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Aucune ONG, aucune œuvre humanitaire n’oublie de rappeler qu’un don procure une déduction fiscale (à ne pas confondre avec défiscalisation). À ce jeu du qui donne gagne, les Français·es excellent… Mais si les remous de la pandémie leur ont fait fermer leur bourse, les affres en Ukraine les poussent à se montrer plus généreux·ses.

 

L’année 2020 s’est montrée exceptionnelle pour le secteur de la générosité. Selon l’étude 2021 sur les dons déclarés du réseau associatif Recherches et Solidarités, le montant de ces dons était en forte augmentation à hauteur de 7,2 % pour atteindre les 2,85 milliards d’euros ! « Après la baisse de l’année 2018 et le léger rebond en 2019 – 2,4 % –, les montants de l’année 2020 augmentent presque autant qu’en 2014 – 7,2 % », indiquent les auteurs de l’étude. Nos spécialistes assurent également que le don moyen était aussi en augmentation, de 404 euros en 2013 à 550 euros en 2019 et à 570 euros en 2020. « Les dons et legs ont progressé en 2020. La pandémie a induit une forte mobilisation des Français·es et propulsé la santé au cœur de leurs préoccupations. Cet afflux de dons a permis à nos chercheurs de lancer immédiatement des études de pointe pour adapter les traitements au coronavirus. Les malades atteints d’un cancer étaient particulièrement vulnérables », confirme Perrine de Longevialle, directrice de la Communication & de la philanthropie de la Fondation Gustave Roussy. Sauf que l’embellie pourrait n’être que de courte durée, la faute à la baisse du pouvoir d’achat. En décembre 2021, la 4e édition de l’Observatoire national et régional des générosités de Leetchi, réalisé par Odox, révélait que 28 % des Français·es concèdent avoir fait moins de dons au cours des 12 derniers mois. Parmi eux et elles, 79 % affirment moins se le permettre qu’auparavant. Les résultats de ce sondage devront bien sûr être corroborés. Pour autant, difficile de se faire des illusions. « Nous constatons en 2021 un ralentissement des dons qui s’explique en partie par l’impact de la crise sur nos donateurs. Certains particuliers ont vu leurs revenus diminuer ou disparaître tandis que des entreprises ont été contraintes de suspendre leur mécénat, qui représente la moitié de nos ressources », confirme Perrine de Longevialle. Quid de 2022 ? Il semble que la guerre en Ukraine ait inversé la donne, du moins au premier trimestre, selon iRaiser. Le spécialiste des formulaires de dons a réalisé une première analyse de la collecte numérique en France pour la crise ukrainienne avec les dons reçus sur la période du 24 février au 18 mars 2022, en comparaison avec la même période en 2021. Quatre-vingts millions d’euros ont été collectés en 2022, soit + 912 %. Depuis le 18 mars, une légère baisse se fait ressentir, mais l’élan de générosité reste très important. « Il se révèle stupéfiant, de l’ordre de la crise covid et du tsunami de 2004 », s’est félicitée sur Twitter Laurence Lepetit, déléguée générale de France générosités. Pourvu que ça dure !

 

Donation rime avec déduction, pas défiscalisation

Les ménages devraient être d’autant plus enclins à poursuivre leurs efforts que, conscients du rôle positif des associations et fondations, les pouvoirs publics incitent les contribuables à participer à leur financement. Trois dispositifs coexistent, les dons déductibles à l’impôt sur le revenu, les dons déductibles à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et les legs. Attention, donation ne rime pas avec défiscalisation. « Il ne faut pas perdre de vue que les avantages fiscaux en faveur d’une association ou d’une fondation ne font pas économiser de l’argent aux contribuables, l’avantage fiscal obtenu reste inférieur au montant donné. En revanche, une grande partie des fonds concernés serviront pour des bonnes causes choisies par le contribuable, et non par l’État », rappelle Lionel Devic, avocat et cofondateur de la Fondation pour l’école. Une mise au point jugée également très importante pour Caroline Cutté, responsable du pôle relations Grands donateurs de l’Institut Pasteur. « Un don coûte de l’argent. Son intérêt n’est pas uniquement fiscal, il répond à l’envie du donateur de soutenir une cause. » Jérôme Rusak, président du cabinet L&A Finance, partage cette analyse et en profite pour regretter la course à la défiscalisation menée par certains. « De nombreux épargnants se focalisent sur la défiscalisation. Ils cherchent à tout prix à payer moins d’impôts. Or, cette stratégie risque de les pousser à commettre des erreurs. Tout le monde se souvient des scandales suscités par la Loi Robien. Aujourd’hui cependant, une partie croissante des épargnants cherchent à sauver la planète. Choisir, dans ce cadre, les bons placements n’est pas chose facile. Aussi, nous disons à nos clients : faites des placements “classiques” qui rapportent selon votre appétence au risque. Ensuite, avec les gains de ces placements, faites des dons, à l’IR ou à l’IFI, ou les deux. »

