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Olivier Picard, Ellipse Projects

Olivier Picard est le fondateur d’Ellipse Projects, une société qui réalise des infrastructures publiques et privées dans les pays en voie de développement. Cet expert du continent africain revient sur les enjeux de la dette africaine.

En France, le fameux « quoi qu’il en coûte » cher au Président de la République Emmanuel Macron a relancé les discussions autour de l’ampleur de l’endettement public. En raison de la pandémie – même si elle était déjà élevée auparavant – la dette publique bleu blanc rouge s’est envolée… pour atteindre 114 % du PIB à la fin du deuxième trimestre 2021, a chiffré l’Insee. De l’autre côté de la Méditerranée, la dette africaine pose aussi question.

D’un montant bien moins conséquent – comprenez par rapport au PIB – les États planchent, comme lors du sommet de Paris sur le financement de l’Afrique en mai, sur les solutions qu’a le continent africain en vue d’honorer (ou pas ?) son passif. Olivier Picard, fondateur d’Ellipse Projects, décrypte pour ÉcoRéseau Business les caractéristiques de la dette africaine. Passé par Sciences Po ou encore l’École nationale d’administration (ENA, devenu INSP), Olivier Picard connaît très bien le continent africain, lui qui par l’intermédiaire d’Ellipse, réalise des infrastructures publiques ou privées, clés en main, au sein des pays en voie de développement. Ultime exemple, la construction de quatre hôpitaux au Sénégal. Entretien.

Les chiffres autour de la dette africaine sont ambigus. Sommes-nous d’accord si l’on retient le montant de 385 milliards de dollars, soit 340 milliards d’euros, pour englober la dette de l’Afrique subsaharienne ?

J’ai effectivement eu écho de ce chiffre, lequel me paraît pertinent. L’ampleur exacte de la dette africaine reste toutefois difficile à établir. On pourrait décomposer la dette propre à l’Afrique subsaharienne en trois catégories. D’abord une dette bilatérale, en réalité la dette la moins chère – avec des taux d’intérêt moins chers liés à des projets ou aides du Fonds monétaire international (FMI). Cela représente environ un tiers de la dette africaine. Arrive ensuite la dette privée, ce qui sert à faire fonctionner les États. À titre de comparaison, c’est ce que font la France ou l’Allemagne quand elles décident de lever de l’argent pour combler un déficit budgétaire. Enfin, n’oublions pas la dette « chinoise ». On a encore du mal à la cerner. Notamment parce que la Chine elle-même, demande dans le cadre de certains accords à ce qu’elle ne soit pas révélée. Ce qui pose un problème de confidentialité sur l’existence même de ces dettes. Globalement, j’imagine que ces 340 milliards d’euros sont quelque peu sous-estimés.

Mais votre ressenti global sur le montant de la dette africaine, il ne paraît pas si élevé comparé à ce que l’on connaît en Occident ?

Si l’on rapporte ce chiffre au PIB, effectivement, dans l’absolu ce n’est pas grand-chose. Dette sur PIB, en Côte d’Ivoire, on tourne autour de 50 %, environ 70 % pour le Sénégal… Bref entre 30 et 70 % pour la plupart des pays. Quand vous regardez l’Occident, le rapport dette sur PIB en France s’élève à 114 %, on se situe même à plus de 200 % au Japon !

Mais surtout, ce qui compte, c’est que les prêteurs regardent avant tout la capacité qu’ont les États à récupérer l’impôt. Car c’est bien ce qui rembourse votre dette in fine ! Autrement dit, plus votre système de recouvrement de l’impôt est efficace et transparent, plus vous allez pouvoir vous endetter. Puisque les prêteurs seront rassurés. Ce n’est donc pas qu’une simple question de montant. Or pour certains pays africains, il s’avère parfois complexe de récolter l’impôt sur les sociétés (IS), beaucoup d’entreprises ne sont pas auditées, difficile aussi de récupérer l’impôt sur le revenu etc. Les prêteurs considèrent parfois moins risqués de prêter à des pays européens endettés à plus de 100 % (par rapport au PIB) que des États africains endettés à 40 %… Alors forcément, un taux d’intérêt plus élevé tente de combler le risque pris à prêter à un pays africain.

La pandémie covid-19 a-t-elle aussi eu un impact sur la dette africaine ?

Bien sûr. Les États ont dû effectuer des dépenses à très court terme. Notamment pour assurer l’achat d’équipements. Ce qui a mécaniquement gonflé les déficits budgétaires. D’autre part, l’activité économique a clairement été freinée en interne en raison des confinements voire couvre-feux instaurés. Dans certains pays, l’économie se passe aussi la nuit, avec des marchés ouverts jusqu’à très tard… Problème, quand vous décrétez un couvre-feu à Dakar à 20 h, les gens doivent s’arrêter à 16 h pour avoir le temps de rentrer chez eux·elles ! Les travailleur·ses se retrouvaient donc à exercer une activité à mi-temps. D’autant plus inquiétant que le taux d’épargne au sein de la population africaine demeure très faible : quand avez une épargne pour tenir 48 h ou au maximum une semaine… les dégâts économiques – et donc sociaux – sont loin d’être négligeables.

Quels intérêts ont les pays qui prêtent à l’Afrique ?

L’intérêt des pays n’est pas le même. Pour les États occidentaux, comme la France, l’objectif tend au moins à conserver sinon accentuer une présence en Afrique. L’Occident a très bien compris que le continent africain constitue le moteur de croissance des années qui viennent ! Quand la France prête à l’Afrique, c’est d’abord pour aider le continent à se développer, c’est aussi faire en sorte qu’il le fasse via des équipements français…

Prenez l’Europe, quand elle décide de prêter à l’Afrique, le pays qui emprunte doit donner ce qu’on appelle sa garantie souveraine. Si l’État est en défaut, on passe par exemple par le Club de Paris pour redéfinir (ou rééchelonner la dette), à la manière d’une entreprise qui se trouverait en redressement judiciaire. Pour la Chine, là c’est différent. Les Chinois se positionnent en Afrique, clairement pour sécuriser leurs approvisionnements en matières premières. Plutôt que de demander des garanties souveraines, ils agissent comme des emprunteurs privés : la banque qui prêtera sera celle qui recevra l’argent de telle ou telle mine de charbon ou de pétrole. Le système chinois se montre, avouons-le, plus prédateur.

Pensez-vous qu’il soit possible d’annuler la dette africaine ?  

Je pense que pour n’importe quelle dette, quand vous ne remboursez pas,  et bien on ne vous prêtera plus. Il y a là un fort enjeu de crédibilité. Et puis, tous les créanciers doivent se mettre d’accord, si un seul est réticent, alors ce sera injuste. En revanche, je plaide évidemment pour des rééchelonnements de la dette. Même si derrière, les Occidentaux veulent à tout prix éviter que l’argent économisé pour l’Afrique, grâce à leur révision de la dette, ne serve à rembourser les prêts chinois…

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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