Les start-up révolutionnent la santé

L’arrivée de données génomiques massives constituera la pierre angulaire du dossier médical de chacun
L’arrivée de données génomiques massives constituera la pierre angulaire du dossier médical de chacun

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Les grandes révolutions ont commencé dans la santé, en attestent les huit start-up biotechs présentées, esquissant la manière de se soigner dans le futur…

L’arrivée de données génomiques massives constituera la pierre angulaire du dossier médical de chacun
L’arrivée de données génomiques massives constituera la pierre angulaire du dossier médical de chacun

Le Dr Lefèvre accélère sur son robot de couloir pour atteindre au plus vite l’étage ingénierie du vivant. Il évite de percuter un patient âgé de 148 ans non loin du service thérapie génique, puis croise le Dr Giraud, chef du service de bio-impression, spécialisé en cartilages, muscles et organes… Hello ! On se réveille ! Vous n’êtes pas assoupi(e) sur le canapé, devant une vieille série B de science fiction. Changer votre ADN, interfacer vos cellules et neurones avec des composants électroniques, créer des organes… ne seront plus des opérations si utopistes. L’histoire est en marche, quelques pages en ont d’ailleurs déjà été écrites. La preuve…

Chapitre 1 quand nous sortirons de nos silos…

II y a encore quelques années, les rêveurs un peu dingues évoquaient un pacemaker envoyant instantanément au médecin des informations détaillées sur l’état de santé de son patient, ou d’un malade atteint d’un cancer à Mumbai bénéficiant de l’expertise des cancérologues les plus réputés au monde… Ils se voyaient souvent traités de fous, et faisaient mine d’ignorer les sourires en coin, alors que leurs prédictions sont déjà en train de se réaliser. Les TIC se révèlent en effet une aide précieuse pour les patients et les praticiens, améliorant le quotidien de tous. Mais le véritable tsunami provient des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) qui ouvrent une ère de bricolage du vivant : dans le domaine des prothèses et de l’électronique médicale (cf. Pixium Vision et ses implants rétiniens, Carmat et son cœur artificiel en business story), de la régénération tissulaire (cf. Cardio3BioSciences et sa reprogrammation de cellules cardiaques, Biomup et ses implants chirurgicaux résorbables), et surtout de la manipulation du génome (cf. Cellectis et ses copier-coller de gènes, PhageX et la nouvelle génération d’antibiotiques). Autant d’avancées tonitruantes qui doivent être mises bout à bout pour se poser les bonnes questions. Le Dr Laurent Alexandre, chirurgien urologue et neurobiologiste, serial entrepreneur, en vient par exemple à entrevoir à terme « la mort de la mort » (1), qui suppose de changer l’homme, que la nature a génétiquement programmé pour vivre 125 ans. À peine plus qu’un corbeau. Si ce diplômé de l’ENA et HEC, président de la biotech DNA Vision spécialisée dans le séquençage de l’ADN, provoque avec une prédiction si « transhumaniste » – l’utilisation de la science et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales de l’homme –, c’est bien parce qu’il souhaite générer une réflexion plus transversale sur le nouveau monde qui s’ouvre. Beaucoup de chercheurs-entrepreneurs restent enfermés dans leurs spécialités et n’ont aucune idée de la manière dont toutes ces disciplines interagiront. « La prospective dans un domaine aussi complexe est toujours hasardeuse, c’est un peu comme interroger les spécialistes des freins, puis des réacteurs et des cockpits… pour esquisser l’aéronautique du futur. Souvenons-nous qu’en 1989, 100% des chercheurs en génétique étaient persuadés que nous ne saurions jamais séquencer l’ADN… Mais elle est essentielle », illustre le fondateur du site Doctissimo. Le recensement des ruptures les plus extrêmes permet de théoriser la médecine de demain, et donc la société qui l’accompagnera.