 

Placer pour mieux donner

Pour l’IR, la loi de Finances pour 2022 a confirmé le prolongement pour deux années supplémentaires (2022 et 2023) de l’augmentation du plafond à 1 000 euros de la réduction d’impôt de 75 % pour les dons aux associations venant en aide à des personnes en difficulté (« dispositif Coluche ») comme les Restos du Cœur, la Croix-Rouge et d’autres. Ce plafond avait été exceptionnellement relevé de 552 euros à 1 000 euros pour 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire et économique. Une mesure notamment destinée à encourager les dons des particuliers aux banques alimentaires. Le dispositif Coluche procure toujours une réduction d’impôt maximale de 750 euros au taux de 75 %. Une fois le plafond de 1 000 euros atteint, le surplus retombe dans le régime de droit commun avec une réduction d’impôt de 66 %, ce qui reste un montant significatif. « Après, les épargnants peuvent acheter des Sofica dans le cadre d’une opération de mécénat. Les particuliers qui ont souscrit des parts de Sofica bénéficient d’une réduction d’impôt sur le revenu jusqu’à 48 %, dans la limite de 18 000 euros et de 25 % du revenu net global. L’avantage fiscal est attractif, mais leur rentabilité est faible, voire nulle », prévient Jérôme Rusak. En 2019, un rapport du producteur Dominique Boutonnat sur le financement privé du cinéma et de l’audiovisuel avait estimé que le rendement annuel moyen des Sofica, avantage fiscal inclus, était inférieur à 2 % sur la période 2005-2019. « Je conseille de réaliser de bons placements et de choisir ensuite des dons. Je suis contre le mélange des genres. Pour l’IFI, les gens concernés ont, en général, les moyens de donner. Dans cette perspective, le dispositif de défiscalisation est attractif pour eux. Enfin, donner une partie des fruits de ces placements offre l’avantage de cibler les causes, les associations ou fondations qui tiennent à cœur », souligne le spécialiste de la gestion de patrimoine.

 

L’importance du levier fiscal est capitale dans l’IR

Le dispositif de réduction d’impôt sur les dons est un moteur puissant de la collecte comme en témoigne l’étude publiée en mai par l’Institut Curie. Elle démontre que 51 % des Français·es estiment que la France offre une politique fiscale incitative pour le don. Ce qui n’empêche pas 46 % des Français·es de penser qu’une déduction fiscale plus importante les inciterait plus volontiers à donner ! D’où la revendication de Thierry Philip, président de l’Institut Curie dans le sillage de la publication de l’étude : « Nous demandons la hausse, ou plutôt l’alignement de la déduction fiscale de 66 % à 75 % pour tout don aux associations et fondations reconnues d’utilité publique, et ce dans la durée, pour la durée minimale d’un quinquennat. » Beau programme. L’étude démontre également l’importance des incitations fiscales dans le maintien des dons : 59 % des donateur·rices déclarent qu’une baisse de la déduction fiscale pourrait remettre en cause les dons qu’ils font actuellement. L’importance du levier fiscal est naturellement confirmée par l’ensemble des acteur·rices de la générosité. « À La Chaîne de l’Espoir, près de 40 % de la collecte de dons ponctuels est réalisée au dernier trimestre. Ce qui semble démontrer à quel point les donateurs sont sensibles à l’argument “fiscal” car plus on s’approche du 31 décembre, plus on s’approche de la date limite pour faire un don déductible de son impôt sur le revenu de l’année en cours et c’est précisément la période où les Français·es font des dons », souligne Delphine An, responsable marketing à la Chaîne de l’Espoir.

