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L’Inde est un slumdog millionnaire…
6e des puissances économiques mondiales – en neuvième position en 2015 ! – le géant indien va poursuivre son surgissement économique. Pour le meilleur. Et pour le pire.
Le FMI, à son tour, chiffre une croissance économique de l’Inde ahurissante, de 7,4 % en 2018 à 7,9 % en 2019. À côté, le Vieux Continent – qualificatif qui semble prendre tout son sens – et la France peinent à maintenir une croissance économique en 2018 de 1,9 (1,8 % pour la France), pourtant réputée « si favorable ». De nombreux experts estiment que l’Inde devrait atteindre le 5e rang des puissances économiques mondiales dès 2019, de quoi faire perdre encore un échelon à la France qu’il va falloir s’habituer à situer en 8e position ! L’ascension n’est pas près de ralentir. Certains observateurs, à l’instar du Centre for Economics and Business Research (CEBR), estiment que le pays du sous-continent atteindra dès 2027 le troisième rang de puissance économique mondiale, juste derrière les États-Unis et la Chine !
1991, changement de paradigme
Pour comprendre les raisons de cette constante progression, il faut remonter à l’année 1991, soit un demi-siècle après la proclamation de l’indépendance. Cet immense pays de quelque 1,3 milliard d’habitants (dont 50 % âgés de moins de 25 ans), fait alors le choix d’entrer dans la mondialisation. « À partir d’une crise économique sévère en 1991, un gouvernement indien minoritaire au Parlement a déclenché des réformes économiques englobantes qui ont permis à l’Inde d’atteindre rapidement des taux de croissance de plus de 6 %, explique Basudeb Chaudhuri, maître de conférences en économie à l’université de Caen, les réformes alors entreprises par le gouvernement organisent la libéralisation de l’économie autour de quatre axes : la déréglementation industrielle, l’ouverture des entreprises nationales, l’aménagement du système fiscal et l’assainissement des finances publiques. » Une libéralisation de l’économie qui s’accompagne d’une ouverture des frontières. L’inde, pays jadis fermé sur lui-même, s’ouvre au monde.
Le « bureau du monde »
La Chine est devenue « usine du monde » ? Le sous-continent indien est, lui, régulièrement qualifié de « bureau du monde ». Et pour cause : l’Inde est aujourd’hui le premier exportateur de services aux entreprises et de services informatiques. Sa main-d’œuvre, jeune et de plus en plus qualifiée, est aussi tout simplement anglophone ! D’où le choix de l’Inde des plus grandes entreprises mondiales pour la sous-traitance de leurs back-offices, l’administration de leurs systèmes informatiques ou encore la mise en place de leurs services après-vente. Autrement dit, toutes les grandes capitalisations boursières du monde travaillent quotidiennement avec les villes de Bangalore ou Hyderabad où des millions d’Indiens produisent pour elles chaque jour des « lignes de code », l’or numérique. Les Gafa ne sont pas en reste. Non content de sous-traiter une partie de leur activité à l’Inde, ces géants planétaires créent des succursales sur place, chargées de produire pour l’Occident, mais qui se positionnent auprès d’une clientèle émergente de jeunes Indiens connectés et en demande de nouveaux services.
Innovation et malédictions
La révolution numérique est aujourd’hui le moteur du monde entier ? Imagine-t-on que dès 1968, le gigantesque conglomérat industriel indien Tata avait créé sa division informatique ? Aujourd’hui forte de 300 000 salariés pour un chiffre d’affaires annuel de 10 milliards de dollars. La France peine aujourd’hui à aligner deux « licornes » (start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars) : l’Inde en compte déjà une dizaine. Selon le classement CB Insights 2017, le continent indien se classe aujourd’hui troisième écosystème mondial d’innovation. Parmi les plus grandes capitalisations figure Flipkart, un site d’e-commerce concurrent d’Amazon. Et d’Alibaba en Chine. Depuis 2011, la jeune entreprise a levé la modique somme de 7,2 milliards de dollars. Olacabs, le concurrent indien d’Uber, se contente d’une levée de fonds de 2,5 millions de dollars, tandis que Hike, une plate-forme d’échange sur le modèle de Whatsapp, a réuni des investisseurs pour un tour de table de 261 millions de dollars. La vraie start-up nation a beau inspirer le président français, le modèle est irrattrapable. Est-elle pour autant une superpuissance ? Eh bien non. Car ce géant conserve des pieds d’argile que sa croissance inouïe fragilise toujours davantage. La liste se révèle insupportable : instabilité religieuse, terrorisme, castes, instabilité sociale (rébellion naxalite, insurrection au Jammu-et-Cachemire), surpopulation et ressources insuffisantes, pauvreté, corruption, infrastructures moyenâgeuses, écart croissant entre les riches et les pauvres, dégradation environnementale, fragmentation politique, tensions territoriales, pays voisins instables. Le film de Danny Boyle inspiré du roman de l’écrivain indien Vikas Swarup, Slumdog millionaire (littéralement « Le pouilleux millionnaire ») reste le meilleur autoportrait du « pays de l’Indus ». Écrasant, écrasé.
Chloé Consigny