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Vous les côtoyez dans la boîte !
Écartons les psychopathes, narcissiques et autres machiavéliques. Dont la personnalité en soi est toxique. Parlons plutôt des comportements – toxiques, donc – adoptés par nos collègues en entreprise. Insister sur le rendu d’un dossier, multiplier les mails, SMS, visios – ou autres canaux de sollicitation – flanquer une pression dingue sur un·e collaborateur·rice… les attitudes toxiques ne manquent pas ! Ce pourrait être vous ou moi. Le télétravail – s’il n’est pas bien pensé – exacerbe ces pratiques dites toxiques, lesquelles pourrissent la vie d’un collectif. Jamais bon pour la pérennité d’une entreprise.
Vendredi, 19 h 30, Patrice vient déjà d’enchaîner une dizaine d’heures de labeur. Malgré les calls et brainstormings à répétition, ce chef de projet d’une agence de communication n’en fait jamais assez. Plutôt que de s’avouer dépassé, Patrice préfère rappeler qu’il n’a pas l’habitude de compter ses heures. L’acharné peine aussi à dénombrer celles des autres. Un présent perpétuel qui décomplexe Patrice lorsqu’il réclame en soirée ou le week-end un dossier ASAP.
La métaphore du champignon
Les comportements toxiques au travail ? « Comme des champignons toxiques qui contaminent tout un collectif et une entreprise », illustre Stéphanie Carpentier, docteure en management et spécialiste, entre autres, des comportements toxiques en entreprise. Mieux vaut ne pas cueillir le mauvais champignon donc, mais difficile de le repérer. Car le monde de l’entreprise n’a rien d’un moule à tordus – hormis les individus à la personnalité toxique qui souffrent d’une pathologie. Non, l’entreprise abrite des employé·es, des managers et des patron·nes comme vous et moi. Simplement, un grand nombre d’éléments extérieurs poussent parfois à l’adoption d’attitudes abusives comme « les envois de mails à répétition suivis des mêmes SMS, appels et réunions », liste la chercheuse.
Parmi ces facteurs extérieurs : le manque de formation. Un excellent technicien ne fait pas forcément un bon manager. « Puisque le management requiert une expertise en soi », il ne s’improvise pas, rappelle Stéphanie Carpentier. Problème, des individus compétents dans leur routine se retrouvent au fur et à mesure promus à de plus hautes responsabilités sans posséder les capacités de management et les atouts relationnels et sociaux qui vont avec.
Gare au télétravail « sauvage »
Certaines conditions de travail favorisent l’arrivée de comportements toxiques. En mars 2020, une grande partie du pays bascule en télétravail. « Télétravail sauvage », pointe notre experte tant il a fallu s’adapter brutalement pour poursuivre l’activité. Au bureau, les collègues se contrôlent mutuellement. Via les résultats certes – qu’on contrôle aussi en télétravail – mais par l’entremise aussi des comportements. À distance, nos collègues nous échappent. Pire pour les managers : « Perdus dans leur façon d’encadrer et de contrôler leurs équipes, souligne Stéphanie Carpentier, les questions par mails n’encouragent pas une réponse aussi spontanée qu’au bureau en face à face », surenchérit celle qui a aussi un rôle de conseil auprès des entreprises. Alors on insiste, on multiplie les appels, les réunions pour solliciter un·e collaborateur·rice parfois occupé·e à autre chose en télétravail, « souvenez-vous quand il fallait garder les enfants durant les confinements ». Puis on grignote la plage horaire pendant laquelle on sollicite son équipe, puisqu’à distance la barrière temporelle tend à s’abolir et la frontière travail-vie privée s’amincit. Enfin, en télétravail, vous arrondissez moins les angles, « plus facile de répondre non de manière froide par mail qu’en présence – physique – de votre collègue », estime la spécialiste du bien-être en entreprise. Cette froideur génère une incidence sur l’atmosphère globale de l’entreprise.
Surtout, « c’est aussi le mimétisme de comportements toxiques qui explique que des gens comme vous et moi adoptent ce type d’attitude », poursuit la chercheuse. Pourquoi imiter ce que l’on devrait pointer du doigt ? « Parce que vous voyez des personnes qui se comportent ainsi réussir, alors vous les prenez, hélas, pour modèle ! » C’est un cercle vicieux, une personne par nature toxique qui gravit les échelons contaminera le reste de l’entreprise qui multipliera les comportements toxiques avec la croyance d’aspirer aussi à s’élever dans la hiérarchie.
Sortir de l’impasse
Comment réagir face à un·e collègue au comportement toxique ? Eh bien en parler, sans attendre. Avant que les pratiques instaurées par une personne toxique ne pourrissent l’entreprise. « Pourquoi tu me mets autant sous pression, regarde, tu m’as appelé à 14 heures, puis 15 minutes après, avant de me renvoyer un mail, etc. », c’est-à-dire afficher des éléments factuels pour faire comprendre l’attitude abusive menée par le·la collaborateur·rice ou le·la boss « toxique ». Lui·elle-même se retrouve sous la pression d’un·e supérieur·e. Ne pointons pas uniquement l’entreprise, car la société dans son ensemble, marquée par le triomphe de l’individualisme au détriment des collectifs, favorise l’adoption de comportements toxiques. Et forcément l’entreprise – microsociété – n’a aucune raison d’y échapper.
Geoffrey Wetzel