 

Chapitre 2 la régénération des tissus

Impossible par exemple d’occulter l’impression 3D de tissus vivants, même si nous n’en sommes qu’aux balbutiements. En 2013, une équipe de chercheurs de l’université Heriot-Watt d’Edimbourg est parvenue à imprimer des cellules souches humaines. Une réussite qui a ouvert la voie à l’impression d’organes humains complets : artères, muscle, pancréas ou cornées, etc., peuvent être réparés par ce moyen. Nombre de laboratoires académiques planchent sur le sujet depuis seulement deux ou trois ans et à part Organovo, le poids lourd de la filière, seules une quinzaine de petites sociétés ont émergé. « L’institut Gartner montre bien que le nombre et la teneur des publications sont ceux d’une technologie encore naissante. Mais nous pouvons dès maintenant réfléchir à des patchs de micro-tissus implantés », révèle Fabien Guillemot, chercheur de l’Inserm, cofondateur de la start-up en bio-impression Poietis. Pour lui, le champ des possibles est ouvert, notamment en matière de greffons : « Grâce à la puissance et la précision informatiques, nous sommes capables de créer des tissus sur-mesure, aussi bien sur la forme extérieure que dans l’architecture intérieure au niveau des cellules. » Son système d’impression laser de matière vivante s’annonce prometteur – en 2010, son équipe a réussi à imprimer des cellules osseuses directement sur le crâne d’une souris. Le principe ? On prélève des cellules vivantes pour les cultiver in vitro puis les placer dans un liquide, afin d’obtenir de l’encre cellulaire que l’on verse dans des cartouches. « Grâce à l’imprimante 3D, on dispose ensuite cette matière comme on le souhaite pour produire des tissus », vulgarise le chercheur Bordelais. Des essais cliniques sont déjà en cours au Japon en ce qui concerne le cartilage. Même si les trois techniques de bio impression – par bio-extrusion, par jet d’encre et par laser –, se perfectionnent de jour en jour, Fabien Guillemot ne croit pas encore à l’élaboration d’un organe complexe comme le rein. D’autres se montrent très ambitieux en la matière. Interrogé par le magazine Wired, Stuart K. Williams, directeur de recherche à l’université de Louisville (Kentucky), annonce pour la prochaine décennie l’impression d’un cœur entier, fonctionnel, en moins de trois heures. Un simple prélèvement sur le patient permettrait de démarrer l’impression…

 

Chapitre 3 la magie des gènes

Les nouvelles « géniales » s’enchaînent à la vitesse de l’éclair, à tel point qu’il est même difficile de savoir où nous en sommes exactement et ce que nous pouvons espérer des « ingénieurs du vivant ». La démocratisation du séquençage de l’ADN a en fait eu des conséquences incalculables pour l’humanité. Alors que décoder le premier génome humain décodé a nécessité 15 ans de recherches et 2,7 milliards de dollars, le séquençage ne prend plus aujourd’hui que quelques heures et ne coûte que 1000 dollars. Les spécialistes tablent sur quatre heures et 50 dollars dans un proche avenir. Et ceux qui ne faisaient qu’observer il y a encore quelques années se sont mis à manipuler de l’ADN, ce qui a ouvert la boîte de Pandore des fantasmes et appétits en tous genres de la part des chercheurs et des entreprises. La recherche contre le cancer comme les OGM à destination des pays les moins avancés sont concernés. Les laboratoires mais aussi les IBM, Apple et autre Google mettent leurs deniers dans la génétique, pressentant une manne colossale. Depuis 2000 les labos utilisent les technologies de bioconversion (et plus seulement la chimie) pour fabriquer des médicaments, des vaccins, des anticorps. Ils utilisent les thérapies géniques – qui devraient se banaliser d’ici 10 à 15 ans – ou cellulaires pour soigner des maladies comme le diabète, la maladie d’Alzheimer ou la leucémie. Transgène évolue dans l’immunothérapie, concevant des virus intelligents contre les cancers du poumon et du foie, qui s’attaquent aux cellules malades. Cellectis (cf. encadré) fabrique pour les labos des cellules immunitaires génétiquement modifiées. La biologie de synthèse, consistant à transformer des micro-organismes en usines cellulaires, a tout bouleversé à partir de 2003. On n’a plus manipulé un gène à la fois, on a introduit dans un organisme vivant (levure, bactérie) de nouvelles fonctions, comme produire des molécules thérapeutiques par exemple. PhageX conçoit ainsi des antibiotiques intelligents qui sélectionnent les bactéries à éliminer.

