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Le domicile sera-t-il « robolutionné » ? Coup de projecteur sur un secteur en pleine transition, alors que le salon Innorobot ouvre ses portes le 1er juillet à Lyon.

De la guerre apocalyptique provoquée par le soulèvement des machines dans Terminator aux infâmes bestioles créées par Robotnik dans le jeu vidéo Sonic, en passant par l’intelligence artificielle malveillante de l’ordinateur HAL dans 2001, l’Odyssée de l’espace, la vie et la culture nous ont appris à nous méfier des robots. Et ce ne sont ni la bonne bouille de WALL-E, ni les bavardages incessants de C-3PO qui y changeront quoi que ce soit. Voilà, du moins, ce que l’on pensait il y a encore quelques années.
Pourtant, en 2027, ces appréhensions sont de l’histoire ancienne. Ce soir justement, Alain et Meryem, un jeune couple marié depuis cinq mois, regardent ensemble un film en compagnie d’Isaac, le robot-humanoïde d’assistance et de sécurité, mesurant 1,75m, qu’ils ont acquis deux jours plus tôt. L’ambiance est pourtant un peu morose : Alain a appris qu’il allait être licencié de son poste de réceptionniste et remplacé par… un robot. A peine arrivé à la maison, avant même qu’il ait pu enfiler ses charentaises, Isaac lui a reproché de ne pas avoir fait suffisamment d’exercice aujourd’hui – chose qu’il venait de détecter via le podomètre connecté d’Alain. Autant dire que le dialogue a été plutôt sec :
« Alain, que comptez-vous faire maintenant que vous êtes rentré ?
– M’asseoir dans le canapé et boire une bière.
– Il fait beau, peut-être pourriez-vous aller promener le chien pour marcher un peu ?
– Je t’ai demandé l’heure ?
– Il est précisément 18h32.
– …
– Ah pardon, vous indiquiez une forme de mécontentement.
– Va plutôt recoudre mes chaussettes. »
Heureusement, les rapports se feront rapidement plus cordiaux – la qualité des tiramisus concoctés par Isaac n’y étant pas étrangère. Et, rassurez-vous : Alain trouvera un nouvel emploi et pourra acquérir des accessoires pour faire du tuning robotique afin qu’Isaac soit le plus bel androïde du quartier…
Règne des mono-tâches
Retour en 2015. Le robot humanoïde d’assistance et de sécurité commercialisable n’est pas (encore) une réalité. Concernant la robotique de service et domestique – nous laissons volontairement de côté les utilisations scientifiques, médicales, militaires, éducatives ou de loisirs – il faut pour l’instant principalement se contenter de machines destinées à accomplir tâches et corvées ménagères. L’emblème de ces objets robotisés est le robot-aspirateur, de loin le plus installé et diffusé dans cette catégorie, traquant poussières et saletés en toute autonomie.
« On en trouve dans les magasins de grande distribution, ce n’est pas seulement un produit pour geeks mais une véritable réussite économique dont le marché est mature », confirme Jérôme Laplace, fondateur et directeur du site de vente Génération Robots. La société américaine iRobot, par exemple, précurseur et leader sur ce secteur, est entrée en Bourse et enregistre de beaux profits. De grandes marques, comme Samsung, LG ou Rowenta, se sont également lancées dans ce domaine et proposent des robots-aspirateurs à des prix tournant en moyenne autour de 400 euros (mais pouvant monter jusqu’à 900).
D’autres tâches ménagères disposent également de leurs machines. On trouve ainsi des robots laveurs de sols, laveurs de vitres, tondeuses, voire même des robots-poubelles ou des robots-litières (donc auto-nettoyants), comme celui proposé par la société Litter Robot… pour un prix d’environ 350 euros, tout de même. Ces appareils ont peu d’intelligence et sont conçus pour accomplir une tâche en particulier et faciliter la vie de leur propriétaire.
