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Pour le plus grand bonheur des passionnés de foot, des cafetiers, des vendeurs de pizzas, de saucisses et d’urinoirs, la Coupe du Monde est là. Une World Cup qui n’aura plus grand-chose à voir avec les shorts trop courts, les images en noir et blanc et les gardiens en casquette des éditions d’antan. Mais au-delà de ces détails de style, rien n’a vraiment changé.

Messieurs, Mesdames aussi, préparez vos rendez-vous fictifs à 17h30, vos fausses excuses pour écourter les réunions de la fin d’après-midi, la Coupe du Monde commence. Ce bon vieux Mondial qui sent les vacances d’été, la madeleine de Proust, la sueur toujours, le sang parfois, les larmes souvent sauf pour les Allemands. Ce temps des fous espoirs où la mémoire devient sélective au profit de nos idoles d’un mois, dont on oublie la part d’ombre pour n’espérer qu’en leur part de lumière, aussi infime soit-elle.
Mais ne vous emballez pas trop vite, vous n’allez pas tarder à croiser votre collègue pénible. Mais si, le rabat-joie un peu vieux qui a tout vu-tout fait. Et qui vous lancera un « Cette fois-ci, ils vont peut-être descendre du bus, ah ah ah… Vraiment le foot, c’est plus ce que c’était ! » Pardon ? Et là, vous lui enverrez tout ce qui suit.
Derrière l’image d’Epinal d’un football « à la papa », avec poignées de mains loyales, bières dans les vestiaires et organisation amateur, se dessine une réalité qui ne donne tout simplement pas envie de retourner 50 ans en arrière. A tous niveaux. L’économie du foot, par exemple. « Tous les problèmes d’aujourd’hui existaient à l’origine, affirme Alfred Wahl, historien, professeur émérite à l’université de Metz, spécialiste de l’Allemagne contemporaine et de l’histoire du football. Il n’y a pas de différence de nature avec l’économie du foot d’aujourd’hui, seulement une différence d’échelle.
Le football étant une activité humaine, il en possède toutes les caractéristiques et notamment celles touchant aux questions matérielles. Dès l’origine, fin XIXe siècle, se posent les questions de disposition de terrain, d’équipement, de déplacement… Tout cela exigeant des moyens financiers. La volonté de gagner a fait naître les problèmes de recrutement, de débauchage des bons joueurs à la clé, des gratifications d’abord modestes (achat d’un costume, dès les années 1920), puis des avantages financiers et, enfin le professionnalisme. »
Quant aux sponsors et autres agents de joueurs, toute cette organisation qui gravite autour du football et qui, pour certains, le pollue, ils existent eux aussi depuis belle lurette, sous des formes plus ou moins semblables. Alfred Wahl : « Dès l’origine, il existait des « intermédiaires ». Ainsi, les footballeurs anglais ou serbes jouant en France après 1920 recrutaient des compatriotes contre des compensations financières. Au départ, les « sponsors » étaient des négociants ou des industriels d’envergure locale. Là encore, par rapport aux investisseurs du Qatar ou de Russie, il y a simplement une différence d’échelle. Les sponsors de 1900 étaient les représentants du capitalisme de l’époque ; ceux d’aujourd’hui ont une envergure à l’image du capitalisme d’aujourd’hui. »
Evidemment, il suffit de regarder les images pour s’en apercevoir, le foot et les coupes du monde d’antan sont davantage marqués par l’amateurisme. En France, dans les années 60, seules les trois premières divisions disposaient de joueurs salariés, la troisième encore clandestinement. Dans les divisions inférieures, il existait simplement des distributions de gratifications diverses. « L’encadrement, lui, demeurait encore précaire, ajoute l’historien. Seules les grandes sélections nationales, comme le Brésil, disposaient déjà dans leur encadrement d’un dentiste, de médecins, et même d’un psychologue dès 1958 en Suède. »
Mais qui dit sport moins professionnel dit-il nécessairement moins de polémiques et de scandales ? Nenni. En 1966, l’Angleterre gagne « sa » Coupe du monde à domicile, en jouant tous ses matchs dans le même stade, le mythique Wembley, et en bénéficiant, de l’avis unanime des observateurs, d’un arbitrage particulièrement favorable, comme lors de la demi-finale face au Portugal d’Eusebio. Un match à l’origine prévu à Liverpool, mais finalement programmé à Londres, obligeant les Lusitaniens à un déplacement inattendu… Quatre ans plus tard, au Chili, c’est le match opposant le pays organisateur à l’Italie qui fait polémique. Suite à des déclarations douteuses de journalistes transalpins, la tension monte entre les deux équipes pour accoucher d’un match-pugilat de cour de récréation, avec intervention de la police locale sur le terrain, coups de pieds, de poings et tacles à la tête. 1966, l’année de naissance d’Eric Cantona, pour information… Dans les championnats nationaux, la gangrène commence aussi à prendre. Le football belge est ainsi secoué par plusieurs affaires de matchs truqués (1963, 1964, 1966) afin d’éviter des relégations ou de faciliter des accessions en division supérieure. Des faits qui ne surprennent pas Alfred Wahl : « La corruption est inhérente à la compétition en général, économique en particulier ; on la retrouve donc parmi les enjeux du football. Tout est souterrain. Plus connus sont les arrangements de fin de saison dans les compétitions des divisions inférieures pour permettre à telle ou telle équipe de ne pas descendre en division inférieure par rapport à une autre pour diverses raisons liées à l’intérêt des uns ou des autres. »
Tout au plus peut-on donc regretter la disparition de joueurs fantasques comme le brésilien Garrincha, dont la jambe droite était plus longue que la gauche de 6 centimètres. Qu’à cela ne tienne, ses dribbles inventés, ses buts et débordements en feront le meilleur joueur du Mondial 1962. Un ailier atypique et virevoltant, au physique disgracieux, cela ne vous dit rien ? Non, vraiment, rien n’a changé.
Article réalisé par Olivier Faure