Récolte de jeunes pousses

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La lutte fait rage entre Paris, Londres et Berlin, qui ont la même volonté de faire fleurir sur leurs terres les futurs Facebook et Google du Vieux Continent. Et si Paris détenait les meilleurs atouts pour attirer les créateurs ? Passage en revue.

 

Le monde vu par le digital native. Mieux vaut trouver les arguments et dispositifs pour sortir du lot...
Le monde vu par le digital native. Mieux vaut trouver les arguments et dispositifs pour sortir du lot…

Le Président de la République François Hollande a posé, mercredi 22 octobre 2014, la première pierre de la Halle Freyssinet qui doit devenir, dans le 13e arrondissement de Paris, le plus grand incubateur de start-up au monde, capable d’accueillir un millier de projets. Un chantier à plus d’un titre symbolique. Cette ancienne messagerie des trains de la gare d’Austerlitz voisine, sauvée de la destruction en 2012 par son classement aux Monuments historiques, offrira à terme, en 2016, 30000m2 de bureaux dédiés au monde du numérique. Ce bâtiment majestueux (300 mètres de long, 58 mètres de large), entièrement repensé par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, sera doté de larges espaces de travail, de salles de réunion, de restaurants, et même d’un bureau de Poste. Dans ses soutes également un auditorium de 500 places, un atelier de prototypage, un bureau de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Surtout la Halle Freyssinet du 21e siècle est le projet d’un homme, Xavier Niel, le fondateur de Free, qui veut en faire « l’emblème » du numérique hexagonal. La ville de Paris, qui a usé de son droit de préemption pour racheter le bâtiment à la SNCF, l’a revendu 70 millions d’euros à un consortium formé par le milliardaire du Net et la Caisse des dépôts qui devrait participer à hauteur de 10% au coût du chantier de réhabilitation, estimé à 200 millions d’euros ; le reste étant financé par Xavier Niel. Un concept « emblématique d’une collaboration public-privé réussie en faveur des start-up et de l’implication de tout un écosystème », juge Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Une ambition surtout qui devrait donner une belle longueur d’avance à Paris sur ses rivales Londres et Berlin dans la bataille qui se joue à l’échelon européen pour l’accueil des start-up. Les trois capitales européennes revendiquent en effet depuis quelques années l’honneur de constituer le terreau dans lequel vont s’enraciner les jeunes pousses de l’économie du 21e siècle, celles qui deviendront peut-être les Google et Facebook du Vieux Continent. « Il s’agit plus d’émulation que de bataille à proprement parler, estime Jean-Louis Missika, car Londres attire surtout des start-up anglaises, Berlin des start-up allemandes et Paris des start-up françaises. Celles qui s’expatrient le font plutôt aux Etats-Unis. Le véritable sujet, c’est notre capacité aux unes et aux autres à mobilier les jeunes créateurs d’entreprise à la sortie de l’école pour qu’ils créent sur notre territoire. Pour cela il faut constituer un écosystème vivant pour inciter et accompagner ces créations. Et en l’occurrence notre écosystème parisien, avec une très forte concentration des talents, me semble meilleur que celui de Londres ou de Berlin. »

 

