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Le social-démocrate Pedro Sánchez semble en mauvaise posture pour se succéder à lui-même, en juillet. Mais il ne faut jamais dire jamais.
En Espagne, la campagne électorale débute sur des charbons ardents. Elle s’annonce exaltante. Les Espagnols devront trancher, le 23 juillet, entre deux modèles économiques et sociaux très différents.
L’air épuisé, Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol, s’est présenté lundi 29 mai au matin en haut des marches du palais de la Moncloa. « Mon allocution sera brève », lance-t-il d’emblée. La tête de proue du Parti socialiste et ouvrier espagnol (PSOE) ne peut guère qu’en rabattre. La droite vient d’emporter très largement les élections locales. Un scrutin crucial dans ce pays très décentralisé, presque fédéral, parfois qualifié de « nation de nations ». Sánchez, dramatise l’enjeu. Pour lui, c’est désormais quitte ou double. « Comme président du gouvernement et comme secrétaire du Parti socialiste, j’assume les résultats et je pense qu’il est nécessaire de donner une réponse et de soumettre notre mandat démocratique à la volonté populaire ». Le Congrès des Députés est dissous par le Roi dès le lendemain.
L’Espagne, une économie singulière en Europe
Nous voici maintenant une semaine plus tard. La campagne est déjà sur les chapeaux de roues. Pedro Sánchez a esquissé, devant les députés socialistes, les grandes lignes de son programme. Ce sera la lutte contre ce qu’il nomme « l’extrême droite et la droite extrême », pour l’heure en tête des sondages. Cette dramatisation vise à forcer ses alliés turbulents au rassemblement derrière lui. Podemos, proche de LFI, et Sumar, le mouvement de la ministre communiste du Travail, Yolanda Díaz, semblent prêts à faire bloc.
Pedro Sánchez, au pouvoir depuis 2018, n’a pas chômé. Avec Emmanuel Macron, il est la cigale européenne, l’homme d’un « quoi qu’il en coûte » version ibérique. Imaginez. Il aura augmenté le SME (Smic espagnol) de 47 % en cinq ans. Forcément, selon une règle économique évidente, le coût du travail s’en trouve fort renchéri. Celui qui est également président de l’Internationale socialiste veut prouver que la gauche n’est pas condamnée à la résignation. L’inflation marque le pas. Désormais fixée à 3,2 % sur un an, elle s’éloigne du pic de 10,8 %, atteint en juillet dernier.
Blocage partiel des prix, TVA à 0 % sur certains produits, « gratuité » des trains régionaux pour les jeunes, sortie temporaire – et concertée avec le Portugal – du marché européen de l’énergie… Plus récemment, il a promis de mettre le ticket de cinéma à deux euros pour les seniors, chaque mardi. De quoi s’attirer un électorat fondamental dans ce pays à la population vieillissante ?
La gauche, entre réformes économiques…
Pedro Sánchez est ainsi une sorte de François Hollande qui n’aurait pas cédé. Alors que partout en Europe, la social-démocratie décline et déclasse, il incarne une sorte de contre-modèle… Cet ancien basketteur de haut niveau rêve du deuxième acte de « La Movida », ce mouvement culturel foisonnant qui gagna l’Espagne à la chute du franquisme.
Pourtant, malgré un programme économique redistributeur (et fort coûteux) les Espagnols ne semblent pas satisfaits. Ce pays dont l’économie repose sur les très petites entreprises est gagné par la grogne des patrons, qui peinent à suivre les hausses de salaires décrétées par le gouvernement. Les disparités territoriales, énormes et sans commune mesure en Europe, poussent les ruraux à la colère.
… et tentatives sociétales
Les mesures sociétales prises par le gouvernement Sánchez irritent dans ce pays qui reste marqué par une empreinte catholique très forte. Outre l’euthanasie, la récente loi qui permet la « transition de genre » dès l’âge de 16 ans, et sans l’autorisation des parents, crispe particulièrement. Dans un tout autre domaine, ajoutons que l’Espagne est le premier pays au monde à instaurer le congé menstruel pour les femmes qui souffrent de règles douloureuses.
Le tout sans oublier une politique mémorielle pleine d’acrimonie. Pedro Sánchez restera dans l’Histoire comme l’homme qui a ordonné l’exhumation de Franco. Enterré dans la Valle de los Caídos, en lointaine banlieue de Madrid, l’ancien chef d’État repose depuis 2019 dans un cimetière de la capitale. Le tout aux termes d’une bataille judiciaire picrocholine qui fit forcément ressurgir les terribles fantômes de la Guerre d’Espagne…
La droite compte sur un programme libéral pour revenir au pouvoir
La droite, emmenée par le Parti populaire, a de bonnes chances de retrouver le pouvoir. Ce n’est pas rien pour ce parti qui a été discrédité par les affaires et les scandales. De plus, il a laissé un souvenir amer, car au moment de la crise de 2008, le gouvernement de droite alors présidé par Mariano Rajoy fut contraint à tailler sévèrement dans les dépenses. Un programme draconien d’austérité.
Aujourd’hui, le président du parti et candidat à la direction du gouvernement, Alberto Núñez Feijóo, promet surtout des baisses d’impôts et un retour à la rectitude économique. Pour diriger l’Espagne, ce Galicien devra sans doute s’allier avec le mouvement Vox, plus à droite que lui.
Le tout sans oublier la charismatique Isabel Díaz Ayuso. Présidente de la puissante Communauté de Madrid, l’icône du Parti populaire, aux instincts conservateurs et libéraux, sera précieuse pour espérer l’emporter.
Les Espagnols, convoqués aux urnes en plein été, ce 23 juillet, auront à faire un choix très clair entre deux modèles de société. La droite ou bien la gauche. Vue de France, la clarté de l’équation rend presque nostalgique.