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Fondations, investissements, projets… L’économie circulaire se porte bien. Les opportunités à saisir sont nombreuses et de plus en plus d’entrepreneurs se lancent dans l’upcycling, la valorisation des déchets, l’éco-conception ou encore l’économie de la fonctionnalité. Illustration en six portraits.

L’économie mondiale génère chaque année 4 milliards de tonnes de déchets. En 2009, l’économie française a consommé 797 millions de tonnes de matières et a produit 138 millions de tonnes de déchets ménagers et industriels. Depuis la révolution industrielle, c’est le modèle linéaire qui prévaut : puiser des ressources pour créer des produits, les consommer, puis les jeter. Mais, tandis que la consommation autour du globe augmente en même temps que sa population, ce modèle se heurte à la limitation des ressources. Face au modèle linéaire de plus en plus contesté, le concept d’économie circulaire, qui invite à laisser les ressources en paix et à réutiliser les déchets, a le vent en poupe. L’Ademe explique ainsi que l’économie circulaire « commence par une utilisation modérée des ressources non renouvelables et l’exploitation des ressources renouvelables, la promotion de l’écoconception et de la production propre, une consommation respectueuse de l’environnement et enfin la valorisation des déchets en tant que ressources et le traitement des déchets ultimes sans nuisances ».
Un nombre croissant d’acteurs en font la promotion, à l’instar de la navigatrice britannique Ellen MacArthur, qui a créé en 2007 une fondation pour « inciter le public et les entreprises à repenser, concevoir et construire un avenir durable en s’appuyant sur le concept d’économie circulaire ». Ou du député EELV des Bouches-du-Rhône François-Michel Lambert, qui a fondé début 2013 l’Institut de l’économie circulaire. Dans le cadre des investissements d’avenir, le programme « économie circulaire » est doté de 195 millions d’euros. « Des concepts tels que l’écologie industrielle ou le recyclage des déchets sont anciens, mais ils sont réactivés depuis quelques années, observe Brieuc Saffré, co-fondateur de l’agence de design Wiithaa, spécialisée dans l’upcycling. L’économie circulaire propose un nouveau modèle de société qui peut apparaître comme une réponse à la crise, où les parties prenantes de l’écosystème créent de la valeur partagée, plutôt que de la valeur ajoutée qui ne profite qu’à un seul acteur. »
Les industriels – pétrochimie, agriculture, BTP notamment – s’organisent pour créer des écosystèmes vertueux où les déchets des uns deviennent les matières premières des autres. La fondation Ellen MacArthur a d’ailleurs créé le club CE 100 pour fédérer une centaine de grandes entreprises comme Marks & Spencer, Ikea, Nespresso, Philips ou Coca-Cola. La Poste propose par exemple aux entreprises de récupérer le papier de bureaux usagé en même temps qu’elle distribue le courrier. Selon une étude du cabinet MacKinsey, en Europe, « l’économie circulaire pourrait permettre de réaliser jusqu’à 700 milliards de dollars d’économies sur les matériaux pour la seule production de biens de consommation » – textile, emballage, alimentation. « Il y a une vraie attente de la part des consommateurs pour des produits recyclés et durables, et de la part des industriels pour des solutions plus vertueuses », remarque Laurent Baccouche, commissaire général du Salon des entrepreneurs Lyon Rhône-Alpes (11-12 juin).
Du coup, les opportunités de marché sont nombreuses et de plus en plus d’entrepreneurs se lancent dans les différents domaines d’activité de l’économie circulaire : éco-conception (prise en compte des impacts environnementaux tout au long du cycle de vie du produit), recyclage, réemploi, réparation, économie de la fonctionnalité (location), économie collaborative (avec des sociétés telles que AirBbnb, Blablacar ou Bureau à partager)… « Une multitude de systèmes de revalorisation des déchets, sur des niches mais avec des potentiels importants, peuvent être trouvés », juge Xavier Corval, fondateur de la plateforme Eqosphère.
Les exemples ne manquent pas, dans la vente et le service aux consommateurs, mais aussi aux entreprises : « Elles comprennent que leurs déchets leur coûtent de l’argent et qu’une meilleure organisation peut leur en faire gagner », explique Brieuc Saffré. Mais « les difficultés de ces entrepreneurs sont de trouver à quel échelon se situer dans la chaîne de valeur, et d’inventer les nouveaux modèles économiques qui permettront à leurs entreprises de dégager de la rentabilité », note Laurent Baccouche. Un défi loin d’être simple mais relevé par les six jeunes entreprises retenues par EcoRéseau pour illustrer un phénomène appelé à se développer.
