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Est-ce bientôt la fin de la corrida ?
Une proposition de loi, actuellement à l’étude sur les bancs de l’Assemblée, se propose d’en finir avec cette pratique.
« Sentir le sable
Sous ma tête, c’est fou comme ça peut faire du bien
J’ai prié pour que tout s’arrête
Andalousie, je me souviens
Je les entends rire comme je râle et je les vois
Danser comme je succombe
Je pensais pas qu’on puisse autant
S’amuser autour d’une tombe »
Ces quelques mots sont tirés de La Corrida, magnifique chanson de Francis Cabrel. Le chanteur, qui assista en 1994 à cet étrange spectacle, dans les arènes de Bayonne, ressentit le besoin d’écrire, de chanter, pour dénoncer le péril de la souffrance animale.
Des mots de circonstance alors que l’Assemblée s’apprête à étudier la proposition de loi d’Aymeric Caron, député LFI de Paris, qui vise à interdire cette pratique encore en usage dans quelques régions du Sud-Ouest (et déjà interdite ailleurs dans le pays). Ce combat dépasse de très loin les habituels clivages entre la droite et la gauche. Il s’agit d’une question liée à l’intime, une dispute entre les défenseurs des animaux et ceux qui proclament protéger des « traditions locales établies ».
La corrida n’est pas dans l’ADN de la France
Tradition locale établie, la corrida l’est sans conteste en Espagne. Certainement pas en France : cette pratique n’a été importée dans notre pays qu’à l’orée des années 1850, pour faire plaisir à l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III et native d’Andalousie… Pas ancestrale donc, davantage une pièce-rapportée.
Faut-il rappeler quelques évidences. D’abord, qu’il ne faut pas confondre la corrida, mise en scène de la mort, avec les ferias, courses de taureaux, folkloriques et culturelles, qui drainent un monde fou dans des villes comme Bayonne, Dax ou Mont-de-Marsan. Ici, nulle mise à mort. Personne ne veut donc interdire ces spectacles qui, au contraire, doivent être protégés au nom du fait régional. On notera également l’existence de la course landaise et de la course camarguaise. Toutes ces manifestations se rapprochent finalement, peu ou prou, de l’esprit bon enfant d’Intervilles.
Éric Dupond-Moretti soutient mordicus
La corrida, c’est autre chose. Ses partisans demeurent nombreux. Au premier rang, Éric Dupond-Moretti, en grand passionné, qui ne cache pas son amour pour les banderilles… Il racontait, aux journalistes de Midi Libre, en 2019, que la corrida était d’après-lui : « Davantage qu’un spectacle, un art, culminant dans la rencontre de courage et d’honneur qui se joue dans l’arène. »
Courage, vraiment ? Les afficionados de la tauromachie se réclament souvent des valeurs viriles, nobles et braves. Pour preuve : les toreros et autres matadors y joueraient avec la vie. C’est vrai parfois, et ces drames humains devraient être une raison supplémentaire de s’interroger.
Un procédé qui ne laisse aucune chance à l’animal
Le combat ne se dispute certainement pas sur un pied d’égalité. Le taureau, enlevé aux siens, à ses paysages, brinquebalé dans une remorque, enfermé dans le noir, inquiété par la clameur de la foule ; est propulsé au milieu d’un jeu macabre dont il ne connaît ni la règle ni l’usage… Le début du supplice.
Première torture : les passes de cape. L’image habituelle de la corrida. Un toréador, vêtu bizarrement, agite un drapeau rouge ou rose sous les yeux du taureau. Apeuré et énervé, le taureau, dont la vue est très mauvaise, charge dans le vide. Une drôle de danse s’entame alors, qui n’a pour seul but que de fatiguer l’animal avant le combat. La foule accompagne le roulis : « Olé ! Olé ! ».
Deuxième étape, la plus lâche. Un picador, juché sur son cheval (protégé par une sorte d’armure) s’approche du taureau et lui enfonce dans la peau, jusqu’à cinq centimètres, une sorte de javelot tranchant. Le sang gicle, abondamment. Un sévisse qui est répété autant que nécessaire, jusqu’à ce que le taureau « humilie », c’est-à-dire qu’il baisse la tête…
La mise à mort
Désormais grièvement blessée, la bête ne présente plus de grand danger. La mise à mort peut débuter. Loin d’abréger les souffrances d’un animal éprouvé, l’agonie sera lente, patiemment mise en œuvre, sadique. Le toréador, vêtu comme une sorte d’arlequin grotesque, agite ses banderilles, harpons colorés de 80 centimètres de long. Il en plante trois, selon la tradition. Si le taureau refuse de combattre, il se contente de lui planter une seule banderille noire ; soi-disant signal « d’infamie ».
Ce terrible manège se poursuit pendant de longues minutes, et parfois même des heures, jusqu’à l’estocade. Ce coup fatal, qui sectionne le garrot, se veut le « bouquet final » du « spectacle ».