L’essor de la reconnaissance faciale

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Le monde de demain sera-t-il « shazamable » ? Les technologies de reconnaissance visuelle et faciale éveillent l’intérêt de nombreux secteurs d’activité.

« Ah zut… A cause de mon acné la machine ne me reconnaît pas »
« Ah zut… A cause de mon acné la machine ne me reconnaît pas »

A quoi reconnaît-on qu’une entreprise est en train de marquer son époque ? Son chiffre d’affaires, sa capacité à attirer de nouveaux collaborateurs ou son rayonnement international sont des indicateurs de réussite. Mais celle qui appose véritablement son empreinte sur son temps ? Difficile à déterminer sans avoir le recul de quelques décennies d’activité. Une chose est pourtant certaine : quand le nom de cette société entre dans le langage courant, c’est qu’elle est sur la bonne voie pour rester dans les mémoires. Shazam, la petite application mobile de reconnaissance musicale devenue grande, est de celles-ci. Son principe est simple : vous êtes dans un bar, vous entendez un morceau de musique sans le reconnaître. En ayant installé Shazam sur votre smartphone, cette agaçante sensation de perdre la mémoire prendra fin. Il vous suffit de capter quelques secondes du morceau avec votre téléphone pour que la plate-forme crée l’empreinte audio de la musique et en retrouve le titre dans sa base de données. Je shazame, tu shazames, il shazame, nous shazamons… On shazame aujourd’hui à toutes les sauces, à tel point que le verbe « shazamer » est en passe d’entrer dans le vocabulaire usuel. En juin 2014, Xavier de la Porte consacrait d’ailleurs sur France Culture une intéressante chronique à la « Shazamisation » du monde (1). Les créateurs d’entreprise de tous poils ont eux aussi été encouragés par la façon dont le service est parvenu à s’imposer. « L’impact de Shazam a été très important et ce succès a motivé de nombreux entrepreneurs, car il a montré que n’importe quelle application (de qualité) pouvait devenir un hit mondial », confirme Alexis Kenda, directeur marketing et stratégie de la start-up française de reconnaissance faciale Reminiz, surnommée par certains… le « Shazam des visages ».

 

Vêtements, vins, plantes…

Les startuppers motivés par le développement de concepts autour de la reconnaissance ne se sont pas contentés de simples copycats de Shazam. Si l’entreprise londonienne bénéficie aujourd’hui d’une belle couverture médiatique en se lançant dans la reconnaissance visuelle, d’autres ont déjà fait ce choix quelques mois ou années auparavant. C’est par exemple le cas de Zoomdle, start-up française ayant lancé en janvier 2014 une application de reconnaissance de produits. Le point de départ ? Un sentiment de frustration et de manque. « En lisant un magazine, nous avons vu un produit qui nous plaisait mais nous nous sommes rendu compte qu’il était très fastidieux de le retrouver, explique Charlotte Journo-Baur, co-fondatrice de Zoomdle. Et il nous arrive souvent, que ce soit en feuilletant un journal, un prospectus ou en voyant une affiche, d’avoir envie d’un produit mais de ne pas concrétiser le processus d’achat parce que celui-ci va être trop long ou trop compliqué. » L’application permet de prendre en photo avec son smartphone le produit voulu ; le vêtement ou l’accessoire est alors reconnu par Zoomdle grâce à un algorithme permettant la reconnaissance d’image, peut être acheté directement sur la plateforme et livré en 72 heures. A la clé, pour l’utilisateur, la possibilité d’acheter ce qu’il veut, quand il le veut, quasi-instantanément. Pour les marques : la possibilité de vendre directement via leurs supports de communication, d’accroître leurs revenus et d’avoir un meilleur taux de transformation. Mais aussi d’améliorer leur connaissance clients et d’optimiser leur communication. « Car Zoomdle, sans délivrer d’informations confidentielles sur les utilisateurs, permettra aux marques de savoir que tel produit placé sur tel support a plus été flashé qu’un autre, ou que telle affiche a suscité peu de « passages à l’acte d’achat » », précise Sami Henchiri, directeur de la technologie de la start-up. Zoomdle dispose aujourd’hui dans sa base de données d’un peu plus de 25000 produits, a passé des accords avec 300 marques et revendique 65000 utilisateurs. Selon l’entreprise, le taux de satisfaction s’élèverait à près de 90%. Des applications de reconnaissance visuelle existent également pour d’autres types de produits. Le vin, par exemple. WineWoo, développée par la start-up bordelaise Kasual Business, permet grâce à un simple scan de l’étiquette d’une bouteille avec son smartphone d’accéder à une multitude de renseignements (cépages, sol, conditions de conservation, conseils de dégustation, modes de culture…). Fonctionnant sur des principes similaires, d’autres programmes permettent également de reconnaître plantes (PlantNet) et oiseaux, ou encore d’accéder à des informations sur des monuments historiques et autres lieux (Phind).

