Santé, numérique, transition écologique : les « gagnants » de la crise ?

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Soyons clairs : nos « gagnants » de la crise ne sont pas des opportunistes qui auraient fait fortune dans le marasme de la crise économique. La plupart des secteurs économiques et leurs entreprises ont composé avec bien des obstacles et des coups d’arrêts. Mais certaines filières tirent leur épingle du jeu. Suffisant pour parler de « gagnants de la crise » à l’heure de la relance ?

« Le premier trimestre a été catastrophique pour l’ensemble de l’économie », résume Bruno Ducoudré, économiste à l’Organisme français de conjoncture économique (OFCE), responsable du pôle modélisation de l’économie française et de son environnement international. Et pour cause, pour la quasi-totalité des entreprises et des acteurs économiques, le choc fut brutal. Entre pertes sèches de chiffre d’affaires, fermetures contraintes, usines au ralenti et lieux touristiques désertés, c’est toute la machine économique française qui s’est enrayée durant les deux mois de confinement. Au plus fort de la crise, mi-avril, l’Insee estimait que l’activité économique en France était inférieure de 36 % à la « normale ». Un constat encore plus alarmant dans des secteurs comme la construction (- 88 %), l’hôtellerie-restauration (- 90 %) ou le transport (- 64 %). De quoi provoquer une chute du PIB national jamais vue depuis 1945.
Malgré tout, des exceptions existent dans la tourmente. Nous sommes en 2020 après Jésus-Christ, toute la Gaule est occupée par la crise et tous les acteurs économiques sont à l’agonie. Tous ? Non ! Car certains secteurs et entreprises, plus réactifs qu’irréductibles, résistent à l’envahisseur et à ses conséquences. On aimerait dire qu’ils résistent encore et toujours et mènent la vie dure au virus, mais la métaphore s’arrête là. De la santé au numérique, en passant par la grande distribution, certains secteurs tirent leur épingle du jeu et résistent au raz-de-marée, jusqu’à en « profiter », pour certains chanceux de l’épidémie, pour développer leur activité. De quoi participer grandement au rebond français, le plus significatif par rapport à nos voisins européens. À l’heure de la relance, en particulier des secteurs les plus touchés par la crise, et du plan gouvernemental pour celle-ci, l’exemple des « gagnants » de la crise ouvre à quelque optimisme. Avec le cap de la transition écologique en ligne de mire.

La santé et le numérique font de la résistance

À propos de la conjoncture économique, Bruno Ducoudré analyse : « Le troisième trimestre 2020 est un trimestre de reprise, la dynamique est présente mais les niveaux d’avant crise sont encore loin. Le bilan est partagé, plutôt que négatif ou positif ». Outre la reprise globale entamée depuis le déconfinement, ce bilan partagé tire notamment son bilan positif parmi les secteurs qui limitent la casse.

• Le premier « gagnant » de la crise : le secteur de la santé. Mieux que résister, le secteur progresse : l’industrie pharmaceutique a à elle seule vu son taux de production bondir de 13 % en moyenne, pendant que le secteur de l’énergie chutait de 13 %. Selon une étude du Boston Consulting Group, les valeurs liées à la santé (industrie pharmaceutique, technologies médicales) ont progressé de 24 %. Dans ce contexte si particulier, la santé a retrouvé ses vertus de valeur défensive sur les marchés financiers qui ont vu les titres des entreprises de santé et de médicaments particulièrement bien résister. Autre facteur : la capacité des acteurs de la santé à assurer la continuité de la production et à répondre à la demande durant le confinement.

• La grande distribution alimentaire a, elle aussi, bien résisté aux premières semaines de crise. Autorisées à rester ouvertes, elles furent prises d’assaut dès les premiers jours du confinement (+ 11,7 % de vente de produits alimentaires en mars). Les grandes surfaces ont donc limité la casse, malgré une baisse significative et inévitable de leur chiffre d’affaires (- 11,7 % en avril). Grâce au développement exponentiel des drives et des livraisons à domicile, dont le débit a respectivement été multiplié par trois et par deux, la grande distribution a notamment pu compter sur sa numérisation. Malgré la baisse drastique des ventes de carburant durant le confinement, la demande alimentaire est restée stable. Si le secteur se maintient à flot, il semble également prendre le chemin d’un changement de modèle, pour laisser plus de place au commerce en ligne. En atteste l’annonce d’Auchan lancée début septembre : l’enseigne française va supprimer près de 1 475 postes malgré des indicateurs plutôt à la hausse.

