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D’un côté les managers bienveillant·es, naturel·les et justes. Celles et ceux qui reconnaissent vos qualités, vous forment et poussent à vous améliorer. De l’autre, les petit·es chef·fes tyranniques obsédé·es par leur pouvoir et leur statut qui vous rabaissent. Et pour cause, pour ces supérieur·es intraitables, vous représentez avant tout une menace sur la préservation de leur souveraineté. Portrait de ce·cette n +1 qui vous pourrit la vie.
Bientôt trois mois que Guillaume, 24 ans et diplômé d’une école de commerce, travaille pour une compagnie d’assurances à Paris. Dans un pays qui fait l’éloge des diplômes – au détriment peut-être des compétences – le jeune homme se voit confier la supervision d’une demi-dizaine de collaborateur·rices. À peine sorti de l’école, Guillaume s’apprête, déjà, à « donner des leçons ». Il prendra son rôle très à cœur. Le pouvoir, même mince, lui plaît. Au royaume « tu ferais mieux de », Guillaume n’entend pas lâcher son trône de sitôt et applique sans faille sa ligne de conduite : « Divide et impera ! »
Jouer les tyrans pour masquer un manque de confiance
Le pouvoir rend-il fou ? s’interroge Erwan Devèze dans un ouvrage publié en 2020. Du moins, « il transforme en profondeur notre personnalité », nous confie Catherine Berliet, coach et formatrice de dirigeant·es et co-auteure de Manager au quotidien. « Un syndrome de l’hubris (la démesure) », surenchérit la spécialiste, qui s’appuie aussi sur le chercheur Ian H. Robertson et le médecin David Owen pour défendre l’idée d’une modification du cerveau sous l’effet du pouvoir.
Surtout, pour notre petit·e chef·fe tyrannique, le pouvoir – matérialisé par une position hiérarchique supérieure ou au moins intermédiaire – vient le plus souvent combler, à l’origine, un manque de confiance. En soi et envers les autres. Avec en parallèle une peur, celle de perdre sa place : « Le collaborateur·rice est perçu·e comme une menace, un rival, pointe Catherine Berliet, le·la petit·e chef·fe pense à sa personne avant la réussite globale de l’entreprise. » Pas impossible donc que la société d’aujourd’hui, régie par le primat de l’individu, ne fabrique de plus en plus de petit·es chef·fes. Sur leur profil, pas de caractéristiques spécifiques, même si « un jeune tout frais, à peine sorti de son école, aura tendance à en faire trop avec ses équipes », souligne Catherine Berliet, de peur – entre autres – qu’on ne le suive pas.
Faire face à un·e chef·fe tyrannique
En pratique, les petit·es chef·fes tyranniques usent de diverses stratégies pour asseoir leur emprise. Sur leur comportement : « Soit vous avez affaire à des managers fantômes, qui vous assignent des objectifs flous – et de manière volontaire – histoire de reprendre la main ensuite et distribuer les bons et les mauvais points, illustre Catherine Berliet, soit vous vous retrouvez face à des managers pointilleux·ses qui ne veulent rien lâcher et tout contrôler. » À souligner exclusivement le négatif auprès de leur équipe, les petit·es chef·fes transfèrent le sentiment de culpabilité vers leurs collaborateur·rices et confirment que leur présence et statut ne peuvent se contester. Avec toujours en filigrane l’envie de conserver le pouvoir. À ce petit jeu, la célèbre formule diviser pour mieux régner fonctionne à merveille.
D’après un sondage mené par Opinionway en 2019, 88 % des salarié·es estiment que trop de « petit·es chef·fes » abusent de leur autorité dans les entreprises. Alors comment réagir lorsque vous subissez la loi d’un tyran ? Il faut savoir que « les petit·es chef·fes s’inscrivent dans des jeux psychologiques, c’est un cercle vicieux, essentiel alors de stopper la spirale le plus vite possible » pour les employé·es, conseille notre experte, spécialisée notamment dans l’affirmation de soi en entreprise. Savoir poser ses limites, mais sans être frontal·e et ainsi prendre le risque de brusquer son·sa supérieur·e. Bref, « sortir du pourquoi pour passer au comment », les petit·es chef·fes raffolent du pourquoi, lequel alimente la responsabilité de l’autre. A contrario du comment, plus ouvert sur la recherche collective de solutions et un ascenseur pour la créativité. Un·e collaborateur·rice doit parvenir à exprimer son ressenti, sur des éléments très factuels, à son·sa supérieur·e. Et cela très tôt, « les personnes qui viennent me voir sont déjà en burn-out » en raison d’un management toxique, concède Catherine Berliet. Enfin, les troupes ne suivent pas leur chef·fe par adhésion à une croyance commune mais par défaut. Preuve que les chef·fes tyranniques en entreprise ne revêtent pas un charisme « naturel », présent chez les managers « authentiques et qui ont véritablement confiance en eux·elles ainsi qu’en leurs équipes », conclut l’auteure de Et si j’avais du charisme ?
Geoffrey Wetzel