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La formation en France, l’un des rares sujets qui aboutit à un « consensus politique », relève l’économiste Roland Rathelot. Dans le sens où ni la gauche ni la droite ne pourraient se féliciter d’une contraction de l’investissement dans la formation. Alors on forme beaucoup dans le pays. Pas forcément aux bons endroits. Voilà tout le paradoxe d’une société qui abrite autour de 8 % de chômage et des employeurs qui peinent à recruter. La formation, un levier d’insertion qui ne profite, hélas, pas à tous·tes.

On se forme tout au long de la vie. A priori une évidence, mais l’assertion peinait à faire l’unanimité il y a encore quelques années. « Hier, une fois diplômés – et notamment des grandes écoles – les gens considéraient leur formation comme acquise, laquelle suffisait à faire une longue carrière, rappelle Dai Shen, président du groupe Demos. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai, les individus, qu’ils soient jeunes ou plus âgés, se retrouvent dans le besoin constant de se former, notamment pour faire face aux mutations technologiques ou s’adapter à de nouvelles stratégies d’entreprise », pose le spécialiste de la formation professionnelle. Les salarié·es ont compris qu’ils·elles doivent et devront se former pour s’ajuster au monde évolutif du travail, « les parcours linéaires deviennent de moins en moins communs », ajoute Roland Rathelot, chercheur au Centre de recherche en économie et statistique (Crest).

Des inégalités d’accès à la formation

Sur la quantité, les salarié·es français·es ont bien recours à la formation professionnelle. Il suffit de se pencher sur la trajectoire des formations financées dans le cadre du Compte personnel de formation (CPF) pour s’en convaincre. Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), les salarié·es du privé ont suivi près de 900 000 formations entre 2015 et 2018. Dans le détail, 90 000 formations ont été dispensées et financées en 2015, 190 000 en 2016, 272 000 en 2017 et 383 000 l’année suivante. Bref, les moyens sont là. Ultime exemple : le Plan d’investissement dans les compétences, avec 15 milliards d’euros mobilisés par le gouvernement. Avec en tête la « lutte contre le chômage de masse » et l’appréhension de « la mutation des emplois », lit-on sur le site du ministère du Travail. Entre autres.

Mais dans les faits, les formations profitent souvent aux mêmes. Pour les formations professionnelles proposées par les entreprises – comme l’apprentissage de tel ou tel logiciel – « on observe que ce sont le plus souvent les cadres qui en bénéficient », pointe le spécialiste du marché du travail, Roland Rathelot. Et les chiffres ne mentent pas. À en croire une étude du Cereq sur des données de 2018, 15 % des adultes sorti·es de formation initiale sans diplôme ont suivi au moins une formation professionnelle au cours des douze derniers mois. À l’opposé, les deux tiers de celles et ceux qui possèdent un diplôme du supérieur long ont été formé·es. De plus, la moitié des personnes en emploi ont suivi une formation professionnelle au cours des douze derniers mois, contre seulement un tiers des demandeur·ses d’emploi et 9 % des inactif·ives non retraité·es.

Enfin, l’accès à la formation professionnelle diffère – dans une moindre mesure que la catégorie socioprofessionnelle – selon le genre des individus. Et comme souvent sur le marché du travail, l’inégalité s’opère en défaveur des femmes : « À caractéristiques d’emploi identiques, les femmes se forment moins fréquemment que les hommes », révèle une étude de la Dares publiée en juillet 2020. Dans ce sens, l’arrivée d’un enfant décourage d’autant plus les femmes à se former. Puisque « 4 mois après une naissance, seules 16 % des jeunes mères ont suivi au moins une formation d’au moins 18 heures, contre 21 % des pères », la tendance des femmes à s’occuper des enfants et réaliser le travail domestique a donc une incidence aussi sur la possibilité qu’elles ont d’accéder à une formation. Au global, en s’adressant à des individus qui – en moyenne – ont déjà bénéficié d’une formation initiale satisfaisante, la formation professionnelle ne remplit pas assez son rôle de « deuxième chance » et correctrice d’inégalités.

La formation initiale en cause ?

