Temps de lecture estimé : 3 minutes

Temps de lecture constaté 3’40

Une analyse signée Élise Alfieri, maître de conférences en finance, et Yann Ferrat, doctorant et analyste quantitatif. Publiée par The Conversation.

Cette année, le marché des cryptomonnaies ne cesse de battre des records en matière de valorisation mais également d’impact environnemental et social. En effet, le prix de la cryptomonnaie la plus emblématique, le bitcoin, a de nouveau atteint, courant décembre, son record précédent de 20 000 dollars. Depuis, le prix s’est envolé vers les 60 000 dollars et, en parallèle, sa consommation énergétique a dépassé un degré alarmant. Elle atteint des niveaux semblables à la consommation de pays, tel que les Pays-Bas. Cet engouement pour la performance financière est-il au détriment des externalités sociétales ?

Actuellement, les comportements relatifs à l’environnement, au social et à la gouvernance (ESG) sont scrutés par le milieu financier. Les préoccupations sont désormais intégrées dans les choix d’investissement avec comme objectif de financer un monde plus durable.

L’enthousiasme est souligné, d’une part, par l’attrait de la finance responsable auprès des investisseurs et, d’autre part, par la hausse des régulations concernant les divulgations extrafinancières par les entreprises. Les investisseurs éthiques utilisent ces informations afin de déterminer le comportement ESG [aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance] d’une entreprise et auront tendance à exclure les profils les plus controversés. Quant aux investisseurs des cryptomonnaies, la majorité semble encore peu soucieuse de ces problématiques.

Les cryptomonnaies au regard des trois piliers de l’ESG
Pourtant, les chercheurs ont montré que la consommation du réseau associé au bitcoin est colossale. De surcroît, les émissions carbones associées sont estimées à 69 millions de tonnes, soit plus que le Portugal à lui seul. Si ces émissions ne sont pas radicalement réduites, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés sera inatteignable.

En outre, la concentration de l’actionnariat pose de sérieux problèmes de gouvernance : un nombre réduit d’investisseurs détient quasiment la moitié des bitcoins en circulation. D’autre part, les instances françaises et européennes rencontrent des difficultés à réguler le marché. Car les comportements opportunistes ne sont pas sanctionnés, des recherches estiment qu’environ 80 % des projets en lien avec les cryptomonnaies sont frauduleux.

Néanmoins, les cryptomonnaies ont un potentiel élevé de réduction des coûts. La technologie sous-jacente, la blockchain, permet d’échanger dans un système décentralisé sans tiers de confiance. Le troisième pilier de l’ESG, l’aspect social, est, lui sous-représenté dans les études actuelles.

Toutefois, la dimension sociale fait partie intégrante du fonctionnement des cryptomonnaies. Cet écosystème intègre diverses parties prenantes telles que les développeurs, les mineurs, les utilisateurs, les plates-formes d’échange, les autorités publiques, les médias ainsi que l’environnement.

Dans la théorie des parties prenantes appliquée au cadre des entreprises, maintenir des relations privilégiées avec ces entités est source d’avantage compétitif et donc de performance accrue. Dès lors, une question se pose : les cryptomonnaies avec des aspects sociaux renforcés enregistrent-elles une performance supérieure aux autres ?

Un potentiel social innovant
Dans notre dernier article de recherche, nous nous concentrons sur deux parties prenantes au cœur du pilier social : les utilisateurs et les mineurs. Les premiers sont les individus qui échangent des cryptomonnaies et peuvent être considérés comme des actionnaires. Les mineurs, eux, sont des utilisateurs particuliers qui permettent la validation des transactions et peuvent être considérés comme des employés d’une société « ubérisée ».

Afin de mesurer la performance sociale d’une cryptomonnaie, trois indicateurs sont utilisés, la rémunération des mineurs, l’inclusion financière et la transparence. Les mineurs sont rémunérés pour leur travail. Ils reçoivent une quantité de cryptomonnaies pour chaque bloc confirmé. Cette rémunération est variable et fluctue en fonction du prix des cryptomonnaies.

L’inclusion financière fait référence aux barrières à l’entrée. Ces barrières sont de nature technologique, autrement dit la puissance de calcul requise pour miner. Plus elles sont élevées, moins de mineurs (principalement non professionnels) participeront au fonctionnement du système. Enfin, la transparence évalue l’accès à l’historique des transactions en cryptomonnaies. Les plus transparentes assurent un accès équitable aux informations de marchés pour l’ensemble des utilisateurs.

Un possible investissement responsable
En utilisant un échantillon des 20 principales cryptomonnaies entre 2015 et 2020, nous trouvons que les plus transparentes sont favorisées par le marché. Un portefeuille de cryptomonnaies transparentes enregistre une rentabilité annuelle deux fois supérieure à celle d’un portefeuille de cryptomonnaies moins transparentes. Ainsi, les investisseurs du marché des cryptomonnaies semblent valoriser cet aspect.

Nos résultats quant aux dimensions de rémunération et d’inclusion financière démontrent qu’elles ne sont pas coûteuses en termes de performance financière. Il est vrai que ces résultats pourraient être biaisés par la dominance du bitcoin. Or, nos constats restent inchangés lorsque ce biais est neutralisé.

Suite à ces analyses, nous suggérons que réaliser un investissement socialement vertueux ne détruit pas de rentabilité pour les investisseurs des cryptomonnaies, il peut même s’avérer source d’enrichissement. Pour les développeurs, créer des cryptomonnaies qui favorisent l’aspect social – rémunération, inclusion et/ou transparence – pourrait améliorer la valorisation lors du processus d’introduction sur le marché : les Initial Coin Offering.

Si l’aspect social est source de richesse, les deux autres dimensions de l’ESG – environnement et gouvernance – peuvent elles aussi produire un impact sur la performance des cryptomonnaies. Une extension de ce type d’étude aux deux autres piliers pourrait s’avérer pertinente pour les investisseurs et bénéfique pour la promotion de l’investissement responsable.

Pour qu’une étude sur l’aspect environnemental soit réalisée, la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre pour un plus grand nombre de cryptomonnaies doivent être mesurées. L’aspect gouvernance requiert de son côté une analyse qualitative approfondie pour chacune des cryptomonnaies.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise...). Friand de football et politiquement égaré.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.