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« Une filière d’avenir », prédisent les prospectivistes… Mais la France, qui a des atouts à revendre, doit mieux répondre aux besoins de ces seniors qui changent.

Un déferlement – pire, un “tsunami” – de cheveux gris… « Notre pays compte aujourd’hui 15 millions de seniors âgés de 60 ans et plus. Ils seront au moins 20 millions en 2030. C’est un tsunami… attendu », sourit Alain Bosetti, co-fondateur du l’agence de communication En Personne et président de la Silver Economy Expo(1). Mais sommes-nous préparés à cette réalité ? Les réponses ne sont pas aussi catégoriques. Car même si la filière constitue une véritable opportunité de croissance pour la France – créatrice de quelque 300 000 emplois d’ici à 2020, selon la Dares – « elle n’est pas assez soutenue », insiste ce serial-entrepreneur, également fondateur du Salon des micro-entreprises. En question : la volonté politique d’accompagner (et de financer) cette économie tournée vers les seniors, lesquels touchent en moyenne chacun 1100 euros de retraite. Un chiffre qui cache d’importantes disparités de ressources. « Le prix moyen en Ehpad atteint le double, soit 2200 euros par mois. Je ne vois pas de grande ligne de force qui montre un changement de cap dans le financement de cette économie », considère Alain Bosetti. « Les gouvernements qui se succèdent oeuvrent d’ailleurs pour que l’on vieillisse à domicile » ; option qui reste également coûteuse. Aide à domicile, adaptation du logement et de sa mobilité… Vieillir chez soi – ou en établissement adapté – a évidemment un prix. Et l’hétérogénéité des revenus au sein de la population concernée « n’est pas sans présenter des risques importants pour notre société, car elle menace de rompre le contrat social associé à notre système de retraite par répartition », souligne un rapport (2013) du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Face à ce constat, experts et politiques « se sentent désarmés », souligne Renaud George, consultant au sein du cabinet de conseil en management Algoé, par ailleurs auteur de “La croissance grise : des seniors dans la ville” (éditions de l’Aube). « Financement des retraites, financement de la dépendance, insuffisance du nombre d’établissements d’accueil pour personnes âgées… Quelques sujets récurrents d’inquiétude sont souvent évoqués dans le débat public. » Pourtant la configuration qui s’annonce est aussi synonyme de belles fenêtres d’opportunités de business.
130 milliards d’euros en 2020
Le champ ouvert par l’avancée en âge est énorme. Selon le Crédoc, cité par ce même rapport, les seniors assurent désormais « une majorité des dépenses sur les différents marchés : 64% de la santé, 60% de l’alimentation, 58% de l’équipement, 57% des loisirs, 56% des dépenses d’assurance… » Dans leur ensemble, « ces baby-boomers disposent globalement d’un pouvoir d’achat et d’une épargne qui dégagent un marché potentiel pour tous les secteurs de l’économie liés à l’âge : bien-être, adaptation et sécurisation du domicile, transports, loisirs, santé, équipements, etc. Décathlon, Danone, Leclerc, LVMH, L’Oréal, Bouygues, Crédit agricole… Toutes nos entreprises, tous les secteurs, seront concernés. Le vieillissement pourrait ainsi devenir source de valeur pour une économie comme celle de la France », prédit le CGSP. Et pour cause : dans cinq ans, le marché global de la Silver Economy en France, qui représentait déjà 92 milliards d’euros en 2013, dépassera selon les prospectives les 130 milliards… De quoi susciter de nouvelles vocations, notamment dans le domaine de la robotique personnelle. A l’instar d’Aldebaran Robotics, société française rachetée en 2012 par le japonais Softbank et inventeur de Nao et Roméo – robots humanoïdes d’assistance à la personne. Des “compagnons” spécialisés dans l’aide aux personnes âgées, pensés dans une optique d’aide à la vie quotidienne, et qui pourront demain effectuer des actions comme celles d’ouvrir une porte ou attraper des objets sur une table.
Niches technologiques
« La France n’est pas à la traine sur ce type d’innovation », insiste Benjamin Zimmer, directeur de Silver Valley, premier cluster régional basé à Ivry-sur-Seine, dédié à l’économie du vieillissement. Et de citer également le cas de Doro, société membre du cluster au chiffre d’affaires de 150 millions d’euros et spécialisée dans la téléphonie et les logiciels destinés aux personnes âgées. Autant de “niches technologiques” qui riment donc avec emplois. « Des ingénieurs, mais aussi des ergothérapeutes, des commerciaux et bien sûr des experts en production et en distribution », relève ce centralien. La “silver economy”, orientée vers les séniors est certes une filière dynamique mais souffre (également) de sa “jeunesse”. Conséquence : « La vitesse industrielle est encore un peu plus rapide que l’appropriation par le public français de toutes ces innovations », relève Benjamin Zimmer. « En réalité, une des difficultés est de faire accepter que l’on vieillit et donc de faire admettre l’intérêt de ces innovations qui peuvent changer le quotidien des seniors. La population doit être éduquée au vieillissement, chose à laquelle personne n’est vraiment préparé. » Pas plus en région parisienne qu’ailleurs sur le territoire.
Seniors… actifs
Mais le “business des seniors”, c’est aussi… de la matière grise. Et des compétences à mettre au service de l’entreprise. Nombre de retraités sont en effet encore « en âge de travailler », sourit Pascal Gustin, du cabinet Algoé qui emploie une vingtaine de consultants retraités. « Celui qui a 65 ans – bien que la société se réfère encore à d’anciens codes qui disent le contraire – a encore la vie devant lui ; les seniors constituent une force de travail formidable. » Mais sur ce point la France est, selon lui, à la peine. En ces temps de chômage record, le travail des seniors “divise”. « C’est une erreur car les mieux formés – ceux auxquels les cabinets font appel – ne prennent évidemment pas la place des jeunes. » Le débat reste ouvert.
(1) Salon BtoB qui se tiendra à Paris – Porte de Versailles – du 24 au 26 novembre.
Pierre Tiessen