100 000 mètres carrés d’incubateurs

Il faut dire que Paris, appuyée par l’Etat français et la région Île-de-France, a mis les bouchées doubles. Depuis 2008, la ville a créé quelque 100000 mètres carrés d’incubateurs sous le mandat de Bertand Delanoë pour accompagner l’éclosion des start-up espérées, principalement dans le digital. En mars 2013 Fleur Pellerin, alors ministre déléguée à l’Economie numérique, annonçait sa volonté de faire de Paris la capitale du secteur avec le grand chantier de la Halle Freyssinet. Parallèlement le gouvernement lançait une autre campagne encore plus ambitieuse : celle du rayonnement de la « FrenchTech » sur notre territoire et à l’international. Cette dynamique initiée par Fleur Pellerin, mais conduite désormais par Axelle Lemaire, nouvelle secrétaire d’Etat chargée du Numérique, vise ni plus ni moins à faire de la high tech made in France une référence mondiale en labellisant d’abord les grandes villes françaises. A commencer par Paris, qui depuis 15 ans, avec sa banlieue, ensemence le terreau fertile de l’accompagnement des créateurs d’entreprise avec force incubateurs, publics ou privés, accélérateurs, espaces de travail collaboratif, pépinières d’entreprises, et événements de tous poils. Paris, où est né en 1998 le premier réseau français de business angels, Investessor, et où se concentrent les principaux acteurs du capital-risque, doit donc affirmer son rôle de « locomotive » pour les autres métropoles qui sollicitent le label. Une quinzaine d’entre elles ont déjà déposé leur candidature. Des agglomérations qui pourraient par exemple reprendre à leur compte le modèle du Club Open Innovation, qui a permis de faire dialoguer des start-up et une soixantaine de grands groupes. Un Club lancé en 2011 par le Paris Région Lab, centre d’expérimentation et d’incubation dédié à l’innovation en Île-de-France, soutenu par la Région et… la mairie de Paris.

 

Le Grand Paris de l’innovation

Autre projet parisien qui pourrait servir de référence : la création d’un « Arc de l’innovation » voulu par le nouveau maire de Paris Anne Hidalgo et qui vise à créer autour de la capitale 100000 nouveaux mètres carrés d’incubateurs d’entreprises et de centres de télétravail. « C’est un projet de longue haleine qui s’articule avec le Grand Paris pour effacer la cicatrice du périphérique, précise Jean-Louis Missika. Des choses existent déjà, comme le projet de Campus Condorcet (création d’un nouveau campus à cheval sur le territoire de Paris-Porte de la Chapelle et celui de la commune d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis), la rénovation de la cité Internationale boulevard Jourdan dans le 14e, le projet de Xavier Niel de créer des logements à très bas prix pour les jeunes créateurs d’entreprise à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), le pôle de recherches sur l’eau Aquafutura également à Ivry-sur-Seine. » Dans le même temps Paris poursuit sa politique d’accompagnement ciblé des start-up en créant des incubateurs sectoriels, comme le Welcome City Lab. Inauguré officiellement le 9 septembre, cet incubateur dédié à l’innovation touristique accueille déjà 27 entreprises qui, moyennant 18000 euros de loyer annuel, pris en charge par Paris Innovation Amorçage (dispositif financier créé par la ville de Paris et Bpifrance pour accompagner les entreprises accueillies dans les incubateurs labellisés « Paris Innovation ») bénéficient de l’hébergement, d’un coaching (marketing, fiscalité, recrutement…), de conférences à thème avec des professionnels, ainsi que du soutien de grands partenaires : Air France, Galeries Lafayette ou Aéroports de Paris. Parmi les heureux élus, des sociétés comme Sejourning (créée sur le modèle d’Airbnb), Bnbsitter (services aux propriétaires), Darjeelin (réservation de billet d’avion), Marin d’eau douce (location de bateaux électrique sans permis)… « D’autres projets vont voir le jour comme l’incubateur sur le sport au stade Jean Boin, qui rejoindra un réseau déjà bien étoffé d’incubateurs sectoriels, confie Jean-Louis Missika, avec par exemple Creatis (pour les entrepreneurs culturels) au théâtre de la Gaité Lyrique, le Labo de l’édition dans le 5e arrondissement, l’incubateur Boucicaut spécialisé dans l’aéronautique, Paris biotech santé à l’hôpital Cochin, la Ruche spécialisé dans l’économie sociale et solidaire, Paris Pionnières pour les femmes créatrices de start-up… » Le maillage parisien pour l’accompagnement des start-up est ainsi d’une rare densité, avec au total à ce jour une quarantaine d’incubateurs, une vingtaine publics et autant d’accélérateurs privés, principalement dans le secteur de l’innovation numérique. Premier du genre, le Camping a par exemple été créé en 2011 par l’association d’aide aux start-up Silicon Sentier, bientôt suivi par The Family (créé en mars 2013 par Alice Zagury, ancienne directrice du Camping), 50 Partners, Dojoboost, le Start Up Leadership Program, Nextstars, Petit Poucet… Dernier né l’Usine IO, un FabLab qui a ouvert ses portes début octobre à quelques mètres de la Halle Freyssinet : 1500m2 d’ateliers dédiés à la conception, au prototypage produit et à l’industrialisation pour aider les start-up à concrétiser leurs projets avec conseils, encadrement et aide à la décision à l’appui. Une abondance et une grande dispersion qui ne nuisent pas à l’efficacité de l’écosystème parisien, estime Jean-Louis Missika, selon qui « tout Paris est un grand quartier numérique ». A la différence de Londres, où la Tech City largement médiatisée accueille selon l’élu parisien beaucoup de sociétés de communication et de relations publiques et peu de start-up technologiques.

