JCDecaux, de la startup au groupe international

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JCDecaux fait partie de ces champions planétaires discrets qui, malgré l’ampleur de leur réussite et leur histoire, gardent un esprit entrepreneurial et innovant. Les secrets de la réussite selon Jean-Charles Decaux…

Comment définiriez-vous l’ADN du groupe ?

C’est l’histoire d’un fondateur, Jean-Claude Decaux, qui est visionnaire et qui a une telle soif d’indépendance, chevillée au corps, que seul l’entrepreneuriat peut lui convenir. Il n’a en poche que le Brevet. Sa famille est modeste, ses parents étaient propriétaires d’un magasin de chaussures à Beauvais. A 18 ans, il décide de se lancer. Outre cet esprit d’entreprise, il y a la volonté farouche de partir à la conquête de la France puis de l’international même si mon père ne parlait pas de langues étrangères, et le regrettait. Enfin je dirais l’envie d’attirer les talents ; lesquels n’étaient pas intéressés par une start-up au démarrage de l’entreprise. « Je le voyais dans leurs yeux », se remémore mon père.

 

Comment résumeriez-vous l’histoire du Groupe ?

Une décision cruciale a été prise tous les dix ans et a fait la différence. Il s’agit à chaque fois de ne pas rater le virage, car la fausse route est très difficile à quitter. La société débute dans la commercialisation de panneaux d’affichage qualitatifs au bord des routes nationales. Mais une loi de 1964, qui interdit la publicité sur le réseau routier et ne la tolère que dans les agglomérations, vient ruiner son business contrairement à ses grands concurrents Dauphin, Avenir ou Giraudy bien implantés dans les entrées de villes. Devant se réinventer, notre fondateur imagine le concept de mobilier urbain publicitaire. Il s’agit de fournir aux villes des équipements – des abribus dans un premier temps – de les entretenir gratuitement, avec comme contrepartie la commercialisation de la publicité. Ecosystème tripartite original profitant à la collectivité locale, à l’annonceur et au citoyen-contribuable puisqu’il n’y a pas de dépense publique. C’est l’invention d’un nouveau business modèle. De 1964 à 1975, la société est une start-up qui s’internationalise en Belgique et au Portugal. De 1970 à 1975, elle devient PME, puis de 1975 à 1980 ETI. En 1981, nous avons affiché notre ambition de devenir un grand groupe de medias européens dans la communication extérieure. S’en sont ensuivies dix années de conquête de l’Europe du Nord par mon frère Jean-François. Comme nous ne voulions pas nous diluer, nous n’avons pas eu recours à la dette, les cash-flows ont financé les pays les uns après les autres.

 

Avez-vous poursuivi cette conquête ?

Je suis entré dans le groupe à 21 ans en octobre 1989. Le « deal » familial était de ne pas travailler en France puisque c’était le territoire de notre père. J’ai donc commencé en Europe du Sud (Jean-Claude Decaux a transmis la direction de l’entreprise en 2000 à ses deux fils, Jean-Charles et Jean-François, NDLR). Nous avons décidé de rester concentrés sur la communication extérieure, mais de nous étendre géographiquement, notamment en Asie et aux Etats-Unis. Nous avons racheté Avenir en 1999 ; les medias ont parlé de « revanche » de mon père, mais le but était surtout de monter en puissance dans les lieux de transports comme les aéroports, métros, gares… Cette activité, qui réalisait alors 100 millions d’euros de CA, représente 1 milliard en 2015 ! Cette opération a néanmoins été vécue comme un choc en interne, car nous avions longtemps combattu le grand format. Notre culture devait évoluer.

 

Comment perpétuez-vous cette soif d’innovation ?

Elle est inhérente à la société et à son concept de mobilier urbain publicitaire. Nous possédons un bureau d’études intégré. Ecrans digitaux, écrans interactifs « Live Touch », vélos en libre-service à assistance électrique portative, etc., sont les preuves d’une vitalité que nous maintenons grâce à une culture forte et à un management incitatif insufflé aux collaborateurs de 100 nationalités différentes. Quand je vais en Chine ou au Japon, je rencontre les équipes de terrain, je visite les dépôts de véhicules… Je partage avec chacun notre souci du détail et de la propreté qui est à la fois l’image de l’entreprise et un vecteur d’adhésion fort. Nous essayons aussi de privilégier les rémunérations individuelles, y compris pour les personnels de terrain. Nous avons une politique d’intéressement et de participation motivante (1,5 mois de salaire en plus). Ce système de rémunération est cohérent car chacun est partie prenante des résultats de l’entreprise.

 

La taille est-elle un obstacle ou un atout ?

Présente dans plus de 60 pays, 3700 villes, 140 aéroports, 1000 centres commerciaux, l’entreprise, n°1 mondial de la communication extérieure, le Groupe emploie 11900 salariés, dont 3500 en France, où toute la R&D est réalisée. Le mobilier urbain représente 45% de notre CA, les lieux de transport 38%, l’affichage grand format 16%. Nous avons doublé le CA du Groupe entre 2000 et 2014 et sommes leader sur tous les continents, sauf aux Etats-Unis où nous sommes en quatrième position. Se développer est primordial pour relever les enjeux à venir que sont la transformation digitale de notre univers et la consolidation de notre marché. Ce secteur est en effet très capitalistique : il faut un investissement de 2 euros de Capex pour obtenir 1 euro de CA. En outre des concurrents sérieux se dessinent, les Google-Amazon-Facebook-Apple (GAFA). Dans un marché de la publicité qui est, en France, une eau stagnante depuis 2007, de nouveaux acteurs émergent. Nous nous devons d’être le groupe le plus innovant dans tous les lieux de contact physiques : centres urbains, gares, aéroports…

 

Comment se gère la différence de culture avec les collectivités ?

Chacun doit savoir rester à sa place avec ses propres atouts. Les nôtres sont notre capacité d’innovation et notre vitesse de réaction. L’administration ne doit ni ne peut tout faire. Son rôle est de lancer des projets. Je ne suis pas un affreux libéral en disant cela, c’est un sage principe de politique publique à mon avis. Plus de réalisations pourraient être confiées au secteur privé, afin de baisser les taxes et impôts.

 

Êtes-vous optimiste quant au modèle français ?

Les entreprises de grande taille sont pleinement entrées dans la mondialisation mais ce n’est pas encore le cas d’un certain nombre d’ETI. Avec un marché du travail trop rigide, tout dirigeant d’entreprise hésite à embaucher. D’où le chômage des jeunes, des seniors et les problèmes de formation qui sont récurrents depuis 30 ans. Il suffirait de quelques réformes structurelles portant sur le marché du travail, l’investissement productif, la dépense publique, pour que notre pays ne soit plus l’homme malade de l’Europe, mais au contraire un de ses leaders. Les jeunes Français ont envie d’entreprendre, et c’est formidable. Chez JCDecaux, nous continuons de revendiquer notre origine nationale, même si le modèle français se cherche. L’Hexagone est crédible en matière d’entrepreneuriat et d’innovation de par son histoire, ses habitants, son tissu d’entreprises..

 

Propos recueillis par Julien Tarby et Léonidas Kalogeropoulos

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