Des métiers qu’il est urgent de revaloriser

Olivier Meier

Temps de lecture estimé : 5 minutes

L’avis des expert.es en formation

Le poste est libre, mais personne ne postule. On recrute, mais le·la jeune démissionne 15 jours plus tard. De plus en plus de secteurs peinent à recruter de la main-d’œuvre qualifiée. Phénomène structurel ou sociétal dont la France ne se débarrasse pas. Des spécialistes nous livrent leur analyse.

1 – Olivier Meier, professeur des universités, directeur de l’Observatoire Action sociétale et action publique, chaire d’Innovation publique, et coauteur du Grand Livre de la formation aux éditions Dunod.

« On ne pourra pas résoudre le problème sans incitation financière significative »

Hôtellerie, restauration, BTP, artisanat, industrie… Pourquoi ces secteurs ne trouvent-ils plus de main-d’œuvre qualifiée ?

Il existe plusieurs causes. Ce sont des activités pénibles. Je pense en particulier aux horaires susceptibles de se montrer variables et décalés. Un autre aspect se révèle structurel : c’est le manque d’attractivité. La faible reconnaissance sociale de ces métiers existe dans tous les pays. Mais en France, elle est plus prononcée en raison de la primauté accordée durant les études aux travaux intellectuels, souvent vus et perçus comme un ascenseur social.
Ces dernières années, les métiers de contact sont devenus de plus en plus difficiles : irritabilité des clients, comportements agressifs… Cet élément-là est à mon avis à prendre en compte. Une autre cause, plus profonde, plus structurelle – qui me peine en tant que professeur – est que nous avons perdu l’héritage de la transmission et du compagnonnage [lire p. 18 Formation et apprentissage, affaire d’État ou de patronat ?]. Cet héritage permettait le passage du témoin.

Autre cause, un manque de visibilité des trajectoires professionnelles. Tout le monde a besoin de se projeter. Dans ce type de métiers, les opportunités d’évolution sont faibles et les parcours de compétences peu valorisés.

Et dernier point. Durant ces 30, 40 dernières années, nos gouvernants n’ont jamais considéré ces métiers comme prioritaires. Pour eux, ils sont jugés moins stratégiques.

Les diplômes dans ces secteurs, n’ont-ils pas été dévalorisés ?

Oui, de moins en moins de structures de formations dédiées à ces domaines existent, et les professeurs spécialisés manquent. En outre, les diplômes ont été dévalorisés, en particulier le BEP et le CAP qui avaient une valeur technique reconnue. Aujourd’hui, on va exactement dans le sens inverse. Le DUT, par exemple, va être remplacé par le bachelor universitaire de technologie. C’était pourtant un bon diplôme à bac +2. Mécaniquement, avec le bachelor, on oriente les étudiants vers des bacs +3. Que deviennent les gens qui voulaient mener seulement deux ans d’études ? Le BTS est aussi en voie de marginalisation dans le système européen du LMD (licence, master, doctorat). Nous avions un système français où le bac +2 était prisé. On tire les gens vers le haut et du coup, il y a peut-être des profils plus techniques, plus opérationnels de bon niveau qui auraient pu s’arrêter au bac, au BTS ou au DUT.

Comment remettre les jeunes sur le chemin de ces formations ?

Ces métiers se heurtent à des évolutions sociales et sociétales. Les jeunes aspirent à une qualité de vie et acceptent moins le temps contraint. Ils veulent du temps plaisir et s’épanouir. Il faut casser l’idée de métiers sous-évalués et les associer davantage à un style de vie ou à des traits de caractère. Si on disait que ces métiers sont pour des profils marqués par le dynamisme, par le sens du contact, la prise d’initiative, la responsabilité, par l’intelligence de situation, on considérerait qu’ils ne sont pas une voie de garage mais correspondent à des personnalités.

Comment faire évoluer ces métiers en tension ?

Il faut réfléchir à de nouveaux types de contrats, plus souples ou plus flexibles, qui tiennent compte des horaires variables. Les employeurs doivent intégrer cette souplesse en termes d’activité pour que l’individu y trouve son compte. Et puis on ne pourra pas résoudre le problème sans incitation financière significative. De nouveaux avantages, réformer le système de retraites, des garanties sociales ou des primes pourraient compenser la pénibilité de l’emploi.