 

Ici Londres….

L’éternelle rivale a elle aussi multiplié ces dernières années les dispositifs d’accompagnement des start-up, en ciblant notamment les jeunes pousses françaises pour tenter de les capturer dans ses filets. Londres, qui avait déjà séduit il y vingt ans les traders français, déroule à présent le tapis rouge aux geeks tricolores, conquise par la réputation d’excellence technologique des « frenchies ». Comme à Paris les incubateurs et accélérateurs se multiplient : exemple, le « Level 39 », spécialisé dans les start-up financières, récemment implanté au cœur de Canary Wharf, au bord de la Tamise, où les bureaux se louent environ 300 livres (381 euros) par mois. L’objectif de Londres : faire naître « la Silicon Valley » européenne, espère son maire Boris Johnson qui mise pour cela notamment sur la fameuse «Tech City ». Ce quartier qui rayonne à deux pas du centre financier, a « pouponné » par exemple les créateurs de Candy Crush. Le « campus Google » en est son emblème. Un bâtiment en briques rouges de sept étages entièrement dédié aux start-up, installé au cœur de la Tech City londonienne en mars 2012. Au sous-sol, le café « Central Working » est un centre névralgique où se rencontrent jeunes entrepreneurs et investisseurs. Dans les étages de vastes espaces de co-working loués à des start-up. Londres peut également compter sur le soutien du gouvernement britannique, dont la politique fiscale encourage les start-up à y élire domicile. L’agence mi-publique mi-privée de promotion des investissements étrangers au Royaume-Uni, « UK Trade and Investment », met ainsi en avant les généreux crédits d’impôts octroyés aux business angels (30000 euros pour 100000 euros d’investissements) et les taxes sur les plus-values à la revente d’une start-up (entre 18 et 28% contre 23 à 62% en France). Et ça marche ! La start-up française Headoo (digitalisation des points de vente) a par exemple installé cette année une antenne à Londres pour déployer son logiciel de mesure d’impact d’évènements via les réseaux sociaux. Point de chute : Tech City, choisie pour sa concentration d’entreprises du Web et du digital, selon Maia Fontaine, country manager de la jeune pousse hexagonale, et pour la proximité avec la City, le centre névralgique de la finance londonienne. « Ce qui est intéressant en fait avec les traders de la City, c’est qu’ils sont basés vraiment juste à côté de la Tech City et qu’ils connaissent très bien le monde du digital. Headoo […] a réussi à lever 300000 livres sterling de fonds [près de 400000 euros, ndlr] en moins d’une semaine pour s’installer à Londres », expliquait ainsi en juillet dernier Maia Fontaine sur les ondes de BFM. L’expatriée confiait alors que Headoo partageait ses locaux avec « des entreprises qui viennent du Canada, du Vietnam, de la Chine, d’Italie… Ils sont aussi venus à Londres parce qu’ils ont trouvé des financements assez rapidement et assez facilement. Nous sommes tous arrivés dans les trois derniers mois », ajoutait Maia Fontaine, qui soulignait : « Il y a énormément d’entraide entre nous : nous nous conseillons beaucoup sur les bons plans, les endroits où aller faire des évènements de networking ». Cet activisme londonien laisse pourtant les Parisiens sceptiques. En six ans la ville de Paris a apporté pas moins de 1 milliard d’euros d’aides aux start-up, affirmait au printemps dernier durant la campagne des municipales la future maire Anne Hildago. « Nous sommes devant Londres en termes de création de start-up », insistait même l’élue socialiste qui avançait le nombre de 1800 entreprises créées, contre 1200 à Londres. Quant à Berlin, Jean-Louis Missika ne semble pas non plus craindre sa concurrence, estimant que la capitale allemande doit d’abord s’imposer devant ses rivales d’outre-Rhin comme Munich, Francfort ou Hambourg.