« Aujourd’hui, on trouve encore des formations proposées qui ne sont pas en adéquation avec certains métiers qui manquent de main-d’œuvre, remarque Dai Shen, c’est pourquoi nous tentons à Brest Business School de non seulement transmettre des compétences, mais aussi former des gens qui pourront ensuite démarrer sereinement leur carrière », planifie le directeur général de l’école de commerce française. À quoi bon former de jeunes gens à des métiers qui ne pourront les accueillir ? Et à l’inverse, d’autres secteurs rêveraient de personnel compétent. L’hôtellerie-restauration en fait partie, une branche qui, rappelons-le, cherchait tant bien que mal 300 000 saisonnier·ères pour l’été. D’autres filières peinent à recruter, comme le BTP ou la cybersécurité. Pour la seconde, un sondage PwC chiffrait à près de 3,5 millions le nombre de postes en cybersécurité qui ne pourront pas être pourvus dans le monde en 2021. La France n’y échappe pas. Et pourtant, l’offre de formations existe – environ 150 sur le territoire d’après l’Observatoire dynamique des métiers de la branche professionnelle de l’ingénierie, du numérique, des études de conseil de l’événement. Difficile donc de tenir la formation pour seule responsable de l’inadéquation entre l’offre et la demande. Un constat partagé par Roland Rathelot : « On ne peut pas tout mettre sur le dos de la formation, professionnelle ou initiale, d’autres éléments entrent en jeu », estime l’économiste et enseignant-chercheur à l’université de Warwick.

D’ailleurs, le système éducatif a accompli de grands efforts depuis de nombreuses années. « Avant, l’apprenti·e s’apparentait au·à la mauvais·e élève… ce n’est plus le cas aujourd’hui, les mentalités ont évolué ! » se réjouit Dai Shen. Les grandes écoles proposent des cursus en apprentissage, les universités s’y mettent elles aussi, y compris au sein des plus hauts grades de l’enseignement supérieur comme les masters. À ce sujet, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer ne faisait pas dans la demi-mesure en 2018  : « Nous voulons un enseignement professionnel qui fasse envie, des Harvard du pro », s’enflammait le ministre, en référence à la prestigieuse université américaine. Ce qui sous-entend malgré tout que la France a trop longtemps mis l’accent sur les filières généralistes qui mènent à des métiers dits « intellectuels ». Les choses évoluent piano. Même si, encore aujourd’hui, ce sont parfois « les parents ou l’entourage qui font pression sur leurs enfants pour se diriger – ou éviter – certaines filières », considère Dai Shen, de Demos. La formation, elle, n’accueille que les gens qui veulent bien se former…

La formation ne supplée pas à l’attractivité

D’autres facteurs expliquent donc cette inadéquation entre l’offre et la demande. Parmi eux : le manque d’attractivité de certains métiers. « Il suffit de regarder l’hôtellerie-restauration pendant la crise, les gens partis, pour certains, ne sont pas revenus », donc le problème ne vient pas que de la formation, constate Dai Shen. La question des conditions de travail, du manque de reconnaissance – et notamment salariale – se pose aussi. Parfois, d’autres branches souffrent d’une ignorance généralisée, ce qui ne pousse pas les Français·es à les explorer. Comme la cybersécurité : « On a une image du secteur encore poussiéreuse et caricaturale, l’idée selon laquelle la cybersécurité se réduit à surveiller des lignes de code derrière son écran », nous confiait Karl Rigal – directeur marketing chez Stedy – en mars. Indispensable de casser les idées reçues. « Big data, blockchain, fintech, etc. », ces termes font peur, alerte Dai Shen. L’école, donc la formation initiale, se doit de remplir sa mission d’information pour chasser les a priori.

Enfin, puisque l’on a décidé d’aborder la formation dans son sens le plus large, les managers ont aussi leur rôle à jouer. « C’est d’abord le partage d’un plaisir, des ancien·nes vers les petit·es nouveaux·lles, peut-être que certains managers se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas assez transmis le goût de leur métier aux jeunes, dans l’hôtellerie-restauration par exemple », dans la mesure où eux-mêmes se sont retrouvés dépassés par les contraintes, s’interroge Dai Shen. Bref, malgré de solides fondations, la formation reste en chantier. La même qui ne devrait pas manquer d’être courtisée dans les prochains mois, tant la crise covid a donné des envies de reconversion aux salarié·es français·es.

Geoffrey Wetzel

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