Japon : entre millionnaires et misérables

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L’incroyable affaire Carlos Ghosn jette sur le Japon un éclairage cru : le Pays du Soleil Levant nous joue là le grand théâtre du « No » au patron de Renault-Nissan alors que les entreprises françaises, mastodontes cotés comme PME en recherche de relais de croissance, y reçoivent un accueil positif (lire l’interview du directeur de la CCI France Japon)… En toile de fond, une main-d’œuvre misérable paie le prix d’une économie domestique fermée.

Cette – toujours – troisième puissance mondiale, derrière la Chine et les États-Unis, peut se targuer d’avoir su traverser les crises. Un économiste nippon, le professeur Ryutaro Komiya, avance trois facteurs clés pour expliquer son expansion d’après-guerre :
le développement intensif de l’investissement, l’accélération impulsée par le secteur non agricole et l’importation massive des techniques étrangères. « Au cours des dix dernières années l’investissement brut dans les usines, dans les biens d’équipement, le logement, les routes et autres services publics a atteint chaque année près du tiers du produit national brut. Un rythme aussi soutenu de l’investissement nouveau entraîne une expansion rapide de la capacité de production dans tous les secteurs de l’économie », écrit l’économiste en 1967. Quand la croissance du Japon frisait les 13 %. Aujourd’hui ? Le gain du PIB s’établit tant bien que mal à 1,7 % – 6,9 % en Chine et 2,3 % aux États-Unis. Sur l’archipel où se tassent 126 millions d’habitants, on est passé de l’industrie aux services, avec un secteur tertiaire qui pèse désormais 69 % de son PIB et occupe les deux tiers de la population active. Active au plein sens du terme : un taux de chômage en deçà de 3 % et une parité de pouvoir d’achat par habitant de 42 700 USD. Parmi les plus élevées au monde.

Une épargne nationale énorme étouffe la consommation intérieure japonaise

La face cachée d’un succès

Ce pays largement tourné vers l’extérieur (le deuxième fournisseur de la Chine, 54 % de sa production dirigés vers l’extérieur), compose avec une population d’épargnants averses au risque. Ils ont tout simplement créé une épargne nationale énorme – environ 23 % du PIB, véritable étouffoir de consommation intérieure. À quoi s’ajoute « une structure du marché du travail où dominent des contrats à durée indéterminée rigides et le développement d’un travail temporaire néfaste aux salaires et à la productivité », explique l’assureur-risque Coface dans une étude pays dédiée au Japon. Si, en façade, règne le plein emploi, la paupérisation des travailleurs altère le contrat social d’un Japon qui ne sait plus éradiquer la misère. C’est ce que dénonce et décrit un docteur en sciences politiques, Makoto Yuasa, dont l’ouvrage tranchant vient d’être traduit : Contre la pauvreté au Japon (éditions Picquier). L’Occidental surpris y découvre le quotidien de travailleurs pauvres auprès desquels le gilet jaune français le plus gêné passe pour un nanti. Yuasa qualifie le japon de « société toboggan ». « Ce que j’appelle une “société toboggan” est une société dans laquelle il suffit de glisser un peu par inadvertance pour ne pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit, et être condamné à tomber jusqu’en bas. » Pour Makoto Yuasa, cet engrenage broie de plus en plus les travailleurs non réguliers non affiliés à l’assurance chômage, qui ne perçoivent pas de revenus d’assistance, soit par pudeur, soit parce que le système les exclut de ces allocations. Au pays des très riches et des misérables, le tribunal des rancœurs, au-delà des faits, fera-t-il perdre la face au multimillionnaire Carlos Ghosn réduit à la ficelle de son pantalon ?

Par Chloé Pagès

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