Configuration du bot ou comment anticiper les blagues douteuses des clients

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A quoi servent les « chatbots » aujourd’hui et jusqu’où iront-ils ?

Configuration du bot ou comment anticiper les blagues douteuses des clients
Configuration du bot ou comment anticiper les blagues
douteuses des clients

Fantasme… Dans le film « Her », Théodore Twombly, suite à une relation qui se termine en eau de boudin, tombe amoureux de Samantha, agent conversationnel qui développe ses propres envies et s’adapte à la personnalité du protagoniste pour lui plaire davantage…

… Versus réalité : une fois arrivé sur la page Facebook de CNN, la rédaction clique sur l’onglet « contacter » et ouvre une nouvelle page de discussion pour parler avec l’Intelligence artificielle (IA) de CNN. S’engage un triple choix : aide, articles en réseau et article le plus récent. Après avoir tapé en anglais les mots « économie », « France », « actualités », le « chatbot » nous propose un article sur le pourquoi du déclin de l’économie française. Sur notre faim, nous lui demandons de nouvelles actus par l’entrée de nouveaux mots-clés. Avec « Hollande », le chatbot nous renvoie vers un article sur les attentats de Nice. Dernière chance laissée à cet agent conversationnel un tantinet paramétré « french bashing », nous frappons fébrilement « French Tech » puis « french », « start-up » et « croissance ». Et là… C’est le drame. Aucun résultat n’apparaît si ce n’est une réponse automatique, nous intimant le conseil de trouver de nouveaux mots-clés plus évocateurs. Visiblement, la future révolution n’a pas encore eu lieu sur Facebook bien que le chatbot soit plein de promesses. Le moment pour notre rédaction d’en faire son décryptage.

Au-delà du « buzzword » ?

« Les «chatbots» sont un des mots de l’année dans le monde de la communication », introduit Jeanne Bordeau, fondatrice de l’institut de la qualité de l’expression. Pour les non-initiés, un « chatbot », pour « chating robot » – robot qui parle – est un agent conversationnel qui peut discuter grâce à différents scénarios implémentés au sein du « bot ». Ce dernier enrichit la discussion de deux façons. La première en gardant précieusement l’ensemble des données collectées à chaque discussion, ce qui permet de personnaliser cette dernière un maximum au fil du temps. La seconde, par le recours au « Machine Learning » – ML, ou apprentissage automatique – qui consiste en l’utilisation conjointe de quantités massives d’informations triées et analysées par le biais d’algorithmes d’apprentissage relativement simples. Petite incise pour illustrer, le programme d’intelligence artificielle surnommé Watson, émanation d’IBM et du centre de cancérologie Memorial Sloan Kettering de New York, a par exemple digéré deux millions de pages de journaux spécialisés, et la même dose de rapports cliniques. Selon ses créateurs, cet appétit pour la data et ses capacités d’analyse permettent de surpasser ses collègues humains.

Revenons à nos moutons. Le chatbot serait en quelque sorte à la croisée du machine learning, de SIRI ou Cortana et du scénario dont sont équipés certains call centers  : pour un problème de découvert, taper étoile, pour taper sur votre conseiller, frapper sur la touche dièse…