Télé-présence plus intelligente
Voilà essentiellement les robots personnels et domestiques disponibles et adoptables par le grand public actuellement. Autant dire que la robotique à domicile n’en est qu’à ses débuts. Mais la situation pourrait évoluer rapidement, car de multiples innovations pointent le bout de leur nez. Citons les robots de télé-présence, à l’exemple de Beam Pro et de son petit frère Beam+, de la start-up française Awabot. S’ils ne sont pas « intelligents » à proprement parler, ils s’avèrent plus évolués que les appareils précédemment cités. Ils commencent à être commercialisés mais intéressent pour l’instant surtout des clients B2B. « Peu de gens achètent ce type de robot pour eux, notamment en raison du prix, précise Catherine Simon, la présidente du salon Innorobo, le grand rendez-vous de la robotique dont la prochaine édition se tient du 1er au 3 juillet à Lyon. Mais ceux-ci commencent à devenir abordables. » La version grand public du robot (le Beam+) devrait ainsi coûter environ 2000 euros – un bon point car la version « professionnelle » (Beam Pro) vaut aujourd’hui la bagatelle de 15000 euros. Soit un pas potentiel de plus vers l’intégration de ce type de robotique au domicile. Ces robots de télé-présence pourraient ainsi permettre de garder le contact avec des parents éloignés. Ils se présentent sous la forme d’un écran juché sur deux pieds reliés à une petite structure équipée de roues, l’ensemble mesurant environ 1,60m. Muni d’un micro, d’un haut-parleur et de deux caméras grand angle, il est manipulable à distance depuis un clavier d’ordinateur. Si, par exemple, des retraités en possèdent un et permettent à leur fils d’y accéder, celui-ci pourra d’une certaine manière « sonner » et, s’ils lui en donnent l’autorisation, être auprès d’eux malgré l’éloignement physique lorsqu’ils préparent le repas, ou à un autre moment… Au cours des Rencontres européennes de la mécatronique 2014, Bruno Bonnell, président d’Awabot et du syndicat Syrobo, estimait : « Dans deux ans, le prix d’un tel produit descendra entre 500 et 600 euros. Et dans cinq ans, il sera aussi banal de posséder un robot de télé-présence qu’aujourd’hui un smartphone. » Le stade supérieur sera le robot de télé-présence dite active : en plus de pouvoir être déplacé à distance par l’utilisateur, il pourra effectuer des tâches simples telles qu’ouvrir une porte ou ramasser un objet.
Bientôt le robot compagnon
Dans une catégorie un cran au-dessus en termes d’intelligence arrive ensuite le robot-compagnon. « Il n’accomplira pas forcément des tâches physiques importantes mais permettra d’apporter une aide au quotidien : détection d’éventuels problèmes dans la maison, présence pour les seniors ou jeux avec les enfants », explique Rodolphe Hasselvander, fondateur et président de la start-up Blue Frog Robotics. Sa société compte justement commercialiser avant la fin de l’année un robot compagnon nommé Buddy, après une campagne de prévente sur Kickstarter lancée le 27 mai. L’idée première de Blue Frog en développant Buddy ? Démocratiser la robotique auprès du grand public en proposant un robot compagnon à moins de 1000 euros, mignon et rassurant. Il sera donc capable de jouer avec les enfants, de surveiller une personne âgée (par exemple détecter une chute puis envoyer une alerte à une personne-référente), de diffuser de la musique en suivant le propriétaire dans les différentes pièces de la maison… Mais aussi de garder le domicile et d’envoyer un message en cas de fuite d’eau, de gaz, d’incendie ou de présence de cambrioleurs. Buddy permettra également de faire de la télé-présence.
Un public à rassurer
Outre ses fonctionnalités, un robot de ce type a pour intérêt de permettre une certaine forme d’évangélisation. Car différents freins ralentissent encore la pénétration de la robotique au cœur du domicile. Outre les prix élevés refroidissant même les plus passionnés, le grand public reste méfiant vis-à-vis de ces « machines ». « Ces technologies et ce qu’elles permettent de faire intéressent les gens, mais il faut que le robot soit petit et mignon, qu’il ne donne pas l’impression que demain il risque de prendre le pouvoir », résume en souriant Rodolphe Hasselvander. En clair, le propriétaire d’un robot souhaite s’assurer qu’il maîtrise la situation, presque « physiquement ». Un robot utile au design sympa est une façon de mettre un pied dans la porte pour habituer le grand public à cette présence et proposer ensuite des robots plus développés et imposants. Les start-up le sentent : le potentiel commercial de la robotique domestique et de service est énorme mais le déclic (la « killer app’ » ou autre) n’a pas encore eu lieu.
