L’œil politique – L’équation insoluble des énergies

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Emmanuel Macron tenait en début de semaine une sorte de conclave sur l’énergie. Le maître-mot en était la « sobriété ».

Louis XIII. Un roi décidément trop méconnu. Il faut dire que l’histoire l’a fait asseoir sur des épaules de géants. Son père, Henri IV, son fils, Louis XIV, son indispensable ministre, Richelieu. Le souverain avait pourtant diagnostiqué, par une tirade sibylline, l’éternel trouble de notre pays… « Quelle chose étrange que la légèreté des Français ! », s’était-il agacé un jour.

Ainsi vont les éternels recommencements. En juin 1940, c’est peut-être l’exemple extrême, les Français ébahis et abattus découvraient que leur armée, que l’on tenait pour la meilleure du monde, s’était écroulée en quelques jours face à l’offensive allemande. Paul Reynaud, alors président du Conseil, s’égosillait auparavant à la radio, sur l’air des braves, tel le coq dans la basse-cour : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ! » La pensée magique est un leurre.

Parole au présent. Dans la salle des fêtes de l’Élysée, Emmanuel Macron tenait en début de semaine une sorte de conclave sur l’énergie. Le maître-mot en était la « sobriété ». Il fallait même, selon l’expression présidentielle, « être au rendez-vous de la sobriété ». Le chef de l’État nous lance un sacré défi collectif : baisser de 10 % notre consommation électrique à l’hiver. Bravache, il rassure : « Nous avons notre destin en main ! » Mais que peut bien représenter, pour un pays comme la France, l’abattement d’un dixième de ses dépenses énergétiques ?

Réduire de 10 % notre consommation d’électricité

Une image pour mieux comprendre : en mars 2020, alors en confinement très serré, notre consommation nationale d’électricité fut freinée de 15 à 20 % (France Stratégie). Souvenons-nous qu’à l’époque, les restaurants, commerces, entreprises et tant d’autres lieux n’avaient plus d’activité… et donc ne consommaient plus rien. Nous étions de plus au mois de mars, avec une fin d’hiver relativement douce, sans grand besoin de chauffer. L’exigence présidentielle apparait donc très conséquente.

Le prix payé par les Français est totalement déconnecté du marché

Une température pilote a ainsi été décrétée. 19 degrés. Et si les Français ne sont pas sensibles au conseil élyséen, ils seront sans doute davantage contraints par la hausse des prix, qui interviendra probablement en janvier, avec la fin du bouclier tarifaire.

Emmanuel Macron indique : « On ne pourra pas, pendant des mois et des mois, avoir des mécanismes aussi larges qui financent la consommation d’énergies fossiles. La tendance va aller vers le plus grand ciblage de l’accompagnement, c’est-à-dire que l’on va devoir continuer d’accompagner les familles, les classes moyennes et les familles les plus modestes qui ne pourraient pas résister à une hausse des prix. »

Quelles conséquences ? Pour l’État (et donc chacun de nous), ce bouclier tarifaire s’avère aujourd’hui une charge extrêmement onéreuse. La Banque des Territoires le chiffre à 24 milliards d’euros depuis son application par Jean Castex, à l’automne 2021. Soit l’équivalent du budget annuel alloué à l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation. Bruno Le Maire l’indique au micro ripoliné d’Apolline de Malherbe : en janvier, « la hausse sera la même pour tous ». Mais en compensation, le chèque énergie fera son grand retour, à destination de ceux qui ne pourront pas encaisser la hausse. D’autant qu’elle s’annonce brutale.

Vers la flambée des prix

À quoi faut-il s’attendre ? Quels sont les véritables prix de l’électricité lorsqu’ils ne sont pas artificiellement abaissés par l’intervention de l’État ? Au Royaume-Uni, pays libéral par excellence, les prix déjà très élevés s’apprêtent à flamber, littéralement, de 80 %. La facture moyenne, de 1 971 livres (2 335 euros), va bondir à 3 549 livres (4 210 euros). Et ce dès le mois d’octobre. Deux tiers des ménages pourraient plonger dans la précarité énergétique. Le montant des factures impayées est en train de tripler. En conséquence, 29 fournisseurs d’électricité sur 70 déclarent la faillite. Certains clients renoncent déjà à se chauffer ou débranchent le réfrigérateur.