Dans les domaines de l’hôtellerie et de la restauration, il serait intéressant de former les apprentis au processus des établissements, afin de rendre l’insertion professionnelle plus aisée. On demande à ces jeunes d’être performants du jour au lendemain. Il n’existe pas de formation adaptée qui assure de se retrouver tout de suite dans le bain, et à mon avis ainsi explique le turnover.

2 – Isabelle Recotillet, docteure en économie et consultante en évaluation des politiques d’emploi et de formation professionnelle.

Isabelle Recotillet

« Tout ça, c’est du dialogue social, la capacité du responsable d’entreprise à satisfaire les besoins de ses salarié·es »

Les chiffres qui traduisent manque de main-d’œuvre dans certains secteurs se montrent considérables. On parle de 70 000 postes à pourvoir dans l’industrie…

Ces chiffres, c’est du pipeau. Il existe des articles assez anciens sur la façon dont on mesure la pénurie de main-d’œuvre. La plupart du temps, ces chiffres sont obtenus sur la base du nombre d’offres d’emploi qu’on va trouver sur Internet. Or, dans certains secteurs, notamment l’aide à domicile, il existe des offres « permanentes » en ligne, des offres « écran » sans poste immédiat à la clé. Il existe des entreprises qui font du sourcing [processus d’identification des candidats en amont d’une opération de recrutement, ndlr] pour tâter l’air du temps. Les indicateurs issus de ce type de sources ne sont pas fiables, ils donnent une estimation assez loin de la réalité.

La pénurie de certains secteurs est-elle liée à la pandémie ou s’agit-il d’un phénomène bien antérieur ?

Dans certains secteurs, notamment l’hôtellerie et la restauration, la pénurie existe depuis 20 ou 30 ans ! C’est un sujet qui occupe les partenaires sociaux et les organismes de formation depuis longtemps, avec peu de solutions tangibles.

L’augmentation des salaires est-elle la seule solution pour attirer les candidat·es à l’embauche ?

J’ai beaucoup échangé avec des chef·fes d’entreprise. Nombreux sont ceux et celles qui attribuent à leurs salarié·es une rémunération supérieure au salaire médian. Dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, nous avons mené un travail de terrain approfondi auprès de dirigeant·es qui n’arrivaient pas à garder leurs salarié·es. Ils·elles ont mis en place des organisations du travail qui correspondent mieux à ce que leurs employé·es souhaitaient : pas de journée en coupure, davantage d’embauches sur un volume horaire moindre. Et ça fonctionne ! Ce sont des entreprises en bonne santé économique. Tout ça, c’est du dialogue social, la capacité du responsable d’entreprise à satisfaire les besoins de ses salarié·es. C’est un système qui attire aussi les jeunes. Une vraie réflexion reste à mener sur l’organisation du travail.

On constate une inadéquation entre la formation et les besoins des entreprises, comment la résoudre ?

Face à un tel décalage sur le marché du travail, la réponse du système éducatif de formation s’accomplit sur 10 à 30 ans ! Réformer les diplômes ne se fait pas du jour au lendemain. L’apprentissage est une solution à ce besoin. Il donne le moyen de découvrir un métier, de se confronter au marché du travail et de développer des compétences spécifiques. C’est un véritable atout pour trouver un emploi et arriver sur le marché du travail.

Pourquoi les entreprises ne forment-elles pas elles-mêmes leurs salarié·es ?

J’ai réalisé une étude il y a deux ans sur ce sujet auprès de dirigeant·es de TPE. La première réponse donnée est : « Je n’ai pas le temps, je ne peux pas me permettre d’envoyer un·e salarié·e en formation sur son temps de travail. » C’est une problématique, mais une solution a été apportée par la loi Avenir professionnel : les actions de formation en situation de travail – Afest. Elles offrent à des salarié·es de se former sur leur temps de travail avec un tuteur.

Sommes-nous tous égaux face à l’accès à la formation ?

Tout le monde ne peut pas se former et ça n’évolue que très peu. Il me semble tout de même que les politiques de formation commencent à porter leurs fruits. Je pense aux contrats professionnels pour les demandeurs d’emploi de plus de 26 ans. Se former en cours de vie active est difficile, ne serait-ce que parce qu’il faut des ressources financières. Il existe des inégalités en entreprise entre les cadres et les ouvriers. Ce sont des résultats statistiques qu’on observe depuis 50 ans. Ce sont les plus éduqué·es qui se forment le plus. Là-dessus, le Compte professionnel de formation pourrait élaborer une solution.

