Silver economy : les jeunes pousses doivent s’adapter !

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Le marché du joliment dénommé « or gris » représente un formidable espace de croissance et d’innovation pour les années à venir. Avec une espérance de vie accrue, les besoins des seniors explosent. Les entreprises le savent qui ont investi cette fameuse silver economy. Mais l’on n’a pas encore déchiffré le « codex senior ».

Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses en France, courbe démographique oblige : les générations du baby-boom d’après-guerre constituent des cohortes de sémillants sexagénaires et au-delà. Selon le ministère des Solidarités et de la Santé, les 60 ans et plus sont au nombre de 16 millions aujourd’hui. Ils/elles seront 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. Le nombre des plus de 85 ans passera, lui, de 1,4 million aujourd’hui à 5 millions en 2060. Avec l’arrivée des « papy-boomers » depuis 2006 et l’allongement de l’espérance de vie (86 ans pour les hommes et 91,1 ans pour les femmes d’ici à 2060, selon l’Insee), une nouvelle économie a émergé, elle est d’argent, c’est la silver economy pour le dire à l’anglo-américaine (« économie des cheveux blancs » sonne incontestablement moins bien). Ce marché à destination des personnes âgées touche de nombreux secteurs et fait intervenir une pluralité d’acteurs, de la TPE aux grands groupes industriels en passant par les PME.

Un nouveau modèle économique en plein boom

Déjà, en 2013, le marché global de la silver economy française représentait 92 milliards d’euros. Il devrait dépasser la barre des 130 milliards en 2020. Avec l’évolution démographique envisagée, les marchés pourraient engendrer une augmentation de 2,4 % du PIB autour de 2040. La quasi sexagénaire ministre des Solidarités et de la Santé, la docteure Agnès Buzyn, n’est qu’une cotutrice tellement les enjeux de cette économie du vieillissement sont nombreux. Son cadet de sept ans, Bruno Le Maire, en a sa part, même si c’est la ministre qui a relancé il y a un an la filière curieusement dénommée Silver économie, avec cet alliage anglo-français, dirigée par Luc Broussy, président de l’association France Silver éco.
Un autre acteur majeur du domaine se nomme Alain Bosetti. Lui est président de la Silver Economy Expo des 26 et 27 novembre et ne lie pas la silver economy à la seule santé. Pour lui, le papy-boom entraîne trois conséquences : « La première concerne les retraités en bonne santé qui ont du temps libre à remplir et des attentes en termes d’activité. La deuxième concerne les personnes dont les capacités physiques et cognitives sont fragilisées et qui manifestent donc de nouveaux besoins. Enfin, la dernière concerne les seniors dépendants, qui doivent être accompagnés. »

Montebourg avait identifié le « Redressement »

Des seniors (entendez les plus de 50 ans) dépendent une large part des dépenses sur plusieurs marchés. Selon l’Observatoire de la silver economy, lancé par France Silver éco en 2018, 57 % des dépenses de santé sont le fait des seniors, l’alimentation les concerne à 53 %, les autres biens et services à 51 %, l’équipement du foyer lui doit 58 % de son activité, l’assurance 56 % et les loisirs 49 %. Énorme ! Mais les Français/es n’avaient pas attendu cette appellation de silver economy pour vieillir le mieux possible, pas plus que les acteurs publics ou privés n’ont attendu pareille reconnaissance pour prendre des initiatives. Mais la volonté de nommer et structurer cette filière en 2013, grâce à Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, et Michèle Delaunay, ancienne ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, aura donné une impulsion décisive. De nombreux champions mondiaux et internationaux français (comme Essilor ou le groupe industriel Legrand), qui répondaient déjà aux besoins des seniors, sont devenus plus forts et plus performants en la matière.

Un futur robotisé en or ?

Selon une étude publiée par l’Insee en octobre, 4 millions de personnes de plus de 60 ans seront en perte d’autonomie en 2050. Pour répondre à leurs besoins, la silver economy, qui a déjà démontré son énorme potentiel pour les marchés des loisirs, devra se réinventer. Trois types de technologies vont devenir primordiaux : la domotique pour l’adaptation des logements et le maintien des personnes âgées en perte d’autonomie à domicile. La robotique (les robots domestiques et robots compagnons, les robots de surveillance et de gardiennage, les robots d’assistance à la personne en perte autonomie). Et les innovations en matière de téléassistance, télésurveillance et télémédecine.

