Savoir perdre pour mieux gagner

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«Il y a un échec incontestable », reconnaît  Manuel Valls devant la France au JT de TF1, à propos du fiasco de la fête organisée par le PSG au Trocadéro. Echec ? Le mot tabou est lancé, démontrant que le Ministre est acculé et ne peut noyer le poisson dans les synonymes. Car l’échec est une catastrophe en France, plus que n’importe où ailleurs. Il est imputable à l’individu et conduit à un jugement négatif sur la personne. « On ne fait pas confiance à quelqu’un qui a eu des échecs dans sa vie. Que ce soit dans l’éducation et encore plus dans l’entreprise, on entend plus souvent : “pourquoi as-tu échoué ?” plutôt que “qu’as-tu as appris de cet échec ?” », constate Christian Rataux, animateur de la Fondation de la deuxième chance en Lorraine, créée à l’initiative de Vincent Bolloré. De plus cette notion  est  individuelle, contrairement à la réussite : “Nous avons gagné” mais “tu t’es planté”. « Car notre culture exige le recours à un bouc  émissaire,  l’échec n’étant pas assumé collectivement », assène Christian Rataux. A contrario, « le déboire est plutôt perçu dans les pays anglo-saxons comme une tentative qui n’a pas abouti, mais qui indéniablement rapproche la personne de son but », compare Marc Traverson, directeur associé d’Acteüs, cabinet de coaching et de conseil en management. Et ce qui pourrait passer pour une spécificité culturelle anecdotique se révèle un véritable fardeau.

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Accusé, levez-vous !

Car de ce fait le revers n’est pas considéré comme partie constituante de l’apprentissage dans l’Hexagone. « Les gens qui l’ont vécu bénéficient d’une plus forte capacité de résilience. Pourtant les politiques ne parlent pas de leurs défaites, les insuccès ne sont pas  enseignés  dans  les écoles », déplore Guilhem Bertholet, entrepreneur en série et fondateur de l’incubateur d’HEC. La jeune société américaine favorise le mécanisme d’essai-erreur, le rapport au risque est à l’opposé. « Quand en  France  il  est  grave d’échouer, il est là-bas grave de ne pas essayer », décrit Yseulys Costes, cofondatrice de la société de marketing interactif 1000mercis, qui a réalisé une partie de ses études outre-Atlantique. Cet anathème jeté sur celui qui rate atteint son paroxysme en matière d’échec entrepreneurial, en témoigne le champ sémantique utilisé : il a “fait faillite”, il a été “mis en liquidation”, avec publication au regard et au vu de tous, comme s’il était affublé du bonnet d’âne. « Même si l’entrepreneur a innové durant dix ans, on ne retiendra de lui que les derniers moments de la mort de sa société », indique  Abdellah Mezziouane, Secrétaire général de la CGPME Paris & Îlede-France. Le réseau s’éloigne mécaniquement, l’entrepreneur en situation d’échec devient le vilain petit canard et surtout l’institution le pénalise. Or le risque de se fourvoyer est conséquent. Celui qui démarre a une part de marché nulle et se place toujours dans la position du risque maximum. Si 50% des entreprises ne survivent pas au delà de cinq ans, 38% des dirigeants cessent leur activité pour des raisons économiques selon l’Agence pour la création d’entreprises (APCE). « Personne n’est à l’abri d’un gros client qui disparaît, d’un grand groupe qui vient sur la même niche, d’une dispute avec son associé», énumère Abdellah Mezziouane.

Opprobre générateur de peur

Stigmatisation à outrance et risque élevé dissuadent donc nombre de créateurs de passer à l’acte ou de récidiver. Dixhuit mois après la cessation d’activité de l’entreprise, 60% des ex-dirigeants ont retrouvé une activité. Tout le monde ne passe pas par les fameux 3D de l’échec du créateur – « dépôt de bilan, dépression et divorce », que décline Agnès Bricard, Présidente d’honneur du Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables –, mais la peur de la sortie de route prédomine. Les effets sont dévastateurs sur les femmes entrepreneurs par exemple, que suit Maïté Debeuret, cofondatrice de la Caravane des entrepreneurs, association itinérante de conseils à ceux qui se lancent, animatrice du site Entrepreneures.fr : « Elles restent trop prudentes de peur d’échouer. Le principe de précaution a fait du mal, car il les dissuade de gérer le risque ». Or une société ne peut être entrepreneuriale si la crainte de rater y est plus forte que l’initiative et la volonté d’accomplir, tel est le message  d’Anne  BrunetMbappe, enseignant-chercheur à Advancia-Négocia dans son ouvrage (1). Dès le plus jeune âge l’aversion au risque est enseignée. Daniel Cohen, entrepreneur en série autodidacte, fondateur de la société de coursiers ATV à Paris, dénonce la pusillanimité de ses propres enfants, « parce que le système éducatif leur a appris à fuir le risque ». Or rien de plus constructif qu’une déconvenue. « Je me souviens des débuts où, en ouvrant ma boutique, je m’attendais à une ruée de clients comme au premier jour des soldes. Cela n’a pas été le cas. Il a fallu apprendre, aller chercher les premiers clients. Le business est comme une relation amoureuse, on se renforce de ses déboires », assène Hapsatou Sy, fondatrice de la chaîne de salons de bien-être « Ethnicia » (renommée depuis « HapsatouSy »).