Résultat : une envie de grève générale commence à se lever dans le pays. Le mouvement « Don’t pay », qui appelle à ignorer les factures, à ne pas les régler, monte en flèche. Dans l’UE, des augmentations très fortes sont également attendues en Allemagne, en Suisse, en Belgique. Si d’autres pays soutiennent évidemment les plus exposés, la France est la seule à faire le choix du blocage unilatéral et universel des prix.

Et le nucléaire ?

Reste que la France dispose en principe d’un atout maître pour préserver des tarifs maîtrisés. Notre filière nucléaire. Seulement voilà : en une décennie, des choix politiques bien hasardeux sont venus abîmer notre industrie et mettre à mal notre indépendance stratégique. La France, il y a encore deux ans, était grâce au nucléaire le premier pays exportateur d’électricité en Europe, et de loin. Nous pouvions aider nos voisins et revendre notre surplus de production.

Depuis août 2021, les exportations françaises d’électricité dégringolent de 70 %. La France est désormais déficitaire et doit acheter de l’électricité aux autres producteurs.

À qui la faute ? Sans doute faut-il remonter à 2011 pour déceler dans les tripatouillages entre Martine Aubry (alors première secrétaire du PS) et Cécile Duflot (alors secrétaire fédérale d’EELV), les raisons d’une telle chute. Les deux opposantes à Nicolas Sarkozy, en pleine négociation pour les présidentielles et les législatives de 2012, s’accordent sur une sortie progressive du nucléaire. L’Allemagne d’Angela Merkel s’engage dans le même chemin, traumatisée par Fukushima. François Hollande, investi par les élections primaires, arrive finalement à l’Élysée et reprend la mesure à son compte.

C’est le cas Fessenheim, du nom de cette centrale alsacienne que François Hollande décide de fermer. Au-delà de ce symbole, c’est un désengagement général de la filière qui est à l’œuvre. Aucun nouveau projet n’est lancé. Sauf les démantèlements. Les jeunes ingénieurs et polytechniciens se détournent du nucléaire, puisque la filière est à ce moment jugée bouchée et sans avenir. EDF, entreprise publique (bientôt nationalisée), met en place la feuille de route et réduit ses investissements. Normal : le gouvernement veut alors abaisser de 75 à 50 % la part du nucléaire dans le mix énergétique. Pour la remplacer par quoi ?

Les funestes choix d’hier…

Les funestes choix d’hier se révèlent aujourd’hui sous nos yeux. 30 réacteurs sur 52 sont à l’arrêt. 18 pour des opérations de maintenance programmée, 12 autres pour des problèmes de corrosion. Emmanuel Macron porte d’évidence une responsabilité directe. Secrétaire général adjoint à la présidence de la République, ministre de l’Économie puis président de la République, il s’est longtemps inscrit, sur ce sujet, dans les pas de son prédécesseur. Durant la campagne de 2017, il l’avait d’ailleurs déclaré in petto dans ses documents de campagne : « Je garderai le cadre de la loi de transition énergétique. » Il faudra attendre son discours de Belfort, le 10 février, pour qu’il fasse sa « conversion à l’atome » et décide un réengagement. Il était plus que temps.

Les parlementaires veulent savoir

Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, souhaite convoquer une commission d’enquête sur ce sujet. Ce parlementaire aguerri, spécialiste des questions industrielles, espère y convoquer François Hollande. Le député d’Eure-et-Loir s’indigne au micro d’Europe 1: « Comment on a pu saturer l’espace public de cette idée qu’il fallait laisser tomber le nucléaire, que c’était le passé, alors que tous les pays autour de nous lançaient des chantiers sur le nucléaire ? »

David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France (AMF), résume à sa façon : « On ne peut pas passer notre temps à nous dire qu’on est en guerre. On est dans nos échecs. Ceux qui nous disent aujourd’hui avec beaucoup de moralisme qu’il faut faire attention sont ceux qui ont détruit une œuvre qui datait du général de Gaulle ».

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