Temps de lecture estimé : 3 minutes
Stalingrad, 2 février 1943. Une date gravée pour l’éternité dans l’histoire humaine.
Le 80e anniversaire de la plus terrible bataille de la Seconde Guerre mondiale a été le théâtre d’une nouvelle prise de parole de Vladimir Poutine. Le président russe a lié, comme il le fait souvent, les fantômes du passé aux ombres du présent.
Le revoilà, le dictateur. Jadis adulé par toute une partie de l’Occident, puis détesté, il incarne pour l’éternité la figure du despote totalitaire. Oui, c’est lui, il n’y a pas de doute. Le maître du Kremlin. Celui qui fit trembler l’Europe et le monde… Joseph Staline. Cette fois, rassurons-nous, il n’est plus qu’un visage taillé dans la pierre. Un buste à son effigie a été inauguré à Volgograd (ex-Stalingrad). La ville commémore, comme toute la Russie et une partie du monde, le 80e anniversaire de la « grande victoire patriotique » face à l’ennemi nazi. La bataille décisive qui entraîna la chute d’Hitler. Avec près de 26 millions de morts, l’Union soviétique a payé le plus lourd tribut de la Seconde Guerre mondiale.
L’ombre portée du camarade Staline
Longtemps honnie, la figure stalinienne suscite encore aujourd’hui dans le peuple russe des sentiments entremêlés. Quelque chose de nébuleux, entre la crainte, la haine, et une forme étrange d’admiration. On convoque le Géorgien aux grandes moustaches comme une sorte de totem. Lui qui fut le tortionnaire de l’Ukraine, responsable de l’horreur de l’Holodomor et du massacre des Tatars. Sanglante figure du père vengeur.
De Gaulle signera, dans ses Mémoires de Guerre, un portrait cinglant du tsar rouge, rencontré au cœur du conflit mondial : « Staline était possédé de la volonté de puissance. Rompu par une vie de complots à masquer ses traits et son âme, à se passer d’illusions, de pitié, de sincérité, à voir en chaque homme un obstacle ou un danger, tout chez lui était manœuvre, méfiance et obstination. La révolution, le parti, l’État, la guerre, lui avaient offert les occasions et les moyens de dominer. Il y était parvenu, usant à fond des détours de l’exégèse marxiste et des rigueurs totalitaires, mettant au jeu une audace et une astuce surhumaines, subjuguant ou liquidant les autres. »
Cet étrange Monsieur de Gaulle…
Quelle bizarrerie. Au cœur de cet hiver 2023, c’est le petit-fils du Général qui a bravé les contrôles douaniers pour gagner la Russie. Pierre de Gaulle, ce conseiller financier qui œuvre depuis Genève, porte depuis le début du conflit ukrainien une voix dissonante. Dans un discours remarqué, prononcé depuis l’ambassade de Russie en France, il tonnait à l’automne. « Les États-Unis sont dans l’erreur, l’Otan est dans l’erreur, dont l’expansionnisme débridé et irréfléchi conduit inexorablement au déséquilibre du Monde et à l’injustice. Les belles promesses des Américains de ne pas élargir l’Otan à l’Est, ni au Nord, n’ont pas été respectées. Les accords de Minsk n’ont pas été respectés. »
Son discours est certes entendable, nous sommes en démocratie, mais le prononcer ainsi depuis l’ambassade de Russie, se rendre ensuite à l’ancienne Stalingrad… Ce sont des maladresses. Il se place d’emblée dans les mains de la Russie ; ce qui altère l’indépendance de son discours. Le petit-fils sera ainsi la seule « autorité » française présente sur place – avec à ses côtés des équipes de France 2 et TF1. Aucun responsable gouvernemental n’a souhaité faire le déplacement. Comme la preuve d’un horizon brisé, celui qui unissait jadis Moscou et Paris. Deux peuples unis par une particulière amitié, infidèle certes, parfois violente, mais vieille de trois siècles, née de la venue de Pierre Le Grand à Paris.
Le requiem historique de Vladimir Poutine
Après avoir présidé l’impressionnant défilé militaire qui a parcouru « la ville la plus patriotique du pays », Vladimir Poutine s’est rendu au pied de la statue de la Mère-Patrie. Cette œuvre colossale, 85 mètres de haut, édifiée au sommet de la plus grande colline de la ville. Il s’est agenouillé, seul. Ô temps, suspends ton vol…
Il s’est ensuite adressé au peuple russe, depuis la place centrale de cette ville martyr. Un discours où il a lié, fidèle à sa matrice, les événements de la dernière guerre à celle d’aujourd’hui. L’éternel retour, réel ou fantasmé. « C’est incroyable, mais c’est la vérité : nous sommes à nouveau menacés par les chars Leopard allemands avec des croix dessus, qui sont entre les mains des bandéristes ». Il poursuit, désireux de raviver la confiance de son peuple : « La vérité est de notre côté, elle est dans la nature de notre peuple multinational. La continuité des générations, des valeurs et des traditions rend la Russie et les Russes forts et confiants en eux-mêmes, en leur justesse et en notre victoire. »
Un rideau de fer mental est tombé sur l’Europe
Au-delà des mots, il y a cette vérité : les Russes n’ont pas notre rapport au temps. Les horreurs de la Seconde guerre mondiale ne leurs semblent pas de lointaines épopées. Le souvenir est là. Ils vivent au milieu de leurs fantômes. Le passé irrigue le présent jusqu’à s’y confondre.
Vladimir Poutine enrage de voir la Russie exclue des commémorations de la libération du camp d’Auschwitz, en Pologne. Ce lieu d’enfer fut pourtant libéré par l’armée rouge. Le 27 janvier, Vladimir Poutine a tenu à recevoir longuement, au Kremlin, le grand rabbin de Russie. « De tous les Juifs qui ont été exterminés par les nazis, la plupart étaient des citoyens de l’Union soviétique. C’est notre douleur commune », a déclaré le président russe.
Alors qu’un rideau de fer mental est tombé sur le continent, ces grandes valeurs nous rappellent à notre destin commun. Celui d’une civilisation, l’Europe, qui court de l’Atlantique à l’Oural. Citons Vassili Grossman, le génie tourmenté de Vie et Destin, roman des éternelles leçons. « Tous les hommes sont coupables devant une mère qui a perdu son fils à la guerre, et tous cherchent en vain à se justifier devant elle depuis que le monde est monde. »