Temps de lecture estimé : 4 minutes

Les salariés débordent d’idées et certaines peuvent rapporter gros ! Mais pour capter cette énergie « intrapreneuriale » trop souvent étouffée dans les vastes organisations, encore faut-il se doter de process RH souples et ouverts aux nouvelles formes d’open innovation. La maturité, enfin ?

Quand certains intègrent une équipe d'intrapreneurs au sein d'un groupe, ils se sentent différents et le montrent...
Quand certains intègrent une équipe d’intrapreneurs au sein d’un groupe, ils se sentent différents et le montrent…

Le Post-It de 3M, le premier PC d’IBM ou encore le webservice Google Maps. Autant d’innovations de rupture, fruit d’un levier managérial venu tout droit des Etats-Unis : l’intrapreneuriat. La singularité d’une telle approche un tantinet jargonneuse : doper l’énergie entrepreneuriale dans les organisations grandes et – de fait – peu agiles pour booster les idées nouvelles. « Il s’agit d’accorder aux salariés une certaine liberté pour entreprendre au sein de leur structure. Par exemple, chez Google, les ingénieurs peuvent consacrer une part de leur temps de travail à la conduite de nouveaux projets, l’objectif étant d’instaurer une culture d’entreprise valorisant la créativité », raconte Véronique Bouchard, professeur de stratégie à l’EM Lyon Business School. Chez IBM, c’est un service ad hoc qui fut isolé pour pouvoir sortir en 1981 le premier PC, en mode start-up. Car la vocation finale de l’intrapreneuriat consiste bien à créer des structures internes spécifiques, alors confiées à des managers chargés de développer des projets stratégiques. « C’est ni plus ni moins de l’externalisation à de petites entités autonomes, dotées des moyens financiers et matériels suffisants pour fonctionner en roue libre par rapport à la « maison mère ». Le grand compte crée ainsi un ‘bébé’ en interne en s’inspirant du modèle de la petite entreprise », détaille Alain Bosetti, président du salon des micro-entreprises. Voilà un formidable coup de pouce pour doper les innovations radicales tout en permettant à « l’intrapreneur », et à son équipe, de s’affranchir des pesanteurs hiérarchiques de la grande organisation. En effet, quoi de plus stimulant pour un cadre dynamique en quête d’autonomie que d’être challengé dans une nouvelle activité et ce, tout en profitant de l’enveloppe protectrice de la grande boîte ? Une manière d’entreprendre à moindre risque. « Non seulement l’intrapreneuriat attire et fidélise les profils créatifs, mais il constitue surtout une réponse adaptée aux grandes entreprises souvent peu adaptées pour accueillir et faire grandir les innovateurs en leur sein », affirme Véronique Bouchard.

Casser les silos

A l’heure où l’open innovation est sur toutes les lèvres, c’est dire si un tel concept a de quoi séduire. Pourtant, force est de constater que « la déferlante intrapreneuriale est loin d’avoir pris en France, rappelle Frédéric Tavera, dirigeant d’IP Montage, spécialisé dans le montage de projets, car si cette notion s’est imposée dans les discours, elle peine à se concrétiser dans la pratique ». Certes, moult poids lourds du CAC 40 – Michelin, Renault, Airbus, etc. – se sont inspirés à des degrés divers d’un tel modèle (en cassant les silos pour favoriser le mode projet, en lançant des spin-off…), mais ces pratiques hétérogènes ne relèvent pas toujours de l’intrapreneuriat stricto sensu.
La cause d’un tel blocage reste connue : « La difficulté pour les grands comptes de s’engager dans un tel projet bouleversant les organisations existantes », analyse Frédéric Tavera. Alain Bosetti confirme : « Les freins sont multiples, comme la crainte d’allouer des ressources dédiées à une activité qui ne sera pas de suite profitable, les rivalités possibles entre les équipes intégrées au projet et celles qui n’en font pas partie… ». Sans oublier la nécessité de réintégrer, une fois le projet terminé, des collaborateurs alors habitués à être autonomes. D’ailleurs, certaines directions redoutent le scénario du pire : l’éventualité que « l’intraprise » s’émancipe pour devenir, in fine, un concurrent ! C’est dire la nécessité, face à un tel risque, de bien préparer un tel chantier, « en s’appuyant sur une DRH pragmatique, mobilisée pour valoriser le potentiel humain », indique Alain Bosetti. C’est le cas des RH de Crédit Agricole SA qui investiguent largement sur la question de l’intrapreneuriat. « Nous voulons être le fer de lance de nouveaux modes de travaux collaboratifs au sein du groupe. C’est pourquoi nous avons réalisé une série de livres blancs pour repenser nos pratiques à long terme, le dernier portant sur l’intrapreneuriat », relate Claire Bussac, responsable innovations et technologies RH au sein de la banque. Pourquoi mettre l’accent sur un tel thème ? « Il est important de faire valoir en interne cette approche collaborative efficace, mais trop méconnue en France. Car ce levier pourrait permettre d’optimiser notre marque employeur auprès des jeunes salariés », détaille la responsable, en rappelant que Crédit Agricole SA reste au stade de la réflexion en la matière. « Car tout projet d’intrapreneuriat ne peut être déployé à la légère ! Il suppose un vrai cadrage au niveau RH pour gérer l’évolution professionnelle des futurs ‘intrapreneurs’. »