 

Chapitre 4 Data et médecine personnalisée

Nous serons donc bientôt tous séquencés, ce qui pourrait signifier être traités en fonction de notre ADN propre. La médecine personnalisée est pour demain, car l’arrivée de données génomiques massive constituera la pierre angulaire du dossier médical de chacun. M Tout-le-monde pourra consulter ses données médicales en temps réel, partout et à tout moment. « Une société américaine donne déjà les probabilités de développer telle ou telle maladie en comparant par rapport à la moyenne », illustre avec enthousiasme Grégory Katz, professeur à l’Essec, titulaire de la chaire Innovation thérapeutique à l’ESSEC. La prévention, qui représente 7% des dépenses de santé en France, pourrait donc bien être décuplée. En identifiant les prédispositions des patients, il sera possible de les responsabiliser. « Au XXe siècle il s’agissait d’éviter l’apparition de la maladie, au XXIe, il s’agira d’éviter l’apparition du malade ! Mieux vaut s’y préparer dès maintenant, en ne ratant pas le tsunami des data qui échoue déjà sur nos rivages pour des problématiques de sécurité ou de réticence au changement de la part de l’administration », prévoit celui qui est aussi directeur de la Fondation générale de santé, qui soutient le don de cellules souches de sang de cordon et promeut la recherche en thérapie cellulaire. Le spécialiste évoque la fin des traitements à grande échelle pour une population supposée homogène. Place aux doses personnalisées, en fonction du métabolisme et du patrimoine génétique de chacun. Les thérapies ciblées, associées à des tests Compagnon déterminant si le profil de la personne est « répondant » au traitement, sont les premières étapes du passage d’une médecine prêt-à-porter à une médecine sur-mesure. Aux Etats-Unis, sous l’égide de la Food and Drug Administration (FDA), 300 médicaments sont associés à des biomarqueurs et des tests Compagnon. Ce serait aussi l’avènement du « pay for performance » dans le système français. En effet, « Le fabricant du médicament passerait devant l’autorité de santé, obtiendrait le remboursement selon ce qu’il annonce, puis au bout de trois ans repasserait devant une commission qui disposerait cette fois de data. Et selon le pourcentage de réussites et de rechutes, le taux de remboursement serait maintenu ou diminué », imagine Grégory Katz. Cette montagne de données à venir est en tout cas un terrain de jeu colossal pour les prestataires de services qui les analyseront. Certains se positionnent déjà dans la santé digitale, à l’instar de la start-up française Betterise. Cette plateforme de bien-être, cofondée entre autres par Christophe Brun, Paul-Louis Belletante et Michel Cymes, mesure et analyse le comportement des utilisateurs via tous les supports digitaux (le mobile, le fixe, la télé connectée et les objets connectés) pour leur proposer des conseils ultra-personnalisés et contextualisés. « Nous délivrons des infos, des conseils personnalisés sur treize thématiques de santé/bien être. Nous aiguillons nos utilisateurs, par exemple, sur l’alimentation de la semaine ou les avertissons des conditions extérieures comme les pics de pollution ou les évènements autour d’eux », relate Christophe Brun. L’algorithme prend déjà en compte 500 critères par utilisateur, sur sa situation, son contexte, ses habitudes, ses goûts… Celui qui aspire à rester en forme et à modifier ses habitudes trouve là un véritable coach santé qui peut aussi fournir des conseils plus curatifs à ceux qui rentrent à la maison après une hospitalisation, dans le cadre de la chirurgie ambulatoire ou de la maternité. Au travers de tous ces développements, on devine une volonté de changer les comportements, mais aussi le destin biologique et génétique. « Aujourd’hui, lorsque nous vieillissons d’une année, nous ne nous rapprochons de notre mort que de neuf mois », constate déjà Laurent Alexandre. Ce qui suscite évidemment son lot de débats et de limites à poser, avec au bout de l’enchaînement les effrayants transhumanisme et eugénisme. « Il ne faut pas subir la philosophie californienne et les thèses de l’institut de la singularité. Le débat doit être posé et une législation européenne, voire française doit être mise en place », insiste Fabien Guillemot. Mieux vaut y penser maintenant, car l’état d’esprit et d’avancement de ces entrepreneurs nous apprennent que la réalité est allée beaucoup plus loin que ce que les séries B de sciences fiction osaient à peine imaginer…

(1) « La mort de la mort – Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité », éd. JC Lattès, 2011.

 

Dossier réalisé par Philippe Flamand, Aymeric Marolleau et Julien Tarby

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