Des centaines de start-up françaises misent sur l’innovation pour renforcer des liens sociaux entre les seniors et leur entourage (Famileo, par exemple, partage des nouvelles entre les membres d’une famille grâce à la création d’un journal familial), mais aussi pour simplifier les objets numériques et offrir des solutions de confort et de sécurité, domotique en tête. Il s’agit de gérer et adapter sa maison à ses besoins. Pas forcément pour les seuls seniors.

Quand Vincent Mayet, fondateur et directeur général de H/Commerce, décrit la vie domotisée dans son livre, Amazon, main basse sur le futur (Robert Laffont), l’on sent bien pourtant que son personnage aisé doit friser la cinquantaine : « Peu à peu, vous quittez la douceur du sommeil […] les volets de votre chambre s’ouvrent aussitôt. Votre assistant personnel a reconnu cette posture qui annonce votre lever […] Alexa [l’assistant « intelligent » d’Amazon] vous fait déjà quelques propositions pour les petits-déjeuners et les déjeuners de votre semaine » (et la journée du jeune senior s’écoule ainsi balisée par les insupportables robots de la domotique qui devancent vos moindres besoins/désirs…). Les jeunes générations sont conscientes qu’elles ne pourront pas servir les personnes âgées au quotidien et rester auprès d’elles tous les jours, 24 heures sur 24. D’où la multiplication des robots. Le big data vient également à la rescousse. La collecte des informations sera la source des alertes aux aidants et à la famille sur la santé des personnes âgées dont ils prennent soin. « Mais le sujet éthique n’est pas à négliger, prévient Alain Bosetti, personne n’a envie d’être “espionné” à longueur de journée. »

Un beau tableau qui s’obscurcit

Mais tout n’est pas si rose, selon le rapport que Marc Bourquin, conseiller Stratégie de la Fédération hospitalière de France, et Jean-Pierre Aquino, délégué général de la Société française de gériatrie et gérontologie, ont consacré aux Innovations numériques et technologiques en gérontologie. Publié cet été et commandé par Luc Broussy (France Silver éco), le texte montre que l’association entre la technologie et le grand âge n’est pas toujours appréhendée positivement, « au point que la silvertech demeure à l’état embryonnaire, y compris dans les Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ». Les deux rapporteurs, qui ont procédé à l’audition de 21 experts et/ou professionnels de santé, mettent en exergue la difficulté de la France à soutenir le passage à l’échelle des solutions technologiques et numériques. Ils déplorent que les innovations technologiques soient « les grandes absentes des politiques publiques ».

Selon les deux hommes, le secteur médico-social éprouve du mal à s’emparer des nouvelles technologies : « Les promoteurs de la plupart des nombreuses jeunes pousses de la silver economy n’ont que très peu de connaissances du secteur et des enjeux du grand âge, d’où un certain malentendu avec les utilisateurs. » Le jeunisme pierre d’achoppement du « vieillisme » ?

La clé du succès

Réussir sur ce marché prometteur ne consiste donc pas seulement à développer des produits innovants. Encore faut-il comprendre et identifier les réels besoins des personnes âgées. Trop d’entreprises proposent encore des solutions où la personne d’un certain âge doit à la fois apprendre à gérer le produit et la technologie elle-même. Conséquence : les ventes ont du mal à décoller. « Pour réussir sur le marché de la silver economy, le marketing est essentiel, martèle Alain Bosetti. Là où demeure un vrai défi, c’est dans la grande distribution. Il n’y a pas encore de rayons dédiés aux seniors. C’est encore un secteur à développer. »

À condition que les accès au marché soient fluides : « C’est-à-dire des prix raisonnables et une bonne distribution, ainsi qu’une éducation des consommateurs », estime l’expert pour qui les seniors sont des consommateurs « extrêmement avertis et méfiants ». « Il ne faut pas non plus hésiter à monter des partenariats et surtout réunir les fonds nécessaires pour pouvoir percer le marché. » L’économie française doit apprendre son codex seniors.

Anna Ashkova

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