Des boîtes à idées…

Face à un attentisme généralisé, nombre de grands comptes se contentent donc d’une participation moins « impliquante » des équipes, via des concours internes ou des « boîtes à idées ». « Les collaborateurs peuvent alors exprimer les idées qui leur tiennent à cœur mais sans toutefois disposer des moyens pour les concrétiser jusqu’au bout », commente Frédéric Tavera. Les nouvelles technologies de communication (smartphone, tablette, visioconférence, etc.) pourraient-elles changer la donne en favorisant des démarches intrapreneuriales plus structurées ? « Oui, répond Alain Bosetti, les outils online fluidifient davantage la communication et le partage de savoir au sein des grandes organisations. A terme, cela pourrait permettre l’émergence d’un intrapreneuriat plus efficace et intelligent. » Exemple de démarche d’innovation participative boostée par les outils high-tech : la solution IdClic, une boîte à idées version intranet, lancée en 2007 par France Télécom. Si une telle initiative ne s’est pas forcément traduite par de l’intrapreneuriat pur et dur, plusieurs dizaines de milliers d’idées ont toutefois été récoltées en quelques années, dont une partie mises en oeuvre.
Olivier Leclerc, directeur Open Innovation & Intrapreneurship chez Alcatel-Lucent, relativise toutefois l’impact des technologies digitales en matière de développement des pratiques intrapreneuriales. « Ce ne sont pas les outils online qui vont constituer la flamme initiale d’une telle démarche, mais la prise de conscience du top management quant à la nécessité d’impliquer les salariés dans les projets clés. »

…aux appels à projets

Un parti adopté justement par l’équipementier télécom qui s’est lancé entre 2008 et 2012 dans un vaste programme d’intrapreneuriat. « Notre direction avait mesuré la nécessité de pratiquer l’essaimage entrepreneurial en interne pour dégager de nouvelles opportunités de business. En adoptant un positionnement clair auprès des salariés, favorisant le ‘chaos créateur’ à l’ordre et l’alignement, l’idée était de soutenir des projets hors scope pas forcément en ligne avec notre stratégie, raconte Olivier Leclerc. Une vraie révolution dans des structures comme les nôtres, où la réponse spontanée à ce type de projets est souvent de tuer l’initiative dans l’œuf. » Sous la direction d’Olivier Leclerc, pas moins de six appels à projets ont été lancés dans le cadre du programme. Si plus de 300 idées ont au final été remontées, une trentaine a abouti à un business plan et trois à la création de lignes de produits. Parmi les plus emblématiques : le lancement de stations de base pour les télécoms mobiles, autonomes en énergie grâce au solaire. Un business qui a engendré quelques dizaines de millions d’euros avec une équipe de seulement cinq personnes ! « Au départ, les intrapreneurs, œuvrant avec deux business units du groupe, ne se sont pas consacrés à plein temps au projet. Car nous ne voulions pas miser sur des process organisationnels monolithiques, pour privilégier, a contrario, le dialogue entre les parties prenantes. Mais pour que de tels travaux portent leurs fruits, certains n’ont pas hésité à s’impliquer, in fine, à 100%. Un vrai moment d’émulation », se souvient Olivier Leclerc, en rappelant qu’une telle démarche reste assez singulière en France. « L’intrapreneuriat est loin d’être encore mature, je ne suis pas sûr qu’il le sera un jour tant il s’agit d’un levier de changement culturel et organisationnel notable », constate ce dernier en reconnaissant « ne pas avoir rencontré pour l’heure d’alter ego dont l’intitulé de la fonction se rapportait clairement à l’intrapreneuriat. »

Priorité aux incubateurs !

C’est dire si l’intrapreneuriat en France a un long chemin devant lui. « La solution transitoire que les groupes semblent avoir adoptée pour préparer leur avenir est davantage l’incubateur de start-up, analyse Frédéric Tavera, une dynamique contraire à l’intrapreneuriat, puisqu’elle vise à acquérir à l’extérieur, à un coût souvent plus élevé, des innovations clés en main pour les réintroduire en interne, et non l’inverse. » La SNCF, La Poste ou encore Airbus, nombre de géants multiplient ainsi les partenariats avec des pépinières d’entreprises devenues légion depuis les cinq dernières années. C’est le cas de Numa, Paris Tech Entrepreneurs ou Paris Région lab, autant de plateformes dédiées ou non à un secteur, financées par des fonds privés et/ou publics, accompagnant des centaines de porteurs de projets. « Toutefois, il n’est pas exclu que ce type d’innovation participative favorise, in fine, de nouvelles dynamiques intrapreneuriales au sein des grands comptes », anticipe Frédéric Tavera. Comme au sein de Crédit Agricole SA, par exemple, via sa pépinière d’entreprises, le Village de l’innovation, incubant des jeunes pousses, mais qui pourrait aussi intégrer à terme le développement de projets internes. Ce cap, d’autres sociétés l’ont déjà franchi, à l’instar du groupe de chimie Arkema qui a mis en place, en 2009, un incubateur interne pour déployer les innovations de rupture. « Les projets qui y sont développés proviennent aussi bien de travaux de recherche internes que de technologies acquises auprès de start-up », confie Christian Collette, patron de la R&D du groupe. Ainsi, une trentaine de collaborateurs ont intégré cette structure qui a lancé huit projets de rupture. « Quatre sont en phase d’industrialisation et deux ont abouti à des succès commerciaux », se réjouit le directeur de la R&D. Et d’expliquer un tel succès par « le fait de favoriser, via notre incubateur, les synergies entre deux mondes, le nôtre et celui de nos partenaires. Car en effet, c’est un leurre de croire que toutes nos innovations peuvent provenir de l’interne ou de l’externe. La vraie force est la complémentarité entre les deux. » De quoi donner peut-être un second souffle à l’intrapreneuriat au sein de l’écosystème de l’open innovation.

Article réalisé par Charles Cohen

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.