Pour l’instant, les professionnels du secteur ne parient pas sur une future révolution des usages, mais sur des changements progressifs. Viendra plus tard, peut-être, le « Graal de la robotique » (Jérôme Laplace), « l’interface ultime » (Catherine Simon) : le robot humanoïde effectuant des tâches de façon autonome. « Je crois, à ce niveau, à une robotique d’assistance à la personne, humanoïde et collaborative, développe la présidente d’Innorobo. C’est-à-dire que l’on s’adressera en effet directement au robot, mais qu’il ne saura pas tout faire. Il y aura une forme de collaboration réciproque : par exemple il ne saura pas ouvrir une porte fermée à clé mais moi je sais le faire, et je ne peux pas porter ma valise trop lourde mais lui le peut ; alors il portera ma valise et passera par la porte que j’aurai ouverte. » Ou bien viendra peut-être le moment où le robot, demain, sera le centralisateur, le hub de la domotique et des objets connectés de la maison intelligente qui permettra de les fédérer et de les gérer. Mais il est encore tôt et restent, au final, de nombreux enjeux (technologiques, économiques…), d’espoirs et de questions : un robot humanoïde pour accomplir l’ensemble des tâches ou un petit robot pour chacune ? Quid des enjeux de sécurité en cas de « grand » robot ? Comment donner aux gens l’envie d’interagir avec le robot ? Pourront-ils nous permettre d’optimiser nos consommations énergétiques ?…
Trois questions à Matthias Schmitt, créateur du « cyborg végétal » Gå.ia et fondateur de la start-up Still Human Robotics
« Garder la maîtrise du robot en toute circonstance »
Votre projet de robot Gå.ia est défini comme un « cyborg végétal ». Quelle est sa fonction ?
C’est une plateforme mobile qui permettra à l’utilisateur de déplacer la plante là où il le souhaite mais également à celle-ci de gérer elle-même ses déplacements selon ses besoins en eau et en lumière. Il s’agit en fait « d’augmenter » les plantes en leur donnant la capacité d’être autonomes pour subvenir à leurs besoins vitaux. On peut ainsi envisager de les déplacer dans des endroits où on ne les trouverait pas, comme les bâtiments, centre-villes ou zones bétonnées. Le projet s’inscrit donc dans une démarche écologique et réintègre les plantes dans nos vies sans leur porter atteinte.
Comment fonctionne-t-il ?
La plateforme robotique est assez commune finalement : des capteurs, des actionneurs et un système d’exploitation. La différence réside surtout dans l’exploitation des capteurs et l’intelligence artificielle : on chargera le robot de se déplacer selon les données que lui fourniront les capteurs analysant la plante. Ainsi, ce n’est pas la plante qui le décide mais on simule cette volonté par des actions. Par exemple, le robot ira vers la fenêtre de la cuisine en fin de journée car c’est à ce moment-là que l’ensoleillement est le meilleur à cette période. De plus, on pourra contrôler et communiquer avec ce cyborg via commande vocale ou tablette, afin de garder la maîtrise du robot en toute circonstance.
Comment vous est venue l’idée de créer un robot de ce type ?
Lors de mon passage de diplôme de fin d’année en école de design industriel à Strate, j’avais rédigé un mémoire sur la robotique et son impact sur notre société. Lorsqu’il m’a fallu commencer à penser à une solution industrielle, mon idée était d’alimenter en énergie un robot via une plante. J’ai réalisé que ce n’était pas uniquement le robot qui pouvait en tirer parti mais surtout la plante. De là, le cyborg végétal est né. Par la suite, nous avons créé Still Human, notre start-up en robotique et objets connectés afin de développer l’idée pour en produire un vrai produit. Nous sommes en train de produire le premier prototype que nous dévoilerons à Innorobo, le salon de robotique à Lyon, début juillet.
Julien Fournier