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1 800 milliards d’euros sur la table des 27. Pour quoi faire ?
Le montant est inédit ! L’UE et les États membres se dotent d’une enveloppe 2021-2027 de 1 800 milliards d’euros pour transformer l’Europe en reprogrammant l’économie et les entreprises. Dans les 1 800 milliards entrent 1 074,3 milliards d’euros de budget, avec l’intégration du Fonds européen de développement. Complétés par l’instrument de relance Next Generation EU pour un montant de 750 milliards d’euros qui devrait doper la croissance de 4,1 % d’ici à 2026. Un peu blasés par les milliards sans doute, le chiffre ne nous paraît peut-être pas déterminant. Il l’est. Voici pourquoi.
« Le plan de relance transforme l’immense défi auquel nous sommes confrontés en une opportunité, non seulement en soutenant la reprise, mais aussi en investissant dans notre avenir », résume Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Le budget va accélérer la reprise des économies européennes touchées sévèrement par la crise de la covid-19 depuis le printemps 2020. Il va également doper les transitions écologiques et numériques pour atteindre rapidement la neutralité carbone.
1 – De quelle manière les entreprises bénéficieront-elles de ces opportunités ?
L’ensemble du budget et des priorités génère un impact très concret dans la transition des entreprises et de l’économie. Les entreprises doivent saisir le double intérêt stratégique de s’emparer des axes prioritaires pour, à la fois, développer de nouvelles solutions innovantes pour leurs clients, mais aussi assurer leur propre transition.
Accélérer la transition numérique
Le nouveau programme va financer les entreprises pour concevoir des applications liées à l’intelligence artificielle ou pour créer des outils de pointe en matière de cybersécurité.
Dans le secteur du conseil, des mesures d’adoption pour l’utilisation de nouvelles solutions numériques seront mises en place. À terme, trois entreprises sur quatre devraient utiliser des services d’informatique en nuage, le big data et l’intelligence artificielle. « Plus de 90 % des PME devraient atteindre au moins un degré basique d’intensité numérique », affirme la Commission. Quel beau vocabulaire ! Les besoins en accompagnement en stratégie numérique devraient exploser.
Dans le secteur de la formation au numérique qui connaît déjà des tensions, ce sont 80 % des adultes qui devront acquérir des compétences numériques de base d’ici à 2030. Plus de 20 millions de spécialistes du numérique à former et à recruter dans vos entreprises. De nouveaux formats pédagogiques adaptés et des accompagnements personnalisés à l’acquisition des connaissances restent à inventer.
Toutes les structures sont amenées à accélérer leur numérisation avec ou sans accompagnement. L’un des moteurs de la transformation est le passage de tous les services publics en ligne d’ici à moins de 10 ans. Les clients et usagers constituent également un levier de la transformation car ils seront prochainement dotés de nouvelles solutions d’identifications électroniques. Celles-ci ouvriront ainsi à de nouveaux usages dans les domaines du commerce électronique, des services de santé ou financiers.
Du côté des infrastructures numériques, des financements vont présider à leur renouvellement et à leur développement. Les entreprises des télécommunications devraient donc conquérir de nouveaux marchés et déployer de nouvelles solutions technologiques. Les zones des territoires les plus peuplées seront toutes couvertes par la 5G. Les autres territoires devraient disposer d’une connectivité haut débit a minima d’ici à la fin de la décennie. Ces investissements dans le numérique vont susciter de nouvelles formes de travail, d’activités à distance, de loisirs et de consommation, mais aussi de nouveaux produits et services.
Pour accélérer le développement de l’ensemble des acteurs, un premier ordinateur quantique à la pointe de la technologie fait partie des perspectives en Europe. But : accélérer les projets R&D et l’indépendance face aux puissances asiatiques et américaines sur des secteurs stratégiques tels la cryptographie ou la recherche par exemple.
La transformation écologique
Les entreprises vont s’emparer des technologies numériques pour aider à la réduction de leurs émissions de CO2 et celles de leurs clients.
Des financements sont prévus pour aider les entreprises à créer et lancer de nouvelles offres d’optimisation de la consommation d’énergie dans de nombreux secteurs à coups d’énergies propres. L’ensemble des secteurs, de l’agriculture aux transports en passant par l’industrie ou l’urbanisme, la finance et les services seront ciblés. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) lui-même est confronté à son propre défi numérique et durable. L’ambition : proposer des actions clés pour atteindre des infrastructures économes et « intelligentes » afin de limiter l’empreinte sur les ressources naturelles et sur les émissions de CO₂.
