Temps de lecture estimé : 4 minutes
Académique versus Economique. Si l’on oppose encore volontiers la recherche à l’entreprise, des ponts nouveaux se construisent et les interactions progressent. Un moyen de niveler par le haut la compétitivité des entreprises et l’excellence des écoles d’ingénieurs.

Une blouse blanche décorée d’une barbe touffue, une calvitie naissante et des cernes sombres jurant avec un teint blafard… L’image d’Epinal du scientifique ne lui fait pas honneur. D’autant que l’imaginaire collectif lui reproche aussi son désintérêt, voire son indifférence, à l’égard du monde dans ses dimensions sociales et économiques. Pourtant, malgré la lourdeur des lunettes à double foyer et l’esprit geek les animant, ces hommes qui expérimentent dans l’ombre partagent de plus en plus leurs épiphanies scientifiques avec des bureaux d’entreprise dédiées à la R&D. Mais pas seulement. La relation quadripartite entre recherche, entreprises, universités et écoles d’ingénieurs se tisse au gré de rencontres intimement liées à la professionnalisation des futurs ingénieurs et à l’insertion des doctorants dans le tissu économique. Du transfert de technologies en passant par les comités de perfectionnement, la recherche, les écoles d’ingénieurs et l’entreprise sont devenues inséparables. Toutefois, selon son histoire et ses axes stratégiques de développement, chaque établissement ne jouit pas des mêmes rapports avec le milieu économique. EcoRéseau analyse pour vous l’intensité des relations qui unit la science dure avec ses applications entrepreneuriales, le thésard et le futur ingénieur à l’innovation en entreprise.
Le stage, nerf de la guerre
Les Ponts et Chaussées, les Mines ou encore Supméca. L’ingénierie et la recherche ont toujours été liées à des métiers et à des bassins d’emplois, qui transpirent encore dans leurs noms actuels. Une manière d’afficher leur ADN dont découlent leur cœur de métier, qui lui-même demeure la base de la recherche et des liens avec l’entreprise. Les meilleures écoles se caractérisent d’ailleurs par des formations professionnalisantes dotées d’une indéniable dimension technologique. L’informatique présente ainsi un taux de 85% d’insertion, d’après la dernière étude de l’APEC sur les jeunes et l’insertion à partir de Bac+5. Cette excellente employabilité caractérise les sciences technologiques tandis que dans le même temps, les sciences dites fondamentales, à l’image de la physique ou de la biologie, souffrent en matière de recrutement. « Régulièrement les entreprises nous appellent, sont surprises et se plaignent de ne pas avoir de retour par rapport à certaines offres de stages, mais la concurrence est forte : il y a plus de dix offres de stage par étudiant ! », note Bruno Bachimont, directeur de la recherche à l’Université de technologie de Compiègne (UTC). Toutefois, le succès en matière de recrutement est très variable d’une branche à l’autre. Dans la mécanique et l’informatique, il n’est pas rare que les stages servent de pré-recrutement. L’ingénierie de la santé n’est pas encore un marché de l’emploi très développé pour les ingénieurs. Les besoins d’embauche dans le génie chimique sont plutôt cycliques. Les années fastes alternent avec des périodes plus faibles. Mais une chose est sûre : la relation avec l’entreprise se construit d’abord avec le grand volume de stage. 1500 par an à l’UTC, par exemple. « La durée des stages, de deux fois six mois en 4e et 5e année, est le premier moyen de construire un projet avec les entreprises pour parvenir ensuite à d’autres relations, détaille Bruno Bachimont. C’est dans ce cadre qu’un de nos enseignants-chercheurs a été approché pour développer des outils relevant du web-sémantique, dans l’offre logiciel d’une de nos entreprises partenaires, par exemple. »
Le transfert de technologie : une idée fixe chez les scientifiques ?
Néanmoins, d’autres écoles plus chanceuses comme Grenoble INP, l’ENTPE de Lyon (Travaux publics) ou l’école d’aéronautique de Toulouse ISAE Supaero, ont vu le jour sous la double impulsion de l’Etat et des professionnels. Elles sont adossées à des laboratoires de recherche produisant des résultats innovants susceptibles d’être brevetés. La création d’entreprise n’est plus très loin, comme en atteste notamment la naissance d’un incubateur sur le site grenoblois. La question du transfert de technologies est donc particulièrement prégnante dans ce sérail scientifique basé dans la cinquième ville la plus innovante du monde, selon un récent classement international dressé par Forbes. Générer de l’économie conséquemment à des réussites scientifiques se concrétise donc chaque année par le lancement de start-up. A l’image d’Enerbee, récompensée lors du dernier concours i-LAB, qui a développé des solutions pour récupérer de l’énergie sur un mouvement lent ou rapide – comme poser son doigt sur un interrupteur, une première en matière d’energy harvesting (collecte d’énergie) ! « La recherche et le monde économique sont intimement liés. C’est dans nos gènes. On ne peut pas imaginer dispenser une formation d’ingénieur soucieuse d’apporter à l’économie, sans se renseigner sur le besoin des entreprises », résume Christian Voillot, vice-président valorisation et transfert-Grenoble INP.