 

… et visages

Encore un cran au-dessus en termes de potentiel, se développent des systèmes de reconnaissance faciale. Ce ne sont donc plus simplement des objets et produits mais bien les visages et personnes qu’il devient alors possible d’identifier. A l’origine, c’est dans le domaine de la sécurité, notamment dans la foulée des attentats du 11-Septembre, que s’est démocratisé l’usage de ces technologies – et c’est aujourd’hui encore sur ce domaine que se concentre l’essentiel du marché. Pouvoir reconnaître quelqu’un sans être soi-même vu : l’outil était beaucoup plus pratique pour les autorités que la prise d’empreintes digitales. A partir de là, tout s’est accéléré. « Aux États-Unis, le FBI propose des abonnements qui donnent accès à sa base de données de criminels, détaille Alexis Kenda. Beaucoup de start-up ont donc créé des algorithmes de reconnaissance faciale et les vendent par exemple à des sites de rencontres qui peuvent, ainsi, analyser les visages et recevoir une alerte si une personne fichée comme délinquant sexuel s’inscrit. » La technologie est aujourd’hui utilisée pour des solutions plus « légères ». La start-up française Reminiz a ainsi développé une application avec une volonté claire de divertissement et d’information. La petite histoire veut que son co-fondateur, Jack Habra, en ait eu l’idée en regardant la télévision avec un ami. Comme ils étaient incapables de « remettre » l’identité de l’un des acteurs, son ami lui aurait alors lancé le challenge de créer un « Shazam des célébrités ». L’idée de base de Reminiz venait de naître. Aujourd’hui, l’application permet de reconnaître le faciès des célébrités. Il suffit au téléspectateur de pointer son smartphone vers l’écran et l’application lui révèle alors l’identité des personnes (acteurs, chroniqueurs…), mais également d’accéder à du contenu enrichi : biographie, filmographie, compte Twitter, possibilité d’acheter les autres films dans lesquels joue le comédien… A la base simplement destinée à être une application mobile, Reminiz s’est orientée vers le B2B après avoir remporté le Challenge Bouygues Telecom et constaté l’intérêt des chaînes de TV, des plateformes de VOD et des FAI pour une intégration directe de ce service dans leur offre. « Nous démarchons donc les plateformes de VOD pour traiter leurs contenus et intégrer directement la reconnaissance faciale dans les films », explique Alexis Kenda. Les fournisseurs de contenus peuvent ainsi proposer une expérience utilisateur un peu plus poussée – un bon point lorsque l’on sait que l’un des cas d’usage les plus répandus chez les utilisateurs de second écran devant la TV est de chercher des informations sur le film qu’ils sont en train de visionner.

 

L’automobile anti-somnolence

Dans ce marché encore très jeune et embryonnaire – la plupart des boîtes qui s’y investissent n’ont pas plus de quatre ans d’existence – d’autres utilisations de la reconnaissance faciale sont possibles et/ou commencent à émerger. Certaines vont plus loin que l’identification, et misent sur l’analyse du visage. Différentes choses sont alors possibles : détecter de façon automatisée les caractéristiques, l’humeur et l’état émotionnel de la personne (homme ou femme, souriant ou mécontent, dynamique ou fatigué…) ; mais aussi la reconnaissance à proprement parler : en fournissant au départ cinq photos d’une personne au système, celui-ci la reconnaîtra si elle revient. Les possibilités d’usages sont donc nombreuses et différents secteurs commencent à s’y intéresser. « Nous nous considérons comme une brique technologique capable de s’adapter et non pas destinée à un seul usage », explique Matthieu Marquenet, directeur de l’exploitation de Smart Me Up, spécialisée dans les technologies de reconnaissance des visages. La start-up a ainsi pu s’intégrer dans les cabines Photomaton, où elle permet de détecter la conformité des photos d’identité (vérifier l’ouverture des yeux, l’absence de sourire…). Elle travaille également avec Netatmo, qui est à l’origine d’une caméra Wifi connectée, reconnaissant les membres de la famille, permettant de détecter les allées et venues de chacun et par exemple d’envoyer une notification sur le smartphone des parents pour les avertir que leurs enfants sont bien rentrés de l’école.