« Cette forme d’intelligence artificielle est amenée à remplacer progressivement les applications », ajoute Jeanne Bordeau. Du moins telles sont les ambitions non dissimulées de Microsoft ou de Facebook. L’idée ? « Les applications créent une courtoisie conversationnelle afin de donner des informations pour des services et illustre la montée en puissance de l’IA, même si pour l’instant aucun chatbot ne manie la nuance, ni ne possède la capacité réelle de manier l’humour ou l’ironie, d’être créatif… », continue l’experte. L’état de l’art aujourd’hui est somme toute limité. Et force est d’admettre dans les usages que les « bots » ne sont pas encore rentrés dans les mœurs, malgré une forte médiatisation, une implémentation peu complexe et un potentiel vertigineux. « Aujourd’hui, cela peut se résumer à la mise à disposition des marques de certaines fonctionnalités de messagerie instantanée. L’implémentation est relativement simple. Un bon «marketeux» qui possède quelques notions de base pour configurer un chatbot peut le réaliser relativement facilement. Cela dit, le chatbot doit avant tout répondre à un besoin », explique Jérémy Coxet, directeur associé de l’agence Vanksen. « Les chatbots n’ont pas vocation à remplacer les humains, mais plutôt à améliorer un service », vulgarise Thomas Sabatier, fondateur et dirigeant de la start-up The Chatbot Factory. Ils font partie du grand chantier de l’homme augmenté : rendre l’homme plus intelligent et le décharger de tâches à faible valeur ajoutée. Aujourd’hui la machine désaliène l’homme pour lui permettre de libérer son intelligence. L’écosystème des chatbots se structure : les start-up se lancent dans la création de bots pour les entreprises, les acteurs de la messagerie leur ouvrent leur porte, les GAFA lancent leur version vocale et le machine learning se développe. » Mais Marjolaine Grondin et Thomas Sabatier, les deux startuppers interviewés se rejoignent sur la même idée : celle que l’IA développée pour l’instant dans les chatbots n’en est pas encore une en tant que telle : « Aujourd’hui l’intelligence artificielle reste artificielle et progresse grâce à l’humain qui est derrière la technologie », explique Thomas Sabatier de The ChatBot Factory. Et Marjolaine Grondin, cofondatrice et dirigeante de la start-up Jam, également spécialisée dans les chatbots, d’ajouter : « L’IA utilisée propose des boutons, des menus, des choix disponibles ou des questions très précises. Il existe des «tricks» et des scénarios qui limitent les possibilités. Ce n’est pas une vraie discussion que nous engageons. Aujourd’hui, il est illusoire de croire que la machine comprend tout sur tout. Y compris dans le champ du machine learning. Aujourd’hui c’est une promesse et une vision plus qu’une révolution dans les usages. »

Nouvel outil de CRM, mais pas seulement

En 2016, deux grands cas d’usages existent en matière d’exploitation des chatbots : « Le cas consumer grand public pour une tâche verticale – essentiellement pour le loisir afin d’obtenir un conseil pratique pour trouver un restaurant, choisir sa séance de cinéma… – et le chatbot pour l’entreprise utilisé en communication interne pour fluidifier les process », décrit Marjolaine Grondin. A priori, tout l’environnement du chatbot ressortirait grandi de son utilisation. D’une part, des plateformes comme Facebook garderaient les personnes captives. Plus besoin d’une application tierce ou d’ouvrir une nouvelle page dans le navigateur, l’utilisateur reste captif sur Messenger. Pour lui, cela permet de tisser un lien plus personnalisé avec une marque car le chatbot prend en compte l’historique des discussions, ses préférences, ses achats. « Le deuxième bénéfice pour l’utilisateur est de faire fi des contraintes humaines en termes d’horaires et de faire appel à un service comme bon lui semble », détaille Jérémy Coxet de l’agence Vanksen.

Bientôt, les moins aguerris aux nouvelles technologies pourront via les chatbots profiter tout autant que les « millenials » de services proposés en ligne. Les chatbots sont ce faisant voués à « éliminer » la compréhension des interfaces numériques. « C’est une technologie excessivement simple à prendre en main. Pas de téléchargement nécessaire d’une nouvelle appli, ni besoin de comprendre l’arborescence d’un site pour comprendre son parcours client », explique Thomas Sabatier.

Autre atout de la technique, son aspect non intrusif à l’heure où l’internaute se sent parfois agressé par le contenu publicitaire durant son temps de navigation sur un site. « L’initiative de cette technologie revient à l’humain. Elle ne va ni nous interpeller ni nous solliciter. Mais elle permettra par ses réponses une compréhension plus fine de la marque dans une logique de relation client ultra-personnalisée. Le chatbot permet de «scaler» la personnalisation de la relation client », continue le dirigeant de The ChatBot Factory.