De la constitution et de l’utilité des chaires
Se développer pour et par la recherche, une maxime martelée dans chaque comité de direction ? « L’ISIMA est certifiée ISO 9001. Cette norme implique de penser au quotidien à un système de management de qualité, qui favorise la recherche du point de vue des enseignants et des étudiants », explique Vincent Barra, doyen de l’ISIMA. Autrement dit, chaque chaire est un moyen privilégié pour côtoyer au quotidien les industriels. C’est une manière d’irriguer en permanence les contenus et les méthodes pédagogiques. « Créée par Almerys, filiale d’Orange en partenariat avec le Laboratoire d’informatique de modélisation et d’optimisation des systèmes informatiques (LIMOS) et l’Université d’Auvergne, la chaire industrielle de recherche sur la confiance numérique souhaite développer cette discipline à l’intégrité des réseaux, la qualité des services ou encore la protection des données et de la vie privée », illustre Vincent Barra. Le désir vivace de corréler recherche, enseignement et R&D, est partagé par toutes les écoles. Après Cisco et la chaire dédiée à l’internet des objets, Polytechnique accélère encore dans ses rapprochements, avec un nouveau partenariat signé avec la SS2I Keyrus, Thales et Orange pour construire les Facebook et Google de demain… tout en répondant à l’urgence d’enseigner qualitativement le Big Data. En matière de liens structuraux, les entreprises sollicitent donc les écoles pour des contrats de recherche bilatéraux : soit dans le cadre de Conventions industrielles de formation pour la recherche (CIFRE, cf. encadré), soit dans un contexte indépendant de la recherche doctorale. Bénéficiant d’une connaissance intime des partenaires économiques, les enseignants chercheurs sont ensuite capables de générer de nouveaux projets. Toutefois, lorsque les écoles et universités ne frappent pas directement à la porte des entreprises, les démarches en sens inverse s’inscrivent dans différentes dynamiques de collaboration. A l’image des Mines Paristech et d’Eco-systèmes, qui sont à l’initiative de la chaire de recherche Mines Urbaines dédiée à l’optimisation de la filière de recyclage des métaux stratégiques et à la construction d’une économie circulaire dans ce domaine d’activité. Dans ce cas de figure, Eco-systèmes, éco-organisme agréé par les pouvoirs publics, est tenu de solliciter la recherche pour son bon fonctionnement en tant qu’entreprise à but non lucratif.
Les thèses, passeport de recrutement à l’international ?
On dénombre 700 à 800 doctorants encadrés par l’UTC et environ 200 docteurs diplômés. Une centaine chez les Mines ParisTech, dont 20% sont des ingénieurs en poursuite d’études. Et 10% des diplômants sont des doctorants à l’ISIMA. Aussi, les écoles encouragent-elles les spécialisations doctorales, notamment en raison de l’internationalisation des carrières. « Le titre d’ingénieur reste un passeport dans notre pays et dans les groupes français déployés à l’international, mais c’est le PhD – Philosophiae Doctor – qui fait référence dans le monde anglo-saxon », argue Damien Goetz, directeur de la recherche aux Mines ParisTech. Cette haute qualité académique, synonyme de lien fort avec l’industrie, permet aussi une bonne employabilité des doctorants des écoles d’ingénieurs en France. « Nos anciens doctorants n’éprouvent pas de grandes difficultés à trouver un emploi dans le milieu académique ou dans le monde professionnel », poursuit le directeur de la recherche des Mines ParisTech. En revanche, si les ingénieurs et doctorants d’une école restent les mieux lotis en matière d’employabilité, il faut toutefois souligner que le taux d’emploi chez les docteurs, toutes disciplines confondues, a chuté de six points d’après la dernière étude APEC sur l’insertion. « On explique cette dégradation par des débouchés en recherche publique plus contraints à cause de l’optimisation des budgets, ainsi que des docteurs qui n’anticipent pas assez leur projet d’insertion lors de leur thèse. Il faut d’ailleurs souligner que cette insertion n’est pas suffisamment orientée vers la recherche privée », tempère Pierre Lamblin, directeur du département études et recherche de l’APEC. Une raison de plus qui explique pourquoi le PhD est également plébiscité en tant que sésame à l’étranger. Une fuite des cerveaux inendiguable ?.
Article réalisé par Geoffroy Framery