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Un désir de création ourlé d’indépendance pour contrebalancer la courbe du chômage et le CDI qui tarde. Les jeunes entrepreneurs, rejetons de la crise ? Pas toujours. Ceux dont c’est la vocation commencent à se multiplier. Et ils ne semblent pas à chaque fois se cogner aux obstacles tant déplorés en France…

Créer. Peut-être l’un des verbes qui pose le plus de problèmes lorsqu’on apprend à le conjuguer à l’école. Plus tard, à l’heure des premiers émois amoureux sur les bancs du secondaire, le verbe se remplit doucement de sa substance, d’autant plus depuis que le législateur a légalisé le statut de mineur entrepreneur. Puis, dans le tumulte des soirées étudiantes, on devine, malgré l’insouciance des beuveries, une fiévreuse envie de brûler les étapes, de s’émanciper de voies toutes tracées qui semblent ne plus tenir leurs promesses. Dans les faits, hélas, moins d’un entrepreneur sur dix aurait moins de 25 ans tandis que 73% caresseraient l’idée de devenir leur propre patron. L’acné juvénile et la création d’entreprise feraient donc mauvais ménage d’après les chiffres avancés par une étude Harris Interactive pour la Webschool factory-Fondation Coca Cola réalisée en février 2014. Pavé de bonnes intentions chez la jeune génération, le chemin de l’entrepreneuriat n’en demeure pas moins jalonné d’obstacles qui expliquent le paradoxe entre la volonté de créer et ses réalisations concrètes. Comment dès lors expliquer ce hiatus entre l’envie et le passage à l’acte chez une génération pourtant désinhibée ?
Des complexes enfouis et latents
« La jeunesse n’est en rien un obstacle. En charge de deux incubateurs, j’observe que les jeunes possèdent un taux de succès aussi fort que leurs aînés », note Julien Morel, directeur exécutif d’ESSEC Ventures. Au sein de l’école, 85% des sociétés sont créées par des jeunes âgées entre 25 et 27 ans avec un taux de survie de 85% à n+5 de l’année de création. En 2014, 35 start-up bénéficient de l’incubateur de la grande école. Deezer, Synthesio ou encore Sojeans… Autant de projets qui ont grandi au sein de ce dispositif. Mis bout à bout, l’ensemble des tours de table réalisés dans le cadre de l’incubateur aboutit à la coquette somme de 50 millions d’euros. Une manière de prouver que le financement n’est pas un problème quand le projet tient la route. C’est sans aucun doute ce que doivent penser Thierry Debarnot ou encore Alexandre Malsch (cf. portraits), à la tête de deux empires médias digitaux à 30 ans, ayant respectivement débuté avec 1000 et 2000 euros pour fonder leur société… Car au chapitre des griefs qui expliqueraient les freins à la création, la question du financement serait la principale source de démotivation pour la génération Y. Velléités de création qui seraient également balayées par le manque de compétences ou de confiance en ce marché morose, d’après le récent baromètre d’Opinionway. « Il n’y a pas le raz-de-marée rêvé mais on sent que les mentalités progressent », remarque pour autant Bénédicte Sanson, secrétaire générale du MoovJee (Mouvement pour les jeunes et entrepreneurs étudiants). Le baromètre réalisé par Opinionway, commandé par cette structure d’accompagnement, présente ainsi un chiffre de 37% de jeunes entre 16 et 25 ans ayant déjà songé à créer ou reprendre une entreprise en 2013, contre 45% en 2009. A la baisse, ces chiffres traduisent une tendance pourtant très vertueuse. Celle d’un public plus averti au sujet de la création. « Nous avons fait un saut qualitatif dans les projets. Et au niveau des intentions, nous sommes beaucoup moins dans le fantasme », explique Bénédicte Sanson. Soulignons également que ce 37% reste cinq points au dessus de la moyenne nationale, toutes tranches d’âge confondue. « Plus viables et abouties, ces entreprises ne sont plus des