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Après les États-Unis, le « Big Quit » s’impose en Europe et notamment en France, avec des vagues de démissions sans précédent dans toujours plus d’entreprises. Souhait d’autonomie, de télétravail, de plus de souplesse… Pour les salarié·es, la crise de covid en a engendré une autre – celle du management et du sens du travail. Elle les pousse à voguer vers de nouvelles façons de gagner sa vie. Mais l’herbe est-elle forcément plus verte ailleurs ? Quelques réponses sur cette grande démission…

 

Et si vous osiez aussi prendre la poudre d’escampette ? Envies d’ailleurs, d’autre chose, d’entreprendre, de quitter la ville. L’une des séquelles de la pandémie se traduit par dans le monde entier par cette vague de départs, un phénomène mondial et quasi inédit qui a pris sa source outre-Atlantique et ne semble guère épargner la France, tant s’en faut ! Aux États-Unis, la « Grande Démission », le « Big Quit » ou « Great Resignation » s’est traduite par plus de 38 millions de personnes démissionnaires en 2021. Au cours du seul mois de mars 2022, ils et elles ont encore été 4,5 millions à larguer les amarres, selon les dernières données du Bureau of Labor Statistics. Des résultats similaires les mois précédents, malgré la crise sanitaire…

 

Des PME très exposées

En France également, cette tendance est bien réelle, relative au marché de l’emploi, bien sûr. La Dares (le service de statistiques du ministère du Travail) notait en juillet une hausse de nombre de démissions de salarié·es en CDI de 19,4 % par rapport à 2019. Tendance similaire pour les ruptures anticipées de CDD qui ont grimpé de 25,8 % en deux ans.

 

Repenser les modèles managériaux en donnant plus de temps et d’autonomie aux collaborateurs – Vincent Meyer, EM Normandie

 

« Au troisième trimestre 2021, quelle que soit la taille des établissements, les départs dépassent nettement ceux de précrise avec plus de 620 000 démissions et ruptures conventionnelles. Et cette dynamique s’est poursuivie en octobre », explique t- on sur le site de la Dares. « Des niveaux records encore jamais enregistrés », observe Vincent Meyer, professeur de gestion des RH et théorie des organisations à l’EM Normandie.

Souhait d’évoluer, de télétravailler, d’aménager plus librement ses horaires, la crise sanitaire en aurait ainsi occasionné une autre – une crise du management et du sens du travail – à en croire les observateur·rices. Le virus de la démission se traduit par une fièvre de bougeotte : on claque la porte de son entreprise. Tous les secteurs semblent visés, mais bien sûr surtout ceux où les conditions de travail se révèlent les plus difficiles (hôtellerie-restauration, BTP…).

D’où ce poids supporté essentiellement par les PME, les plus exposées. Selon une étude de la Dares de février 2022, les départs volontaires dans les sociétés de 10 à 49 salarié ·es ont augmenté, entre juillet et octobre 2021, de 21 % par rapport à 2019. Pour celles de plus de 50 salarié·es, la hausse est de 17 %, contre 10 % en moyenne pour les sociétés de moins de 10 salarié·es… Les TPE ne sont donc guère préservées par cette grande démission « qui bat toujours son plein, même si les départs se modèrent désormais quelque peu », nuance Daniel Zhao, économiste principal sur le site de carrière Glassdoor.

 

La vie perso d’abord !

Pour autant, les velléités de changement professionnel, elles, ne fléchissent pas, boostées par le contexte de reprise économique avec un taux de chômage tombé à 7,4 % fin 2021. Preuve que cette volonté perdure à mesure que la crise sanitaire s’éloigne : d’après une étude de Microsoft menée dans 31 pays, 43 % des salarié·es se disent prêt·es à changer de job en 2022, soit deux points de plus que l’année dernière ! Et ce sont les moins de 25 ans de la génération Z (52 %) qui envisagent le plus de partir de leur entreprise, contre tout de même 35 % pour la génération X (nés entre 1965 et 1979). La sécurité de l’emploi n’est plus importante que pour 29 % des travailleur·ses en 2022, selon le dernier baromètre d’Empreinte humaine.

C’est dire si cette lame de fond reste le fruit de moult facteurs RH dont la crise sanitaire n’est qu’un catalyseur : s’affranchir de modes de management toxiques porteurs de burnout et manque de reconnaissance, réinterroger le sens du travail, mais aussi la volonté plus nette de réussir un meilleur équilibre vie professionnelle/ personnelle, généralisation du télétravail oblige. Selon l’étude, 47 % des sondé·es affirment qu’ils·elles sont aujourd’hui plus enclin·es à privilégier d’abord leur famille et leur vie privée par rapport à l’avant-pandémie.

 

Travail liquide

Dans ce contexte, « on observe l’émergence d’un salariat dit liquide », image Vincent Meyer. Autrement dit, celui qui annonce la mort du bureau traditionnel ! Il met au défi les employeur·ses sur le « package » à proposer demain aux collaborateur·rices, au-delà du contrat de travail. Un salariat d’un genre nouveau, plus désengagé donc, dixit Vincent Meyer « à la fois consommateur des organisations tout en invitant chacun à gérer désormais sa carrière en fonction des opportunités perçues ». D’où la vague de démissions actuelles… Comment l’endiguer ? En tout cas « pas en se contentant d’augmenter les salaires ou de renforcer leur marque employeur, déconseille le professeur. Ce qui ne ferait que renforcer le consumérisme des salarié·es.

Le véritable défi est de repenser les modèles managériaux en donnant plus de temps et d’autonomie aux collaborateurs, créer des relations humaines plus authentiques au travail ». Peut-être commencer par généraliser le télétravail – un souhait pour 90 % des cadres, selon le dernier baromètre Cadremploi –, alors que seule la moitié des entreprises aurait instauré une telle politique. De quoi justifier un argument au départ… Mais pour autant, l’herbe est-elle forcément plus verte ailleurs ? Eh bien finalement pas pour ces six Français·es sur dix qui ont changé de travail durant la pandémie et le regrettent aujourd’hui, selon une récente enquête réalisée par UKG. Un taux d’ailleurs un tiers supérieur à celui de nos pays voisins ! Face à cette déception bien française, un conseil, alors : malgré cette furieuse envie de partir, gare tout de même aux décisions hâtives…

CHARLES COHEN

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