu compter sur le soutien de Philippe Pouletty, un médecin français devenu capital-risqueur, qui a engagé son fonds Truffle Capital aux côtés du professeur Alain Carpentier. La banque publique Oseo est arrivée ensuite pour compléter la trésorerie de Carmat, l’aider à tenir jusqu’au marquage européen, c’est-à-dire l’autorisation d’implanter les cœurs artificiels en Europe, dans le courant de l’année 2015.
« Ensuite, nous devrions être en mesure de financer peu à peu l’essentiel de notre développement, en Europe tout d’abord, puis aux Etats-Unis », espère son directeur général. Une issue favorable derrière laquelle l’entreprise court en vain pour le moment, après avoir perdu plusieurs dizaines de millions d’euros depuis sa création. Entrée en Bourse sur le marché Alternext d’Euronext Paris à l’été 2010, Carmat a déjà levé près de 50 M€. L’entreprise pourra répéter l’opération dans les trois prochaines années, après avoir conclu un accord de « financement flexible en fonds propres » avec la société de services financiers Kepler Cheuvreux. Cette solution de financement innovante lui apporte une garantie et une flexibilité comparables à une ligne de crédit accordée par une banque.
Derrière cette « générosité » des investisseurs se cache non pas le signe d’une mobilisation derrière une cause humaniste, mais plutôt la conviction de l’énorme potentiel commercial du cœur artificiel développé par Carmat. Quelque 100 000 patients sont en effet en attente d’une greffe dans les principaux pays occidentaux et il y a moins de 4000 cœurs de donneurs disponibles chaque année dans le monde.
« Aujourd’hui, l’insuffisance cardiaque représente un véritable problème de santé publique, puisque plus de 15 millions d’Européens et six millions d’Américains en sont atteints », souligne Marcello Conviti. L’AHA (American Heart Association) estime que leur nombre augmentera de 25% à l’horizon 2030. Le coût est de plus en plus élevé pour la collectivité et 70% des dépenses sont liées aux hospitalisations répétées. L’AHA annonce un triplement des coûts directs liés à l’insuffisance cardiaque entre 2010 et 2030.
Face à cette inflation, le cœur artificiel Carmat représente une solution permettant le retour à domicile des patients avec une bonne qualité de vie et à un coût comparable à celui d’une transplantation classique. Le produit est destiné aux plus de 100000 patients atteints d’insuffisance cardiaque bi-ventriculaire irréversible ; son potentiel représente un marché adressable de plus de 16 milliards d’euros. Les clés indispensables pour que se rencontrent l’Histoire et une formidable success story entrepreneuriale.
Article réalisé par Jacques Donnay