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Et si les start-up d’aujourd’hui revisitaient les secteurs d’hier grâce à leur état d’esprit, leur management et leurs nouvelles approches ? La preuve avec 10 exemples marquants…

Les mauvaises langues diront que le fait le plus marquant du séjour de François Hollande dans la Silicon Valley, en février 2013, restera son accolade inattendue avec le « Pigeon » Carlos Diaz, créateur français de start-up, ancien meneur de la révolte. Un an et demi après la colère provoquée par la réforme de la fiscalité sur les plus-values, l’exécutif multiplie les preuves d’amour à l’égard des entrepreneurs. Et particulièrement les start-up, en témoignent les mesures prises pour que le financement participatif devienne aussi incitatif qu’aux Etats-Unis, ou la discussion sur la réforme des attributions gratuites d’actions. Une prise de conscience que ces jeunes pousses, hier insignifiantes, peuvent incarner une solution au-delà de leur périmètre technologique habituel ? En matière de modèle économique, de gestion du SI et de management, ces entités de rupture peuvent réinventer d’anciens secteurs et faire école. « On s’aperçoit enfin en France des bienfaits potentiels de ces entités susceptibles de grandir, mais aussi de révolutionner des secteurs traditionnels en instillant de nouvelles pratiques », soutient Paul-Adrien Menez, PDG De Zéro-Gâchis, spécialisée dans la récupération de produits alimentaires en grandes surfaces.
L’ère de la maturité, enfin
Le début des années 2000 semble bien loin, avec les First Tuesday où de grandes quantités de capitaux étaient levés selon des effets de mode : portails féminins, crédit en ligne, achats groupés, loterie… La « nouvelle économie » faisait naître un business model, des acteurs et leurs propres concurrents en quelques semaines. Mais après les financements bulle de champagne, les business plan fantaisistes et la décrue boursière, les investisseurs ont accumulé expérience et maturité. La rentabilité est revenue au centre du débat, le profil de l’équipe dirigeante a été plus scruté, le BtoB plus privilégié. Le revenu des start-up est moins axé sur la publicité et plus sur la transaction, celles-ci sont souvent devenues des plateformes, offrant plus de proximité avec les entreprises classiques que par le passé. Et l’écosystème prêt à les aider s’est étoffé dans l’Hexagone. Les politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, s’activent, les dispositifs d’aides et de financement sont plus nombreux, les pépinières, accélérateurs, incubateurs ont émergé partout… en attendant l’ouverture en 2016 de la Halle Freyssinet chère à Xavier Niel. « Les business angels (BA) sont devenus de vrais conseillers. J’ai créé ma première start-up en 1999 : nos mentors n’étaient pas des gens du Web et n’apportaient pas la logique d’écosystème par exemple », se souvient Denis Fayolle, l’un des trois fondateurs de la Fourchette, aujourd’hui BA. Malgré toutes les rigidités françaises, il se passe vraiment quelque chose à Paris, mais aussi à Toulouse, Nantes, Lyon… Des étudiants qui se lancent en masse, une génération de start-up qui monte en puissance quand des pans entiers de la vieille industrie disparaissent. Et des financements présents bon gré mal gré. « La France est un des rares pays où l’on peut créer sa boîte tout en touchant le chômage pendant plus d’un an », rappellent nombre de créateurs. « Les gens nous avaient avertis de la difficulté de trouver des fonds et de convaincre du bien-fondé d’une nouveauté, déclare Aymeric Barthes, cofondateur de Naïo Technologies, spécialisée dans la robotique agricole. Avec du recul je ne suis pas de cet avis : le fait d’évoluer dans un univers d’innovation nous permet de bénéficier de nombreux avantages, comme le crédit d’impôt recherche. Il nous est permis d’avancer et de convaincre des gens. » Durant les neuf premiers mois de 2013, les fonds qui ont été investis en capital-risque plaçaient la France au huitième rang des zones les plus importantes en la matière, selon les chiffres du Dow Jones et du cabinet EY. Loin derrière la Silicon Valley, le sud de la Californie, le Royaume-Uni ou Israël. Mais devant l’Allemagne et le Canada. Dans les biotechnologies, l’Hexagone est aussi considéré comme une zone favorable. Les jeunes startuppers disposent aussi d’exemples références. Des entreprises hexagonales sont allées aux Etats-Unis et ont intégré des accélérateurs, quelques-unes ont ouvert des bureaux européens voire mondiaux pour penser en centaines de millions d’euros, à l’exemple de Criteo. Les Xavier Niel, Marc Simoncini et Jacques-Antoine Granjon sont devenus grâce à Free, Meetic et Vente-privée, à la fois modèles et investisseurs. « Nous souhaitons créer le AirBnB ou le BlablaCar des psy », décrit ainsi Jean-Philippe Da Costa, pour donner une idée de sa plateforme de consultations psychologiques par vidéoconférence.