 

L’IFI, une arme de déduction massive…

Aujourd’hui, les redevables de l’IFI imputent sur cet impôt 75 % du montant des dons en numéraire et dons en pleine propriété de titres de société admis aux négociations sur un marché réglementé français ou étranger versés au profit de certains organismes d’intérêt général. Ces dons qui ouvrent droit à la réduction d’impôt sont consentis jusqu’à la date limite de dépôt de la déclaration de revenus. Ils sont pris en compte dans la limite de 50 000 euros par an. Concrètement, un don de 1 000 euros réduit l’IFI de 750 euros. Pour atteindre le plafond de 50 000 euros, il faut donc verser… 66 666 euros. Les ménages pourraient cumuler cet avantage fiscal à l’IFI avec la réduction de l’impôt sur le revenu dans le cadre de dons (dans la limite de 20 % des revenus imposables). En revanche, il n’est pas possible de cumuler les deux réductions d’impôt (IFI/IR) pour un même don. Entre les deux dispositifs, le choix est vite fait. Le mécanisme de réduction de l’IFI est bien plus puissant. D’autant qu’en cas de solde non imputé sur l’IFI, la somme risque d’être déclarée au titre de l’IR. Ce dispositif est d’autant plus attractif qu’il est unique. À cet égard, le ou la contribuable doit sélectionner avec soin l’organisme auquel il souhaite faire des dons. Tous les organismes en effet ne permettent pas de bénéficier de cette réduction d’impôt. Pour profiter de l’économie d’impôts, les dons doivent s’adresser à une fondation d’utilité publique par exemple, ou à un établissement de recherche ou d’enseignement supérieur. Le.la contribuable a la possibilité de donner aux entreprises d’insertion, à des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, à l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou bien encore à des fondations universitaires.

 

… qui a perdu de son élan

Malheureusement, ces dons sont en baisse constante depuis 2018 à cause de la suppression de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Historiquement, les avantages fiscaux liés aux dons au titre de l’impôt sur le revenu et l’ISF ont été renforcés sous le gouvernement Raffarin. Le gouvernement estimait que les fonds donnés par les contribuables seraient plus efficaces s’ils étaient directement versés aux associations et fondations plutôt que par l’État. Emmanuel Macron a changé la donne en remplaçant l’ISF par l’IFI le 1er janvier 2018 qui ne concerne que les contribuables propriétaires d’un patrimoine immobilier dont la valeur est supérieure à 1,3 million d’euros. Inévitablement, cette décision a sensiblement réduit le nombre de contribuables concerné·es et donc l’assiette de cet impôt.  « La suppression de l’ISF a eu un impact significatif sur la collecte de dons. De nombreux contribuables ont vite réorganisé la structure de leur patrimoine afin de réduire leur base imposable à l’IFI, voire la supprimer afin d’échapper à la taxation », indique Lionel Devic. Un autre événement a pesé sur la collecte : l’entrée en vigueur du prélèvement forfaitaire unique (PFU ou « flat tax »). Les dons au profit d’organismes d’intérêt général, comme 30 millions d’Amis, entraînent une réduction d’impôt égale à 66 % de ces sommes. Toutefois, le total des versements éligibles au titre de cette même année ne peut être retenu que dans la limite de 20 % du revenu imposable de votre foyer fiscal, qui s’entend du seul revenu soumis au barème progressif (sous réserve de quelques aménagements). Or, depuis 2018, les revenus de capitaux mobiliers, tels que les intérêts et les dividendes, et les plus-values mobilières relèvent en principe d’un taux forfaitaire de 12,8 % d’impôt sur le revenu (auquel s’ajoutent les 17,2 % de prélèvements sociaux soit un taux global de 30 %). De nombreux·ses contribuables – particulièrement charpenté·es pour saisir les nuances de cet exposé ! – ont eu intérêt à choisir cette flat tax plutôt que de conserver les règles du barème progressif. Résultat, cette flat tax a eu pour conséquence de réduire leur revenu imposable et donc, mécaniquement, le montant de leurs dons. « Entre la réforme de l’ISF, l’institution de la flat tax pour certains revenus et les incertitudes liées au prélèvement à la source, certaines associations et fondations ont vu fondre d’environ 50 % leurs ressources », regrette Lionel Devic.