Les entreprises du bâtiment vont bénéficier largement de la mobilisation d’investissements pour assurer la rénovation des bâtiments. Ils entrent dans les priorités. Plus de 220 millions de bâtiments sont à transformer – structures responsables – pour les rendre exploitables avec récupération, gestion et production de l’énergie.
Il s’agit également de repenser les structures ou les espaces, notamment par des programmes d’innovation en cocréation avec des architectes, artistes, étudiants, ingénieurs, designers… pour expérimenter la transformation verte, numérique et améliorer la qualité de vie.
La mobilité durable signifie moderniser les transports publics et privés. Des investissements dans de nouvelles générations d’infrastructures vont stimuler les acteurs traditionnels et favoriser l’arrivée de nouveaux entrants. Les entreprises vont s’équiper de flottes de véhicules à émissions neutres ou faibles et installer des infrastructures de recharge, de ravitaillement ou des piles d’énergie. « D’ici à 2025, l’ambition est de construire l’un des trois millions de points de charge nécessaires en 2030 et la moitié des 1 000 stations d’hydrogène nécessaires », explique-t-on à la Commission européenne. Les entreprises vont devoir répondre à la demande de solutions innovantes de « mobilité comme de services » avec des transports collaboratifs et partagés, ou encore des solutions de réduction du trafic de véhicules.
2 – L’économie circulaire
« L’économie circulaire crée des emplois locaux et durables grâce à la prévention et à la réutilisation des déchets, à la réparation, à la remise à neuf et au recyclage. Il accroît la résilience de l’UE et son autonomie stratégique ouverte en développant des modèles commerciaux innovants alimentés par les technologies numériques pour améliorer l’utilisation efficace des ressources et des matières premières secondaires » : la doctrine de la Commission européenne ne varie pas.
Les financements vont alimenter les entreprises qui disposent d’un pan entier d’opportunités pour améliorer la collecte et la gestion des déchets, de l’eau, la réduction des pollutions, mais aussi pour accompagner les entreprises ou salarié·es dans un meilleur bien-être. Il s’agit également d’aider les entreprises à repenser leur mode de production, de gestion ou de distribution. Il convient de concevoir les modes de consommation en optimisant l’utilisation des ressources. Elles seront poussées à se lancer dans les principes de durabilité de produits et services.
Le concept de durabilité implique de repenser, réutiliser, réduire, réparer, réinventer, recycler ou renoncer… Tout en tenant compte des aspects éthiques ou sociaux. À la clé, de nouvelles méthodes restent à créer pour mesurer les empreintes environnementales ou sociales.
Les start-up ne vont probablement pas manquer d’inventer des applications circulaires dites « intelligentes » pour fournir des données et des informations « certifiées » sur les produits, services ou entreprises pour accompagner les clients, investisseurs ou décideurs. De nouveaux produits et services liés à la protection et à la restauration de la biodiversité et des écosystèmes naturels vont apparaître. Des innovations liées à la garantie des systèmes alimentaires sains et durables vont à la fois améliorer les puits de carbone tout en favorisant une meilleure alimentation et apporter des opportunités économiques dans les zones rurales.
Convertir l’inutile en utile
Les entreprises, en s’emparant de ces nouvelles activités et services, accélèrent également leurs propres mutations et innovations. Elles vont apprendre à mieux gérer les ressources inutilisées pour les transformer en nouvelles sources de revenus ou ressources clés. En menant des actions d’intrapreneuriats ou en coconstruction avec leurs écosystèmes, elles seront à même, par exemple, d’investir dans leurs propres énergies renouvelables ou de créer des biocarburants (hydrogène, GNL, électrocarburants, carburants synthétiques, microalgues…) comme le montrent certains acteurs du secteur agricole. De quoi redécouvrir ou développer des ressources et des technologies nécessaires à leurs transitions énergétiques, à l’image du projet P2X Kopernikus du Karlsruhe Institute of Technology (KIT) : produire du carburant à partir de dioxyde de carbone capté dans l’air !
Pour autant, ce plan de relance est-il suffisant « pour induire les effets transformationnels nécessaires qui permettraient de surmonter les crises environnementales tout en reconstruisant l’économie ? La réponse est non. », réplique l’OCDE.
Mal fléchés, certains fonds « ne tiennent pas compte des dimensions environnementales de la crise. Pire encore, ils font reculer les progrès réalisés dans certaines de ces dimensions… Si nous voulons vraiment opérer la transition vers une économie bas carbone, il va nous falloir passer à la vitesse supérieure », confient les experts de l’OCDE. Les moyens sont là. Il est urgent d’apprendre à les investir efficacement. Il existe peut-être des leçons à apprendre à l’école des Elon Musk… ?
Patrice Remeur