 

Myriade de secteurs concernés

Dans les années à venir, la progression du marché devrait s’accélérer. La reconnaissance faciale pourrait rapidement s’intégrer dans le cadre de la domotique et de la maison connectée. Par exemple, qu’à chaque personne reconnue par la caméra soit associé un scénario pré-programmé déclenchant le lancement automatisé de différentes actions dans les pièces de la maison : chauffage à telle température dans la chambre, allumage de la lumière et de la télévision dans le salon… « La domotique est le secteur qui en tirera le plus de profit, estime Alexis Kenda. En termes de marché grand public, c’est celui qui va pousser la technologie vers le haut, permettant d’automatiser davantage les maisons et d’habituer les gens à la reconnaissance faciale. » Le secteur automobile se montre également intéressé. D’une part, afin de mettre en place des caméras qui permettraient de détecter automatiquement, en fonction de l’ouverture des yeux et d’autres signes, l’éventuelle somnolence du conducteur et, si tel était le cas, de lancer une alerte sonore. D’autre part, la reconnaissance faciale pourrait permettre l’identification, s’inscrivant ainsi dans la tendance de personnalisation sans cesse accrue : en sachant que tel conducteur vient de prendre place derrière le volant, la voiture réglerait elle-même la position du siège, la station de radio, la climatisation… Autant de points qui intéressent de plus en plus les constructeurs, conscients que l’automatisation est l’un des maîtres-mots du futur de leur secteur d’activité. Les secteurs du transport et du tourisme pourront également utiliser cette technologie. L’hôtellerie, par exemple, où ce type d’outil permettrait de reconnaître un client habitué ou VIP, et lui proposer un accueil personnalisé. Il existe également une demande liée aux sièges d’avions et aux systèmes d’in-flight entertainment. Est ainsi évoquée la possibilité d’installer cette technologie sur les petits écrans intégrés dans les sièges : la reconnaissance faciale permettrait alors de détecter l’endormissement du passager et de mettre le film sur « pause » puis de le relancer quand il se réveille. Enfin, la reconnaissance faciale est très prometteuse pour le commerce de détail. « Elle permettra d’obtenir une meilleure analyse des consommateurs et de leurs comportements dans les magasins, précise Matthieu Marquenet. Il y a beaucoup de données analytiques à exploiter mais, pour le moment, très peu de suivi à ce niveau-là. » La technologie permettra non seulement d’analyser le taux de conversion ou le temps passé dans les rayons par les clients, mais également d’analyser leurs réactions en automatisant l’étude de leurs émotions, à moindre coût, pour ensuite chercher les solutions qui pourraient les rendre « plus heureux et satisfaits ». « On peut également imaginer que dans une boutique de luxe la caméra reconnaîtrait le client, saurait ce qu’il a acheté lors de sa dernière visite, poursuit Alexis Kenda. Le manager serait alors prévenu par SMS que cette personne vient d’entrer et irait la voir directement… » Bref, le potentiel de la technologie est énorme… mais demande à être encadré pour qu’elle ne soit pas utilisée n’importe comment et que cette utilisation ne porte pas atteinte à la vie privée et à l’anonymat de chacun. On se souvient des légitimes levées de boucliers lors de l’annonce de l’application NameTag, qui aurait permis au porteur de Google Gass d’identifier les passants. Les professionnels du secteur sont bien conscients de ces enjeux et savent qu’avec cette technologie, ils marchent sur des œufs. La difficile tâche du législateur sera de parvenir à empêcher les excès en développant une réglementation qui ne constitue pas pour autant un frein à l’innovation des entrepreneurs hexagonaux. Quant à ces derniers, ils devront, pour démocratiser leurs produits, surmonter la méfiance naturelle des gens et faire la preuve de l’utilité de leurs créations et de leur caractère non intrusif. Autant dire que la partie sera serrée.

Julien Fournier

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