Plus qu’un secteur technologique, un esprit
Le tout technologique se porte bien en France, en témoigne le dernier salon de l’électronique de Las Vegas en janvier. Sur les huit objets connectés jugés les « plus cool » par le site Wired, la bible américaine de la high-tech, quatre venaient de France. Trois d’entre eux émanaient de sociétés nées il y a moins de cinq ans : Withings, Sen.se et Netatmo. Ce sont aussi les jeunes pousses tricolores qui dominent le classement des entreprises européennes à la plus forte croissance établi par Deloitte en novembre 2013. Sur 500 noms, 86 sont français. De bonnes nouvelles, mais les aptitudes technologiques ne sont pas tout. La capacité à concrétiser en peu de temps et de moyens des idées en emplois pérennes, comme le résume Eric Ries dans son livre devenu célèbre (1), requiert l’attention. Créer une start-up n’est plus un saut dans l’inconnu, modèles et méthodes s’affinent. « Une start up est une phase temporaire vécue par des personnes qui testent en boucle des choses jusqu’à ce qu’elles fonctionnent à petite échelle, puis qui passent à une phase de “scaling” afin d’en faire une grande entreprise. S’enfermer dans un business plan de plusieurs années n’a plus de sens », explique Guilhem Bertholet, serial entrepreneur, ancien dirigeant de l’incubateur d’HEC, selon qui l’actif de la start-up est justement l’apprentissage qu’elle fait de ses fausses routes. Un état d’esprit qui peut précisément s’appliquer dans les secteurs les plus traditionnels. « Faire du neuf avec du vieux, ajoute le dirigeant d’Invox, agence de content marketing. Beaucoup de start-up se montent aujourd’hui sans être axées sur les nouvelles technologies dans leur cœur de métier, mais en les utilisant dans leur manière d’opérer, dans leur façon de travailler en interne, de communiquer vers l’extérieur, de distribuer,… A l’exemple de Jacques Ferté et Guillaume Roy qui ont relancé la bière Gallia de Paris. Leur activité reste le houblon fermenté, mais leur utilisation des réseaux sociaux permet de revisiter la commercialisation de ce produit commun. » La France a un bel atout à jouer en la matière, car il existe un véritable savoir-faire artisanal. La rencontre du design, du commerce et de la technologie donne lieu à une grande créativité. Pour celui qui a aussi fondé la Cuisine du Web à Lyon, représentant l’écosystème de start-up du Web, « le nombre croissant de transmissions est aussi l’occasion de repenser d’anciens secteurs. Je suis sûr que même une entreprise spécialisée dans l’entretien d’extincteurs peut être revisitée ». Rechercher la créativité collaborative, sortir des sentiers battus, s’adapter aux besoins des clients pour faire ainsi évoluer le business model d’origine : tel est le principe qu’ont suivi Groupon, Zappos, Dropbox, mais aussi MooBe, la société de Bertrand Deher et Thomas Floret qui propose simplement des meubles en carton pour les étudiants. C’est pour leur approche « déstructurante » que ces jeunes pousses intéressent au plus haut point les grandes structures, qui se lancent dans le corporate capital pour les encourager et les assimiler à leur écosystème. « Les start-up ont leur place à jouer partout où il y a un besoin de « disrupteurs ». L’exemple d’Uber dans les déplacements en ville est parlant », illustre Jean-Philippe Da Costa.