3 – Étienne Arnoult, directeur à la formation et à la pédagogie de l’Université de technologie de Compiègne (UTC)

« Nous avons introduit la formation par la voie de l’alternance, avec des enseignements un peu plus concrets »

L’UTC fait-elle évoluer ses formations pour rester en adéquation avec le monde du travail ?

L’UTC a cette particularité de posséder un double statut, à la fois université et école d’ingénieur. Pour ce qui est de l’école d’ingénieur, nous sommes soumis aux règles de la commission d’éthique qui définit sur le plan national ce que doit être un·e ingénieur·e diplômé·e en France. Elle impose de faire évoluer nos formations tous les trois ans, sur la base des retours de nos étudiant·es et des industriels qui siègent dans nos instances. C’est en partie grâce à ce processus que nous avons introduit la formation par la voie de l’alternance, avec des enseignements un peu plus concrets. Pour le moment, nous l’avons instauré en mécanique et en informatique. La durée moyenne de recherche d’emploi pour nos diplômé·es est d’un mois, certain·es trouvent des contrats avant la fin de leurs études, notamment dans l’informatique.

Certains secteurs en tension n’attirent plus les étudiant·es. Avez-vous constaté une baisse des candidatures ?

Nous avons toujours autant de candidatures post-baccalauréat. En revanche, le nombre d’étudiant·es qui entrent dans nos formations à bac + 2 a un peu diminué. Notamment sur le parcours « Génie des procédés », qui oriente vers un travail en usine de produits chimiques. Les problématiques environnementales ont pu participer à cette désaffection. Nous essayons d’informer les jeunes à ce sujet et d’intégrer la problématique à nos formations.

Comment les femmes sont-elles représentées dans vos formations ?

Nous n’avons jamais eu autant de femmes. 52 % des candidates post-bac sont de jeunes femmes. Sur l’ensemble de l’établissement, nous sommes à 39 %. En biologie, le chiffre monte à 70 %, mais en informatique et en mécanique, nous sommes aux alentours de 20 %. La féminisation évolue lentement et on peut la mesurer. Le plus dur sera de prendre les bastions masculins comme l’informatique et la mécanique.

4 – Marion Depont , responsable du service employabilité de Kedge Business School

Quelles mesures mises en place au sein de son établissement pour faciliter l’insertion des élèves sur le marché de l’emploi dans un secteur qui ne semble pas connaître la crise…
« Nous sommes en contact permanent avec les entreprises partenaires et nos diplômé·es. Nous évaluons nos étudiant·es à travers leurs stages et leurs contrats d’alternance, pour savoir ce qui est apprécié et ce qu’il faut renforcer. Tous les ans, les comités de perfectionnement se réunissent. À cette occasion, des professionnels nous donnent leur avis sur nos programmes de formation, ainsi que les compétences attendues sur le marché du travail. L’école est en contact quotidien avec les recruteurs. Forts de quoi, nous mettons en place des formations qui correspondent aux besoins des entreprises.

En 2004, l’école a installé le programme Be-U. Un programme transversal assez unique puisqu’il est obligatoire pour l’obtention du diplôme. Il s’agit d’une mise en situation réelle. Les élèves doivent mener un projet en équipe pendant un an, sur le thème de leur choix. Du projet humanitaire au festival de musique ou encore un projet pour une entreprise. En parallèle, les étudiant·es doivent suivre les cours du Career center, histoire de développer leurs soft skills à travers des enseignements comme le personal branding, l’intelligence émotionnelle ou l’art oratoire. Dans ce cadre, un·e étudiant·e a l’opportunité de demander en outre un coaching individuel.

L’année dernière, 600 entreprises sont venues recruter nos étudiant·es au cours des “forums de recrutement” que nous mettons en place chaque année. Enfin, les quatre journées annuelles My way nous ont valu un prix dans la catégorie “relation école-entreprise”. Nous y proposons 25 webinaires à nos étudiant·es au cours desquels les professionnels viennent parler de leur métier, et c’est très apprécié.

L’insertion de nos étudiant·es justifie les investissements et les moyens humains que nous leur consacrons, c’est l’ADN de cette école. »

Entretiens menés par Marie Sanchis

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.