« Big is beautiful »

La réhabilitation de l’échec aurait aussi des effets positifs au niveau macro-économique. Car Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, affirme que les représentations scientifiques du monde enferment les pays dans des configurations économiques (2). En France pour des raisons historiques et culturelles c’est la conception de Lamarck qui prédomine, s’appuyant sur l’idée d’un développement continu des lignées, autrement dit des entreprises. Celles-ci se perfectionnent par filières, indépendamment les unes des autres, selon un plan et une conception verticale – grandes administrations, grandes entreprises, etc. – avec à la clé de belles réussites industrielles dans l’aéronautique, le nucléaire ou les télécommunications. Et l’éducation est orientée verticalement vers la formation d’élites pour jouer les rouages de cette mécanique, sortant de quelques grandes écoles à peine, comme le déplore Peter Gumbel, ancien grand reporter au Time Magazine et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris dans un récent ouvrage (3). Autodidactes et défricheurs n’ont pas leur place, les individus doivent monter les échelons. Cette culture, plus axée sur le développement que sur l’innovation, n’admet pas l’erreur, la variabilité qui nuirait à la norme et à ses fondements de verticalité, excelle à développer des filières mais pas à en créer. Au contraire la conception darwinienne, plutôt anglo-saxonne, favorise les initiatives individuelles et agit comme la sélection naturelle, étant entendu que dans ce processus d’essai-erreur, cette dernière n’est pas rédhibitoire. L’acceptation de l’échec, cruciale, favoriserait les initiatives, créerait les conditions idoines au développement des innovations, améliorerait la « biodiversité » des entreprises.

Amorce de solution

« Pour lutter contre la stigmatisation de l’échec, l’indicateur 040 sera supprimé.150000 entrepreneurs soulagés ». Ce tweet du 29 avril de Fleur Pellerin est un petit pas politique, mais un grand pas pour l’entrepreneuriat. La Banque de France mettait à disposition des banques le Fiben notant les emprunteurs. « Quiconque déposait le bilan était fiché à vie, puisque les banques qui consultaient les fichiers gardaient les informations », précise Maïté Debeuret. La preuve que les pouvoirs publics ont pris conscience de l’enjeu et que les associations ne seront plus les seules à s’afférer dans ce domaine. La Fondation de la deuxième chance vient gratuitement en aide à des personnes en situation de précarité, qui ont un projet pour rebondir. Notamment d’anciens dirigeants, qu’elle accompagne financièrement, mais aussi par un parrainage qui peut être réalisé par un autre chef d’entreprise. Plus spécifique aux entrepreneurs, l’association Recréer propose des ateliers aux adhérents qui y expliquent leurs difficultés, et leur propose des solutions. Reste aux structures existant déjà pour la création à intégrer des informations, des conseils et des aides à l’intention des ex-entrepreneurs qui doivent faire le deuil. « Petit à petit les gens intègrent que l’entrepreneuriat consiste avant tout à transformer l’échec en pédagogie ou en opportunité », observe Didier Tranchier, consultant chez Adelit Consulting et président d’ITAngels. Mieux, dans le secteur numérique, « les dirigeants recherchent des entrepreneurs qui se sont battus contre vents et marées, pas des gestionnaires. S’être cassé la figure peut être positif s’il n’y a pas que des échecs », remarque Franck Pasquet, directeur associé chez Arrowman Executive Search, cabinet de chasseurs de tête. Encore loin toutefois des Etats-unis, où il est conseillé au créateur de présenter un ou deux échecs dans un dossier de demande de fonds, afin de rassurer les investisseurs. Et les secteurs traditionnels ? « Les grands groupes continuent de chercher des CV parfaits qui rentrent dans les cases. Les start up demandent des personnalités », distingue Didier Tranchier. Des disparités qui pourraient s’estomper à l’avenir.

Article réalisé par Matthieu Camozzi

(1) « L’entrepreneur français : un trapéziste sans filet. Pour que l’entrepreneur échoue avec les honneurs », Anne Brunet Mbappe, collection Impertinence de la Documentation française, 2010.

(2) « L’évolution, l’entreprise et le singe » de Pascal Picq dans « Repenser l’entreprise » sous la directionde l’association pour le management (APM), Le Cherche Midi, 2008.

(3) « France’s Got Talent (Elite Academy- Enquête sur la France malade de ses Grandes Ecoles) », Denöel, 2013.

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