copiés-collés de modèles qui marchent. Désormais, l’innovation investit chaque segment du projet : dans l’approche commerciale, dans la technologie, dans le business plan », complète la secrétaire du MoovJee. Ailleurs, le GEM (Global Entrepreneurship Monitor) réalisé par l’EM Lyon met en exergue dans sa version 2013 un fort taux d’intention certes, mais contrebalancé par un faible taux de réalisation. Comment expliquer ce paradoxe ? « Créer est devenu un choix de carrière désirable. Le statut social de l’entrepreneur est moins décrié qu’il y a quelques décennies. Mais la peur de l’échec demeure particulièrement tenace en France. D’où un gros manque de confiance en notre capacité de créer », analyse Alain Fayolle, professeur d’entrepreneuriat à l’EM Lyon. Constat étayé par de récentes études de sociologie qui mettent en lumière une Europe des contrastes. Avec d’une part, des pays nordiques privilégiant l’épanouissement des individus et les activités hors du champ scolaire tel que le milieu associatif et l’entrepreneuriat. Et d’autres nations à l’image des Français, où l’immobilisme de la jeunesse et les projets tués dans l’oeuf prennent en partie leurs racines dans un modèle social qui stigmatise l’erreur et refroidit les ardeurs des penseurs de projets. L’idée, d’ailleurs, de valoriser l’employabilité des créateurs n’ayant pas réussi à pérenniser leur entreprise, est en germe notamment au sein du Medef. Une prise de conscience du potentiel de ces profils et de l’impérieuse nécessité de faire évoluer les mentalités. Un dégraissage de mammouth en perspective.
Le législateur en avance sur les mentalités ?
Mais le discours évolue. Doucement mais sûrement. « Parlons PME », courte émission diffusée à une heure de grande audience sur les chaînes publiques, met en relief le parcours de créateurs. Hors le chant des sirènes partisanes, les récentes assises de l’entrepreneuriat furent également l’occasion de rappeler l’impact positif du législateur et des politiques publiques en faveur de la création par le biais de l’aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise (ACCRE) ou le statut d’auto-entrepreneur. Deux mesures qui ont fait bondir les chiffres de la création, preuves d’une demande sociale forte. Fraîchement mis en place, le DE d’étudiant-entrepreneur illustre le souci neuf de concilier les études et le projet de création. Emanant du public comme du privé, le discours ambiant encourage la jeunesse, les initiatives de promotion fourmillent et les dispositifs incitatifs se développent. La France compte plus d’une centaine d’incubateurs rattachés aux grandes écoles, des organismes locaux d’accompagnement entretenus par des entrepreneurs chevronnées et des structures réticulaires nationales à l’image du MoovJee ou du « Réseau entreprendre » qui, pour ce dernier, accompagne 700 entreprises chaque année. Toutefois, les dernières Assises de l’entrepreneuriat soulèvent le problème d’une offre encore trop confuse, d’un imbroglio d’aides aux yeux du créateur. Par ailleurs, « des efforts restent à accomplir pour mettre l’entrepreneuriat sur le devant de la scène, complète Alain Fayolle. Il faut le valoriser dans le sens noble du terme en montrant l’impact des créateurs sur nos sociétés et notre économie. Et non pas l’envisager seulement comme un outil de lutte contre le chômage. Malgré leur enthousiasme, les étudiants des grandes écoles avec un projet intéressant privilégieront le diplôme à la création. Car à ce jour, le meilleur rempart face au chômage n’est pas de créer mais de faire une bonne école. » Pour inverser la vapeur, certaines business schools, telle que l’EM Lyon, font ainsi le pari d’accompagner de jeunes créateurs, sans diplôme, ni réseau. Nouvel élan pédagogique insufflé par les acteurs pédagogiques d’envergure pour faire changer de cap le bateau France.