Green Sails : un second souffle pour les voiles
Depuis 2010, la société bretonne Green Sails donne une seconde vie aux voiles de bateaux de course, qu’elle transforme en sacs, polos ou objets de décoration. Des produits qui ont une âme, puisque chacun vient avec une fiche d’authentification comportant la signature du skipper, l’origine de la voile et son palmarès. Fondée par Erwann Goullin (ex-Reims Management School), Jean-Baptiste Roger et Anna Beyou (femme du skipper Jérémie Beyou), la société vend ses produits sur son site internet, 70 boutiques multimarques et deux points de vente, à Lorient et Paris. Avec un chiffre d’affaires de près de 2 millions d’euros et 13 salariés en 2013, l’entreprise bretonne vise 5 millions d’euros et 40 salariés en 2016 et envisage d’ouvrir son capital à des investisseurs pour soutenir son développement.
Eqosphère : sus au surplus
D’un côté, des distributeurs, des entreprises et des collectivités qui jettent leur surplus alimentaires, leurs produits non alimentaires en fin de vie et leurs invendus ; de l’autre, des associations caritatives, des destockeurs et des épiceries solidaires en manque de ressources. Longtemps, ces acteurs se sont cherchés sans se trouver. Depuis juillet 2012, la plateforme collaborative Eqosphère connecte l’offre et la demande de surplus. En pratique, une entreprise s’engageant dans une démarche solidaire signale qu’elle peut donner ou vendre un stock, puis la plateforme, gérée par un algorithme maison, prévient une association des produits disponibles. « C’est un système gagnant-gagnant » explique Xavier Corval, son fondateur. Côté associations, ce sont en effet de nouvelles sources d’approvisionnement ; côté entreprises, Eqosphère permet de réduire les frais de destruction des produits, d’en tirer de nouveaux revenus, de soigner leur image et leurs indicateurs RSE, et de motiver leurs salariés. La plateforme collaborative compte déjà quelques centaines clients, dont Auchan et la Fnac côté distributeurs, Emmaüs, la Croix Rouge et les Restos du Cœur côté associations.
« Cela faisait une quinzaine d’années que l’idée me trottait dans la tête, explique Xavier Corval. Pour financer mes études à Science-Po, je tenais le buffet d’un traiteur et, plutôt que de jeter les restes, je les distribuais à des sans-domicile dans Paris. » En 2009, après un parcours dans des cabinets ministériels et comme ingénieur commercial, le jeune entrepreneur formalise son projet étudiant. Il intègre l’incubateur de Sciences-Po, rencontre distributeurs et associations pendant 18 mois et réunit 500000 euros d’un premier tour de table associant notamment Oséo, France Active et la Région Île-de-France.
La jeune entreprise, qui compte six personnes, a réalisé 150000 euros de chiffre d’affaires en 2013 et devrait multiplier ce résultat par six en 2014. Son modèle économique repose sur trois piliers : un abonnement aux services (1500 à 2000 euros par mois pour les donateurs, 30 euros pour les associations), le prix de l’installation et de la conduite du changement, et une commission sur la valeur économique créée grâce aux transactions. « Le curseur varie entre commission et abonnement selon les partenaires », précise le fondateur.
Les prochains objectifs ? « Étendre nos solutions à un plus grand nombre de types d’acteurs différents et répondre aux demandes en région et en Europe. » Des demandes qui ne sont pas près de se tarir : « Le gisement de produits détruits qui pourraient trouver une deuxième vie est encore considérable ».