Des vieux démons encore à combattre
Les créateurs adoptent une seule et même approche : revenir à zéro et au besoin fondamental pour reconstruire une offre. Dans chaque cas l’entreprise se pose continuellement des questions, même si le secteur est archi-connu. Eric Lipmann, le fondateur sexagénaire de Discmuseum qui propose de la musique classique en streaming, a commencé sur un modèle gratuit, avant de basculer vers le payant suite à un sondage opéré auprès de ses abonnés. Rien n’est acquis, la start-up cherche business model, prix, proposition de valeur, partenaires, circuit de distribution,… « Essayant de concocter la formule magique qui pourra être dupliquée. Ce n’est surtout pas une petite entreprise qui applique des modèles connus dans une niche. C’est un grand groupe en devenir », insiste Paul-Adrien Menez, PDG De Zéro-Gâchis. Dès lors, tous les secteurs vont-ils subir une cure de jouvence sous leur influence ? Pas si évident. Les politiques se tournent encore trop vers les start-up du numérique. Ils ne sont pas les seuls. « Du point de vue de l’investisseur, le numérique n’est pas cher, peu capitalistique et très rentable. Il préfère donc aller sur les logiciels », note Didier Tranchier, entrepreneur, professeur à l’institut Mines-Télécom et président de IT Angels. Une question de temps pour Guilhem Bertholet : « De plus en plus de jeunes diplômés se tournent vers les petites entreprises des secteurs classiques, ne cherchant pas à inventer l’e-Book de demain. Cette appétence pour le concret et le local va prendre de l’ampleur. » Le mythe du Web s’atténue pour Didier Tranchier, selon qui « les smartphones et tablettes permettent d’interagir avec l’environnement et de traiter nombre d’informations, faisant progresser les services de proximité. Les premières générations de start-up ont exploré le virtuel, mais maintenant ce sont des formes hybrides qui apparaissent et vont devenir majoritaires ». Le crowdfunding aide à compenser le déséquilibre. « Ceux qui passent par la plateforme ne sont pas des sociétés purement technologiques. Les communautés grossissent et la créativité explose. Certains lancent des idées qu’ils avaient dans les cartons depuis longtemps, dans le sport, la culture, l’artisanat », révèle Vincent Ricordeau, co-fondateur de KissKissBankBank, qui reçoit maintenant 300 projets par semaine, en place 150 en ligne et collecte 40 à 50000 euros par jour. Si la société a collecté 15 millions d’euros et atteint un million d’euros de CA en 2013, c’est parce qu’elle répond au besoin de ces start-up d’un nouveau genre, bien loin du Big Data, comme In’Bô, spécialisée dans les objets en bois. « Le crowdfunding a fait du buzz et a généré des préventes », se réjouit Aurèle Charlet, ingénieur cofondateur de la start-up vosgienne qui a levé 60000 euros par ce biais. La vraie difficulté reste en fait la même pour toutes les start-up, qu’elles soient high tech ou non : les tours ultérieurs de financement. « La première levée n’est généralement pas insurmontable, avec du love money ou des BA. Mais au-delà de cinq millions d’euros, les start-up sont souvent incitées à aller voir ailleurs », caricature Denis Fayolle. Pas sûr que le fonds réservé aux opérations de plus de 10 millions d’euros de Bpifrance suffise à régler le problème. A quand le Nasdaq européen ? En attendant la France, pays souvent jugé sclérosé, vit un bouillonnement encourageant au niveau de ses start-up technologiques, mais aussi de toutes les autres qui sont dans le tangible. Preuve en est de la série de portraits qui suit….
(1) “Lean start up”, Eric Ries, éd. Pearson, mars 2012
Retrouvez dans notre édition print les entretiens de 10 dirigeants de start-up à suivre :
- Jean-Philippe Da Coasta, PDG de TonPsy.fr, plateforme qui propose des consultations par visioconférence
- Bertrand Deher & Thomas Floret, fondateurs de MooBe qui conçoit des meubles en carton
- Guillaume Roy, cofondateur de Gallia, la bière de Paris
- Melchior de Warren, cofondateur des Colis du Boucher, qui distribue des produits carnés via la Toile
- Aurèle Charlet, ingénieur cofondateur d’In Bô, spécialisée dans les objets en bois des Vosges
- Christophe Tiraby, fondateur de Robotswim, qui conçoit des robots poissons d’aquarium
- Eric Lipmann, start-uppeur de… 75 ans, dirigeant de Discmuseum (cf ER n°3 Eloectron Libre), concurrent de Deezer ou Spotify
- Clément Moreau, ingénieur de Centrale Paris, DG de Sculpteo, « l’usine dans les nuages » et son impression 3D
- Paul-Adrien Menez, PDG de Zéro-Gâchis, spécialisée dans la récupération de produits alimentaires en grandes surfaces
- Aymeric Barthes, cofondateur de Naïo Technologies, spécialisée dans les robots de désherbage sans produits chimiques, utilisés par les maraîchers
Article réalisé par Julien Tarby