Une certaine énergie du désespoir
« Au niveau européen, une tendance de fond est à l’œuvre chez les jeunes qui trouvent des portes fermées face au monde du travail. Le rapport à l’entreprise a changé, si bien que l’idée dominante est celle de ne plus subir et de ne plus attendre », analyse la sociologue Cécile Van de Velde, spécialiste de la jeunesse. Les jeunes empruntent donc des chemins de traverse plutôt que cette autoroute sociale un peu bouchée. D’autant que leurs aspirations professionnelles doivent de plus en plus correspondre à leurs attentes personnelles et privées. La notion d’épanouissement au travail est très forte. « Les débouchés et les perspectives de carrière étant plus incertains et le déclassement social souvent de mise, les jeunes se disent qu’il est préférable de bâtir quelque chose de personnel qui leur appartient », complète la sociologue. Pour la catégorie des moins de 25 ans, un jeune sur quatre pointe mensuellement au chômage ! Face à la dureté de ce monde, la « génération quoi ? » devient davantage encline à créer son propre chemin en raison notamment de sa déception face aux diplômes. Mêmes raisons invoquées d’ailleurs lorsqu’on tente d’expliquer la fuite des talents hors du pré-carré français. « Les métiers à vie, la carrière dans la même entreprise, l’ascension par les diplômes… Ce modèle vacille voire n’existe plus, note Cécile Van de Velde. De ce constat, une nouvelle inégalité surgit : celle entre ceux qui créent des projets et vivent dans l’action en ayant confiance en l’avenir. Et les autres, rongés par la conjoncture, qui n’arrivent pas à surmonter les incertitudes de notre époque. » L’entrepreneuriat semble donc une réponse à ce phénomène parce qu’il induit autonomie et épanouissement personnel. « C’est aussi une réaction face à la désillusion des trajectoires professionnelles des parents : l’entreprise peut trahir. Le marché du travail aussi. Les parents, eux aussi, ont pu être touchés par la crise. Non pas par essence mais par dépit, les jeunes sont plus individualistes. Mais c’est ce qui fait toute leur force », complète la spécialiste. Energie du désespoir ou ras le bol de la situation ? Quoi qu’il en soit, de nouveaux comportements jaillissent et font naître de nouvelles vocations.
D’indéniables qualités jouvencelles…
« Les entrepreneurs qui se lancent très jeunes sont dotés d’une flexibilité, d’une adaptabilité et d’une capacité très forte à « pivoter » sur un projet. C’est une force indéniable au cours des premiers mois d’existence d’une start-up », analyse Emilie Abel, responsable de l’incubateur du groupe HEC. La génération Y, de par sa jeunesse, est également moins assujettie aux résistances au changement. Plus dur de créer à 40 qu’à 20 ans selon ces critères. Quant à leurs réseaux et leurs compétences, ils ne sont pas forcément moins développés que ceux d’entrepreneurs qui se lancent « sur le tard » après une solide carrière. En effet, cette génération compense son manque d’expérience professionnelle par sa capacité à bien s’entourer et l’énergie qu’elle déploie à comprendre et intégrer les secteurs d’activité. En atteste le succès de Céline Lazorthes et de Leetchi (cf. portrait), système de cagnottes en ligne, en dépit d’une méconnaissance des systèmes de sécurité bancaire online avant le lancement de son projet. Enfin, leur ambition en terme de développement n’est pas toujours moindre par rapport à des entrepreneurs plus seniors. Bien au contraire ! Comme le prouve le développement mondial du groupe Melty orchestré par Alexandre Malsch. Autre point fort qui touche les startuppers, les grosses entreprises jouent davantage le jeu des créateurs et prennent plus de risques pour développer l’entrepreneuriat. KPMG, Ernst & Young, Orange, Amazon… Autant de portes auxquelles ont frappé les porteurs de projet de l’ESSEC sans essuyer un refus. Tendance relativement récente qui devient de plus en plus naturelle chez les grosses cylindrées. Ce nouvel élan entre entreprises confirmées et en devenir se traduit aussi par la réalisation de cycles complets au sein des dispositifs d’incubation. « Nous avons accompagné un entrepreneur de la création de son projet à la revente de sa société à Microsoft. C’est très encourageant lorsque le cycle entrepreneurial s’auto-alimente », conclut Julien Morel. De très bonnes raisons de croire en la jeunesse et d’espérer des jours plus radieux pour l’économie française.
Article réalisé par Geoffroy Framery
Créer une entreprise est toujours une bonne expérience pour un entrepreneur, la flexibilité et la capacité à rebondir après un échec est d’autant plus importante que l’entrepreneur est jeune, alors lancez-vous !