 

La séduction berlinoise

Pourtant la capitale allemande est devenue depuis la chute du Mur un centre d’attraction fort pour les jeunes créateurs européens de start-up. La ville est convoitée par la génération des digital natives, grâce à ses loyers modérés, son cadre de vie agréable, son espace, sa vie culturelle et artistique intense et son cosmopolitisme. Florent Quinti et Karl Schaeffler, co-fondateurs de la start-up OleaPark (service de networking pour les évènements), ont ainsi choisi Berlin en 2011 après avoir été sélectionnés dans la saison 2 du Camping à Paris. Ils y sont restés un an. Les atouts de la capitale allemande selon Florent Quinti : la faiblesse des loyers pour habiter et pour travailler, et plus globalement le coût de la vie plus bas qu’à Paris, mais également l’intérêt plus marqué des fonds d’investissements et des busines angels pour les projets en incubation. « La taille des deux écosystèmes de Paris et Berlin est identique à mon avis, confie Florent Quinti, aujourd’hui revenu en France après l’arrêt de OleaPark. Mais les start-up, qui entre parenthèses sont souvent suédoises, ont plus de facilité à se faire financer à Berlin », estime Florent Quinti. En 2013, Berlin a d’ailleurs concentré la moitié du capital-risque investi en Allemagne, avec un peu plus de 125 millions d’euros à la grande satisfaction de Berlin Partner, l’agence de développement de la capitale allemande. Comme à Londres ou Paris, la conquête des start-up passe aussi à Berlin par la multiplication des structures d’accompagnement, incubateurs et accélérateurs. Dernière en date, « the Factory », inaugurée cet été. Une ancienne distillerie située sur le tracé de l’ancien mur de Berlin, transformée en campus dédié aux nouvelles technologies : 16000m2 de surface de travail pour héberger une vingtaine de jeunes pousses, sous le parrainage de Google. Le géant américain (dont le siège social en Allemagne est à Hambourg et le centre technique à Munich) a alloué un million d’euros d’aides financières à la structure sur les trois prochaines années pour prendre pied sur le marché berlinois des start-up que son P-Dg, Eric Schmidt, juge prometteur. D’autres grands groupes sont également actifs, comme Microsoft qui a ouvert cet été un Accélérateur à Berlin après ceux de Seattle, Tel Aviv, Pékin, Bangalore, Londres et Paris. « La capitale allemande a de grosses start-up qui ont réussi et qui représentent un exemple à suivre », explique Florent Quinti, comme les services de musique en ligne Soundcloud et Spotify, ou l’éditeur de jeux vidéo Wooga. « Mais J’ai vu des projets beaucoup plus innovants à Paris… Il subsiste encore beaucoup d’e-commerce et de copycats à Berlin ! » Un domaine dans lequel la ville s’est effectivement imposée depuis deux ans, avec en particulier quatre incubateurs : Project A Ventures, Springstar, Team Europe et Rocket Internet à l’origine du succès du site de vente en ligne Zalando (premier site de e-commerce européen dans le domaine de la mode). Rocket Internet et Zalando, évaluées respectivement à 5,6 et 6,7 milliards d’euros, viennent d’ailleurs de s’introduire en Bourse..

 

 

Article réalisé par Philippe Flamand

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