Le numérique, voilà l’autre « gagnant » de la crise. Confinement et mesures de distanciation sociale obligent, l’usage des écrans, des applications, des services et des outils numériques est monté en flèche ces derniers mois. Les géants américains du numérique, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) sont même, selon Bruno Le Maire, « les seuls gagnants de la crise actuelle ». Et pour cause, Amazon a embauché quelque 100 000 intérimaires pour faire face à son regain d’activité et la fortune de son patron Jeff Bezos atteint des sommets, impressionnants ou indécents, c’est au choix. Dans ce sillage, Netflix atteint son plus haut niveau depuis son introduction au Nasdaq en 2002. Symbole des opportunités « offertes » par la crise : l’application de téléconférence pour particuliers et professionnels Zoom, qui compte 148,4 millions d’utilisateurs individuels. Entre confinement, essor vertigineux du télétravail et rendez-vous familiaux virtuels, la marque états-unienne affiche un chiffre d’affaires de 663,5 millions de dollars et une hausse de 355 % en un an, dont 122 % d’activité sur les seuls mois de mars, avril et mai ! Pour 2021, Zoom prévoit un CA de 2,4 milliards de dollars.

Malgré ces quelque trois exceptions, notre économiste de l’OFCE nuance ce constat et réfute l’idée de « gagnants de la crise » : « Effectivement certaines entreprises dans l’industrie pharmaceutique ou les nouvelles technologies ont tiré leur épingle du jeu, mais ça ne représente qu’une faible minorité. Ces acteurs ont su répondre au bon endroit au bon moment, mais le terme “profiter” est sujet à caution, toutes les branches de l’économie française ont subi des dégradations. Il est plus juste de parler de filières qui ont le mieux résisté au choc. »

La transition écologique, grande gagnante ?

Certes, certaines entreprises et certains secteurs ont mieux résisté, mais leur réussite ne suffit pas à titrer Vive la crise sans point d’interrogation. « Ce n’est pas ça qui permettra de relancer l’économie, insiste Bruno Ducoudré dans la morosité, je ne pense pas que réfléchir en termes de secteurs favorisés soit la bonne clé. L’objectif du plan de relance n’est pas tant de relancer des filières en particulier que de plutôt soutenir l’ensemble de l’économie pour refermer le creux créé par la crise sanitaire. » Plutôt que de raisonner au cas par cas, l’heure est à une réflexion globale et structurelle, pour freiner les destructions d’entreprises et d’emplois et pérenniser le rebond de l’économie. À l’instar du développement du télétravail, perçu par l’économiste de l’OFCE comme un facteur de transformation structurelle. Le choix du gouvernement pour son plan de relance est notamment celui d’une logique structurelle, à l’horizon 2030, mais aussi d’un soutien immédiat aux entreprises. Bruno Ducoudré résume : « Il y a une tension dans ce plan entre une nécessité ou une injonction à court terme à soutenir l’activité et une volonté de mettre l’économie sur une trajectoire de croissance durable via des mesures plus structurelles. »

Si tout le monde s’accorde pour dire qu’il est urgent de favoriser la relance des secteurs très impactés (tourisme, transports, services), la question de la place des secteurs les moins impactés par la crise dans ce fameux plan de relance pose question. Dans une tribune parue dans Le Monde début septembre, David Cayla, membre des économistes atterrés et Thomas Guénolé, politologue, regrettaient ainsi « le refus de faire contribuer les gagnants de la crise à la relance ». Ils ajoutaient : « Un plan de relance qui généralise les aides sans distinction entre les gagnants et les perdants serait non seulement injuste, mais surtout très inefficace. » Effets d’aubaine pour les entreprises favorisées ou coup de pouce décisifs, l’avenir nous le dira.

Au-delà de toute incertitude, une chose paraît claire : l’accélération de la transformation de l’économie vers la transition écologique. Outre les 30 milliards d’euros, sur les 100 milliards consacrés au plan, dédiés à une transition écologique érigée en volet prioritaire de la relance, l’écologie semble s’imposer dans les esprits comme une cause incontournable. Et comme un gagnant véritable de la crise que nous vivons. Selon Bruno Ducoudré, « d’un point de vue fondamental, la transition écologique est quelque chose d’essentiel. À partir du moment où l’on a besoin de relancer l’économie et de donner des perspectives de croissance, autant le faire dans une dynamique qui puisse faciliter la transition écologique et l’adaptation du système productif. »

La transition écologique, le made in France, l’entrepreneuriat responsable et durable, autant d’opportunités, plus nouvellement mises en lumière et en ordre de bataille que nouvellement accessibles, pour les entreprises et les entrepreneurs qui sauront s’emparer de ces enjeux et participer à la relance d’une économie française au goût du jour. Après l’ère du numérique, s’ouvre l’ère du green business

Adam Belghiti Alaoui

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