 

Stratégies alternatives pour riches propriétaires ou chef·fes d’entreprise

Du côté de l’IFI, certain·es contribuables concerné·es mettent en place des stratégies pour alléger leur base imposable qui procurent des ressources supplémentaires aux fondations, fonds de dotation ou associations capables de recevoir des donations. Par exemple, en donnant temporairement l’usufruit de son immeuble de rapport à l’un de ces organismes, le·la propriétaire réduit son assiette taxable à hauteur de la valeur en pleine propriété de l’immeuble. Cet usufruit, de 3 à 30 ans, permet à la fondation de percevoir les loyers à la place du ou de la propriétaire qui ne paie donc pas non plus ses impôts fonciers sur les revenus tirés du bien concerné. Enfin, un·e dirigeant·e d’entreprise qui envisage de céder sa société est invité·e à réduire le montant de son imposition sur les plus-values potentielles en donnant, en amont de la vente des parts de l’entreprise, à une fondation ou à un fonds de dotation. Ce don purge la plus-value en même temps qu’il est valorisé à hauteur de la valeur vénale des titres donnés. De son côté, la fondation cédera au nouvel acquéreur les titres valorisés au prix de cession. « Ce dispositif séduit de plus en plus d’entrepreneurs qui veulent constituer un “capital philanthropique” à l’occasion de la cession totale ou partielle de leur entreprise », souligne Lionel Devic.

 

Les legs, une source de financement majeure

Les legs constituent enfin une ressource vitale pour les associations et un axe majeur de leur développement. Ils représentent des montants plus élevés que les dons ponctuels et sont exonérés de droits de succession. Ils seront possiblement constitués d’actifs immobiliers ou financiers comme l’assurance vie. L’essentiel des ressources de la Ligue contre le cancer est issu de la générosité du public (dons et legs, mécénats, partenariats et évènement). Les legs représentent une part très importante, soit près de la moitié des ressources financières de la Ligue. « Ces libéralités se décomposent en trois parts globalement égales : sommes d’argent et biens immobiliers issus des legs et assurances vie », indique Romain Scoffier, délégué aux Legs et libéralités à la Ligue contre le cancer. Tous les biens immobiliers légués à la Ligue sont destinés à être vendus et le produit servira à la cause. L’assurance vie revêt une place importante car la transmission est immédiatement disponible. « La période entre le moment où la Ligue apprend l’existence d’une assurance vie à son profit et la perception des fonds ne dépasse pas 3 ou 4 mois en moyenne contre 4 à 6 mois dans le cadre d’une succession et de 6 mois à un an pour l’immobilier », souligne Romain Scoffier. Le·la testataire est libre de flécher l’usage qu’il sera fait de son legs : la recherche (équipes labellisées par la Ligue, notamment), l’aide aux personnes malades ou encore la prévention ou l’éducation à la santé. Le défi est d’importance, rappelle le délégué : « La puissance de la Ligue repose sur la pertinence de ses actions de lutte et ses forces vives présentes sur l’ensemble du territoire national selon l’adage “pas un canton sans un ligueur”, de quoi procurer aux chercheurs ou aux personnes malades un accompagnement approprié. » Soutenir la lutte contre le cancer constitue un enjeu majeur pour la communauté nationale et en particulier pour les personnes qui en sont victimes ou les jeunes à protéger des risques de cancer. 1 100 personnes en France, par jour, apprennent qu’elles souffrent d’un cancer. Bien que les progrès de la recherche soient constants et rassurants, le cancer reste une maladie très grave, voire trop souvent mortelle. « Grâce en particulier à la recherche pour laquelle la Ligue est le premier financeur associatif indépendant, on guérit aujourd’hui près de 6 cancers sur 10, mais il faut aller plus loin et plus vite. Faire un legs à la Ligue, c’est soutenir les meilleures équipes de recherche, aider les personnes malades et leurs proches et protéger les plus vulnérables notamment les plus jeunes d’entre nous », plaide pro domo Romain Scoffier. Si, en plus, on en retire un avantage…

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