Dans les usages, les chatbots proposent également du serviciel : livraison de fleurs, de repas, commande d’articles en tout genre. Le chatbot de « Sequel Stories » propose une histoire dont vous êtes le héros, celui de Health Tap devise sur vos problèmes de santé et vous aiguille vers un médecin ; le robot de Poncho propose quant à lui tout un panel d’informations liées à la météo.

L’aspect novateur ne se situe pas dans l’intelligence artificielle capable de proposer la dernière spécialité du chef ou la plus récente composition florale de la boutique du chef, mais plutôt la désintermédiation numérique qu’elle autorise. L’interaction avec le chatbot nous met donc en relation directement avec le web shop ou la plateforme de e-commerce sans même « liker » la page de la marque. « La technologie chatbot via ses conseils préprogrammés permet de qualifier un besoin consommateur », explique Jérémy Coxet.

Outre leurs opportunités en matière de CRM, les chatbots présenteraient de nouveaux apports non négligeables pour les entreprises, malgré l’adolescence de la technologie. Marjolaine Grondin, cofondatrice de Jam note que « certaines banques travaillent sur les chatbots pour améliorer des process en interne, notamment pour permettre à leurs équipes de mieux comprendre la culture d’entreprise. Ce qui importe dans la technologie, c’est la personne qui est derrière et la manière dont les développeurs et les designers vont inciter ou susciter les comportements. »

Dans la même veine, de nombreux « bots » arrivent dans l’entreprise. Comme l’illustre par exemple Julie Desk, bot qui discute avec vos contacts pour caler un rendez-vous avec envoi d’invitation, rappel, etc. De même, Widii dans la conciergerie ou encore Riminder pour le tri de CV sont autant de nouveaux bots interactifs censés libérer l’homme de tâches répétitives grâce à un minimum d’interactions.

Y a-t-il un humain dans le « bot » ?

Dans sa configuration, l’essentiel de l’effort se situe donc dans la réflexion en amont du chatbot pour anticiper les différentes interactions. « Si le chatbot ne répond pas à un vrai besoin, l’expérience sera décevante. La majeure partie du budget alloué pour la conception se concentre sur le workshop nécessaire à la création de 80 à 90% des discussions. Une fois le bot lancé, c’est du test & learn : qu’est ce qui fait échouer ou abandonner la conversation ? C’est la question qui importe le plus », explique Jérémy Coxet. Une réflexion convenue mais qui prend tout son sens au regard des 10% de chatbots utilisés régulièrement sur les 20000 lancés sur Facebook d’après l’étude initiée par le groupe Vanksen. Vous l’aurez donc compris. Les chatbots ont pour l’instant un usage très limité malgré tous les fantasmes contemporains liés à l’IA.

« Beaucoup de légendes circulent sur l’utilisation et les capacités des chatbots, mais il faut les ramener à ce qu’ils savent faire aujourd’hui. Les chatbots ne sont pas auto-apprenants, et ne vont pas remplacer les humains. Les chatbots sont une manière de faire du push à partir d’une messagerie », explique Thomas Sabatier.

Des progrès sont donc attendus en matière de chatbots. Les chantiers sont nombreux et multidisciplinaires, concernant notamment la NLP (reconnaissance vocale du langage) pour améliorer sa compréhension et l’intelligence artificielle. Des progrès nécessaires, comme l’a illustré Tay, l’agent conversationnel de Microsoft présent sur Twitter, qui, sans discernement, a tenu des propos négationnistes ou racistes. Sa nouvelle sortie en mai dernier n’aura tenu qu’une heure du fait de nouveaux dérapages verbaux. « Pour l’instant Tay se nourrit et se relie à notre patrimoine linguistique, ce qui aboutit à des dérives. Les agents conversationnels ne manient ni le jugement, ni l’aléa. Mais en parallèle, des progrès sont réalisés en matière de psychologie cognitive pour classer les sentiments et capter le sensible et l’irrationnel par une intelligence artificielle », ajoute Jeanne Bordeau, fondatrice de l’institut de la qualité de l’expression. A quand le chatbot qui vous propose un pot de glace et le visionnage de Love Actually, après avoir remarqué un trémolo dans votre voix lorsque vous lui évoquiez une relation passée ?

 

Geoffroy Framery

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