Canibal : faim de recyclage
Le collecteur automatisé de cannettes Canibal est né en 2002 de l’imagination de deux étudiants de l’EM Lyon. En 2009, Benoît Paget et Stéphane Marrapodi, qui ont fait carrière dans des régies publicitaires, le rachètent à Derichebourg, qui l’avait acquis entre temps. Après quatre ans de développement industriel, le nouveau collecteur Canibal est capable de collecter des canettes, des petites bouteilles en plastique et des gobelets à café, soit la plupart des emballages collectés hors-foyer, de les trier et de les compacter lui-même. L’acier des canettes est vendu à ArcelorMittal et Constellium, les bouteilles en plastique redeviennent des bouteilles en plastique, et les gobelets sont transformés en matière première. Le gisement est impressionnant : « 22 millions de canettes, bouteilles et gobelets sont consommés chaque jour en France », ce qui représente « un gisement annuel de 110000 tonnes de matière recyclable », calcule l’entreprise. « Cet outil facilite le geste de recyclage et donne envie de recycler par son côté ludique, explique Benoît Paget. Au-delà de la collecte d’un déchet, nous espérons que cela améliorera les comportements individuels au quotidien. »
Pour convaincre ses clients, Canibal mise sur le recyclage comme « véhicule d’image » en interne (communication corporate, valorisation du geste de tri) et met en avant « une solution globale valorisant la démarche RSE de l’entreprise » : traçabilité des flux collectés et recyclés, réduction des émissions carbone. « Les entreprises peuvent ainsi montrer à leurs collaborateurs qu’elles font des efforts, mais que ceux-ci sont inutiles s’ils n’y participent pas au quotidien », explique Benoît Paget. Canibal équipe ainsi de grandes entreprises, comme L’Oréal, des collectivités (gare Montparnasse, Saint-Lazare, gares de l’Est et du Nord) et les aires d’autoroutes Autogrill. Canibal espère ainsi installer 150 collecteurs en 2014, et 200 à 250 de plus en 2015. Après un chiffre d’affaires de 210000 euros en 2013, il devrait dépasser 1 million d’euros en 2014. L’entreprise a réalisé deux levées de fonds en 2011 et 2012, pour une valeur de 3 millions d’euros, et clôturera en juin sa troisième levée. Canibal envisage d’entrer en Bourse fin 2014 pour accompagner son développement international.
Wiithaa : du neuf avec du vieux
Créée début 2013 par le designer Nicolas Buttin et le consultant Brieuc Saffré, Wiithaa se présente comme « le réseau de l’upcycling », soit le fait de « recycler en ajoutant de la valeur ou de l’utilité grâce au design ». « Wiithaa permet aux collectivités et aux entreprises de donner une nouvelle vie aux lieux, matériaux et objets grâce au design », explique Brieuc Saffré, diplômé de l’ESSCA en 2008. L’entreprise exerce dans deux domaines d’activité. Premièrement, elle conseille les entreprises sur la valorisation de leurs déchets et l’éco-conception de produits, de services et de business models. Ainsi, elle a aidé Doublet, leader mondial dans l’impression de drapeaux, à transformer ses déchets et surplus industriels en sacs et suspensions lumineuses, qui pourraient à terme être réalisés par un ESAT proche. Deuxièmement, Wiithaa se place comme prestataire évènementiel, organisant des démonstrations de designers, des workshops pour présenter l’upcycling au grand public, ou des expositions d’objets et de process upcycling pour Sony, Alinéa, le Palais de Tokyo ou encore Chapitre.com. En 2012, Wiithaa a aussi ouvert une boutique parisienne où les designers présentent leurs créations issues de l’upcycling : gamme d’électroménager en composants récupérés, tabouret à partir de cagettes, lampe K7 et canettes, suspension en gobelets, plateaux en caisses de vin…
Prêt à pousser : à vos marcs
Les Français absorbent 100 millions de tasses de café chaque jour. Cela fait beaucoup d’énergie, mais aussi beaucoup de marc de café qui termine à la poubelle. Mais depuis mars 2013, une partie de ce marc trouve une utilité en faisant pousser des champignons.
Jérôme Devouge et Romain Behaghel se sont rencontrés à l’ESSEC, où ils ont eu l’idée de créer la société Prêt à pousser, qui fabrique et commercialise un kit pour faire pousser chez soi des pleurotes en deux semaines. « Plutôt que de le jeter, nous collectons le marc de café en véhicule électrique et le transformons en kits à champignons dans notre atelier », explique la société installée dans la pépinière d’entreprises de Montmagny, dans le Val-d’Oise, et qui a été accompagnée par le Réseau entreprendre depuis ses débuts. Prêt à pousser a noué un partenariat avec Starbucks pour s’approvisionner en marc de café, et fabrique elle-même les kits à Montmagny, avec huit salariés. Elle distribue ses kits sur Internet, dans des jardineries et des magasins bios.
Yukkaz : le téléphone sonne toujours deux fois
En 2011, Mehdi Abdelmouttalib, jeune diplômé de l’ESSEC, a créé l’entreprise RPlus Technologies, et ses deux marques. D’un côté, Mobile Vert, qui recueille des téléphones portables usagés auprès des entreprises et sollicite une entreprise de travail adapté pour trier et tester les mobiles. De l’autre, Yukkaz, une marque grand public et un site internet qui revend les téléphones reconditionnés et remis à neuf sur le marché de la seconde vie.
Article réalisé par Aymeric Marolleau